Réalisé par Joe Carnahan (Mise à prix en 2007, L'Agence tous risques, 2010...), à partir de la nouvelle Ghost Walker de Ian Mackenzie Jeffers, Le Territoire des loups raconte les efforts désespérés de sept survivants, salariés d'une compagnie pétrolière, qui après un crash d'avion en Alaska tentent d'échapper au froid, à la faim mais surtout à une meute de loups affamés ou excités par l'intrusion de ces étrangers sur leur territoire.
Tourné au Canada, hors studio, le film est marqué du sceau du réalisme du début à la fin. Pour commencer, la courte scène de l'avion qui s'écrase est sans doute l'une des meilleures du genre par sa remarquable intensité et son indéniable vérité. Nulle place au héros qui tenterait de reprendre les commandes de l'avion, aucune émotion exagérée, juste l'implacable sentiment de fin et de peur dans une situation absolument incontrôlable, dans une tension dramatique extraordinaire et sans pathos.
Lorsque les rares survivants sortent de l'épave d'avion, ils sont vite confrontés à un terrible dilemme : rester près de l'appareil en espérant, sans vivres, un sauvetage très improbable dans cette immensité blanche alors que les loups les harcèlent la nuit tombée ou tenter de traverser cette contrée glacée et désolée pour atteindre la forêt et s'y abriter. Dans tous les cas, le temps est compté et l'issue paraît fatale.
Ce film est aussi réussi par les images tourmentées des paysages du Grand Nord, hostiles et grandioses à la fois, où résonnent encore les échos d'un monde minéral, radical contrepoint de nos sociétés urbaines surprotégées, peuplées et hyperconnectées. Dans une ambiance qui laisse presque le blizzard crever le grand écran, on découvre la solitude d'hommes confrontés à eux-mêmes, à leurs doutes, à leur tempérament, leur courage ou leurs bassesses.
On l'aura compris, c'est un film métaphysique sur l'homme et sa destinée, sur le sens de la vie et de la mort dans des espaces désolés, sauvages où la faiblesse n'a point sa place. C'est la sélection naturelle de Darwin qui s'exprime ici dans sa plus grande extrémité. Il rappelle les mêmes interrogations contenues dans les romans de Jack London (en particulier Construire un feu, 1907) ou l'inoubliable Moby Dick d'Herman Melville (1851). La poésie, comme Dieu et les souvenirs des êtres aimés, sont par ailleurs le seul réconfort pour ces infortunés des glaces :
Une fois de plus au coeur de la batailleDans le dernier combat juste que je livrerai jamaisVivre et mourir ce jourVivre et mourir ce jour
Pour terminer, le jeu des acteurs est à couper le souffle, notamment Frank Grillo dans le rôle d'un sociopathe et Liam Neeson, un agent de sécurité. Ce dernier, encore une fois, agrippe par son seul regard magnétique les yeux du spectateur, aspire son imagination et l'entraîne dans sa sourde mélancolie et ses angoisses. C'est un acteur hors du commun qui réalise sans doute l'une de ses plus abouties performances depuis La Liste de Schindler (1994) et Michael Collins (1997).
Si ce court billet vous motive à aller voir au cinéma ce film haletant et désespérant mais qui ne manque pas d'humour, on n'en dira pas plus, suivez ce conseil : ne vous levez pas trop vite de votre siège et attendez la fin du générique car une dernière scène reste à raconter en effet.
Mourad Haddak