La nuit des femmes qui chantent de Lidia JORGE

Par Lecturissime

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« La fin naturelle de tous les épisodes collectifs, joyeux ou tragiques, ce sont des chansons. » (p. 228)

L’auteur :

Lídia Jorge est née à Boliqueim dans l’Algarve en 1946. Diplômée en philologie romane de l’université de Lisbonne, elle se consacre très tôt à l’enseignement.

En 1970, elle part pour l’Afrique (Angola et Mozambique), où elle vit la guerre coloniale, ce qui donnera lieu, plus tard, au portrait de femme d’officier de l’armée portugaise du Rivages des murmures (Métailié, 1989).

La Couverture du soldat, 2000 a eu le Prix Jean Monnet 2000 (Cognac) Le Vent qui siffle dans les grues, 2004 a eu le Grand Prix du Roman de l’Association Portugaise des Ecrivains 2003, Premier Prix « Correntes d’escritas » 2004 (Povoa da Varzim, Portugal), Prix Albatros de la Fondation Günter Grass 2006 (Allemagne).

L’histoire :

1987. Cinq jeunes femmes autour d’un piano, cinq survivantes du naufrage de l’Empire colonial portugais, elles sont là pour chanter. Il y a Gisela, qui les a convoquées et va mettre toute son audace et son énergie à leur transformation en un groupe vocal qui enregistre des disques et se produit sur scène. Il y a les deux sœurs Alcides, Maria Luisa la mezzo-soprano et Nani la soprano qui sortent du conservatoire. Il y a Madalena Micaia, The African Lady, à la sublime voix de jazz, noire et serveuse dans un restaurant, et enfin la plus jeune, Solange de Matos. Elle a 19 ans, elle découvre la vie et la ville, elle n’a pas une grande voix mais un grand talent « pour les petites choses », elle compose des paroles de chansons inoubliables qui vont faire la gloire du groupe. Puis il y aura l’amour aérien et ambigu du chorégraphe international Jõao de Lucena.

Il y a les relations de pouvoir si particulières des femmes, les pressions psychologiques, la façon de tout sacrifier à la réalisation d’un objectif. Elles ont travaillé dans un garage, elles ont appris à chanter, à composer des chansons, à danser sur scène, à marcher comme on danse, elles ont enregistré un disque, et l’impensable s’est produit.
Vingt ans après, la télévision, le royaume de l’instantané, leur consacre une émission et elles se retrouvent là, entre émotion et mensonge.
Romancière au sommet de son art, dominant une langue raffinée et subtile pour aller au plus profond des sentiments et de l’histoire des changements d’une société, Lídia Jorge écrit ici un roman puissant et limpide. (Présentation de l’éditeur)

Ce que j’ai aimé :

Pour Lidia Jorge les mots ont un pouvoir immense, celui non seulement d’enfanter un monde, mais aussi de recréer le monde.

« Je m’associe à ceux qui pensent que narrer, quelles qu’en soient les modalités, est toujours une façon de perpétuer l’enfance du monde. » ( A propos de ce livre)

 Aussi Solange, la narratrice réécrit-elle l'histoire du groupe de chanteuses auquel elle a appartenu pour mieux comprendre leurs trajectoires, pour mieux cerner leurs personnalités, et pour mieux appréhender le drame qui les a ébranlées. 

"C'était le passé qui était imparfait, et pour ce qui s'y était produit s'adapte à la compréhension du présent, il fallait que le récit qu'on en ferait soit modifié. C'était tout. On ne pouvait même pas parler d'imagination. Non, il ne s'agissait pas d'imagination. Il s'agissait simplement d'une vérité différente." (p. 23)

Il faut, pour créer l'harmonie, la perfection, quelquefois travestir la réalité. Solange va revenir aux origines en avançant à tâtons, à la rencontre de personnalités marquantes comme Gisela, ou Joao, des êtres passionnés qu'elle approche avec douceur, dans un profond besoin de tolérance et de compréhension.

