Vous souvenez-vous la première fois que vous êtes allé sur le World Wide Web. « Maman, raccroche le téléphone, j’vais allumer le modem ! ». Ha le modem 56k et son petit son de légende – que nos enfants ne connaîtront pas. Ca faisait :
Y avait ce mélange d’excitation et d’agacement. Le chargement d’une page qui se dévoile avec autant de pudeur qu’une danseuse burlesque. Par tronçon, sans se presser, mais on sait qu’à la fin ça valait grandement le coup. Les pièces jointes, la bête noire de nos factures internet, nous rendaient fous. Je regardais les minutes défiler, répugnant à fermer la fenêtre après plusieurs minutes d’attente. C’était à s’arracher les cheveux.
Je suis arrivée tard sur Internet. Je devais avoir déjà bien 15 ans. Comme tout le monde, j’ai traîné sur les chats. À la sortie de l’école j’allais m’enamourer sur Respublica et Caramail. « Kikoo, asv stp ». J’ai eu foultitude de pseudos empruntés à mes personnages de séries préférées. Et je craquais pour des garçons aux alias tout aussi cons, avec pleins de chiffres derrière.
J’ai eu une adresse mail nomade.fr, je naviguais sur Netscape, j’ai ouvert mon premier blog sur Canablog, je passais des heures sur msn, j’utilisais le moteur de recherche de Lycos, je téléchargeais des chansons que je gravais sur des CDs et enregistrais des pages sur disquettes pour les cours, j’ai connu les heures de gloire de la plateforme Parano et j’avais un téléphone portable Philips.
Vous souvenez-vous du premier site que vous avez visité ? Le premier mail reçu ? Le premier téléchargement ? Kazaa tournait là bas au fond, tandis que vous écoutiez des mp3 sur Winamp. je me souviens encore avoir passé des après-midis à chercher des skins. Trop stylé t’as vu, la custo ? Le bon vieux temps.
On faisait quoi avant Facebook, Twitter, Pinterest, avant de bouffer du flux RSS dans un Google Reader ? Avant que Google ne nous stalke comme un vieux pervers.
Impossible de me souvenir de tout ce que j’ai fait, lu, entendu, vu, écrit, cherché depuis tout ce temps. Parfois, je me dis que ça me ferait sourire de retrouver des traces de cette époque, comme un journal intime de ma vie virtuelle.
Google n’est pas resté sourd à mes prières.
En 2006, je me suis créée une adresse Gmail. Depuis j’utilise Google, Google Agenda, Google Reader, Google Docs, Gtalk, Google Maps. Mon premier geste lorsque j’allume un ordinateur, c’est de me connecter à Gmail. Conséquence : Big Browser connaît à longueur de temps mes moindres faits et gestes. A peine ai-je cherché un restaurant japonais que les pubs contextuelles de ma messagerie m’inondent d’adresses de livreurs de sushis.
Mais le choc, je l’ai eu ce matin. En lisant cet article, lié aux changements de la politique de confidentialité de Google. En gros Google, c’est le mec qui en sait plus sur toi que tes parents, ta soeur, tes potes et ton mec réunis.
Je me suis rendue là : https://www.google.com/history
Et là, stupéfaction ! (ou horreur ou les deux). Je remonte dans le temps et je retrouve mes requêtes Google depuis 2006, les vidéos que j’ai regardées, des adresses recherchées sur Google Maps… L’impression est étrange. Celle d’espionner sa propre vie, de tomber sur des choses dont on ne se souvenait plus. Avec ma moire de poisson, j’ai eu plus d’une surprise. Et le comble. La première de mes requêtes que Google a enregistrée (14 avril 2006) :
Il n’y a vraiment pas de hasard…