« J’avais compris alors que le charisme pouvait être un flux qui aveugle et séduit en même temps. Qui provoque des oublis et des arrêts dans le temps, des hiatus irrécupérables, comme on le raconte des apparitions bienfaisantes. » (p. 113)

«  Gisela veut atteindre le domaine qui est le sien, connaître le pouvoir, le chemin menant au pouvoir, elle aspire à faire partie de cette force obscure qui va de l’avant seule, comme la pointe d’un diamant aveugle fendant le monde en vue d’un triomphe, quel qu’il soit. C’est pour ça qu’elle est si dangereuse. Elle semble ignorer que tout, qu’il s’agisse des armes ou des effets du pouvoir pour le pouvoir, tout un jour sera oublié. » (p. 309)

  Servie par un style poétique aux élans lyriques, cette histoire de chant et d'amour charme profondément l'âme et le coeur de ses mots envoûtants :

« Ma vie est un intervalle que je veux remplir de la matière la plus lumineuse qui existe dans ce monde. L’amour. » (p. 232)

  Ce que j’ai moins aimé :

-  J'aurais aimé que quelquefois Solange se fonde plus dans son récit, n'anticipe pas autant, de façon à nous plonger entièrement dans cette narration des années passées. Les verbes tels que "Je revois, "Je me souviens", ainsi que  l'emploi de l'imparfait mettent un frein à l'action.

  Premières phrases :

« Pendant deux jours de suite, le vent fustigea les arbres de la place des Fleurs, le dol fut jonché de feuilles et de brindilles, et toutes sortes d’objets qui avaient été cachés pour toujours au fond de sacs en plastique se montrèrent une dernière fois, roulant sur les pavés. »

Vous aimerez aussi :

Du même auteur : Le vent qui souffle dans les grues

D’autres avis :

BLOG : Anis 

  PRESSE : 

LE NOUVEL OBSERVATEUR, Claire Julliard
« Dans ce roman sombre et poétique, la Portugaise Lídia Jorge envisage l’écriture comme un acte de rédemption » »

LA MONTAGNE, Daniel MArtin
« Le passé et ce que l’on en fait. Comment il se transforme, s’embellit ou non, au fil du temps, est une des grandes thématiques de Lídia Jorge, auteure portugaise d’une rigueur extrême, ce qui lui a permis de s’imposer comme une des grandes prosatrices dans le monde entier.

LE MATRICULE DES ANGES
Entretien à lire ici.

THE LION, Pierre Schavey
« Un roman qui fouille avec finesse la psychologie féminine, et peint avec justesse les rapports de personnalités qui s’affrontent au sein d’un groupe apparemment uni par la même ambition. Un roman qui chante et enchante »

M LE MAGAZINE
« Le Lisbonne de Lidia Jorge ». Lire l'article entier ici.

LIRE, André Clavel
« Un beau roman sur les rapports entre les femmes et, surtout, sur la magie de la musique, dont la grande dame des lettres portugaise montre qu’elle est à la fois un lien social, un instrument de libération et une fenêtre ouverte sur l’absolu »

LIVRES HEBDO
« La prose dense contient ici une nouvelle force d’envoûtement, boucle toujours hypnotique mais plus lisible, qui donne un de ses romans les plus fascinants.»

BOOKS
« La Nuit des femmes qui chantent est une parabole qui enseigne comment la vie a eu raison de notre optimisme et réduit nos aspirations en miettes, pour mieux les broyer.»

PSYCHOLOGIES MAGAZINE, Christine Salles
« Chanter pour exister, revendiquer sa place, s’affirmer ou simplement suivre le mouvement fut une expérience intense pour certaines… mais aussi un drame pour d’autres. Ce que ces femmes sacrifièrent, perdirent ou offrirent se dévoile lentement. Musique ou chant, ne choisissez pas : prenez les deux.»

VERSION FEMINA, Anne Smith
« Roman subtil à la voix originale. »

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
« L’écriture délicate et nuancée exprime une grande palette de sentiments. »

FRANCE CULTURE, « Le rendez-vous », entretien avec Laurent Goumarre le 26 janvier 2011
Plus d'infos ici

FRANCE INTER, « L’humeur vagabonde », entretien avec Katleen Evin le 26 janvier 2011
Plus d'infos ici

FRANCE INTER, « Le 7/9 du weekend »,Patricia Martin
Plus d'infos ici

ESTUDOS LUSOPHONOS
Plus d'infos ici.

La nuit des femmes qui chantent, Lidia Jorge, traduit du portugais par Geneviève Leibrich, Metailié, 2012, 309 p., 21 euros