Ecologie es-tu là ? suite….

Publié le 02 mars 2012 par Delits

Suite à l’analyse publiée mercredi consacrée aux rapports des Français au développement durable et à ses conséquences en matière de politique publique, Délits d’Opinion a rencontré Sandra HOIBIAN, Directrice adjointe du Département Conditions de vie au CREDOC, qui a supervisé la réalisation de l’enquête sur les attitudes et comportements des Français en matière de développement durable.

Délits d’Opinion : Où en-est l’opinion publique avec les grandes problématiques environnementales ?

Sandra HOIBIAN : La sensibilité environnementale est élevée en France. Depuis dix ans, environ 8 Français sur dix se déclarent sensibles à la protection de la planète sans que l’on constate d’évolution majeure.

Le maintien des préoccupations environnementales, malgré la crise économique et financière qui agite le pays, est en revanche plus nouveau. Les inquiétudes pour la planète soucient bien sûr moins nos concitoyens que les questions de pouvoir d’achat ou de chômage, mais elles restent à un niveau stable. Lors de la précédente crise de 1993, la récession avait relégué les questions d’environnement au second plan.

Si la sensibilité écologique reste, les thématiques changent. Certaines focalisent moins l’opinion publique, c’est le cas par exemple du réchauffement climatique qui occupe aujourd’hui moins les esprits. A l’inverse, la question des catastrophes naturelles progresse assez sensiblement, en liaison avec les nombreuses catastrophes géologiques et perturbations climatiques survenues ces dernières années ( tremblements de terre à Haïti ou au Chili, éruption du volcan islandais Eyjafjöll, tempête Xynthia en France, chutes de neige importantes aux Etats-Unis et en Europe) .

En termes de pratiques, la population a aussi évolué. La consommation durable s’est également largement diffusée. Réservé à une minorité plutôt aisée et très engagée il y a quinze ans, le bio s’est propagé parmi les catégories les plus modestes : 52% des personnes disposant moins de 900€ par mois consomment aujourd’hui des produits issus de l’agriculture biologique, contre 20% en 1995. De même, 60% des jeunes achètent de temps à autre ce type de produits, ils n’étaient que 26% il y a quinze ans.

Délits d’Opinion : Constate-t-on un retour de l’eco- scepticisme ? Si oui, à quoi attribuer ce mouvement ?

Sandra HOIBIAN : La période 2009-2010 a vu un certain nombre d’éléments favoriser une montée de l’éco-scepticisme (affaire du « climategate », les propos de Claude ALLEGRE etc.). Aujourd’hui les doutes sur le bien-fondé scientifique des alertes écologiques semblent peu à peu se dissiper.

S’il existe un relatif consensus par rapport à la nécessité d’adopter des comportements écologiquement responsables, on observe en revanche une grande méfiance à l’égard des allégations écologiques des grandes marques. Depuis quelques années, beaucoup se sont engouffrées dans ce crédo et proposent des produits « verts ». La profusion de logos ou labels écologiques parfois auto-descernés a globalement nuit à la crédibilité des annonceurs et a créé un flou dans l’esprit des consommateurs. Les ménages se sont montrent ainsi de plus en plus vigilants et même rétifs aux sirènes du « marketing vert ».

Délits d’Opinion : Quelles sont les principales marges de progression pour l’adoption d’un comportement écocitoyen généralisé au quotidien ?

Sandra HOIBIAN : Signalons tout d’abord que les comportements ont déjà commencé à changer au cours des quinze dernières années. En matière de consommation par exemple, les Français font ainsi de plus en plus attention à ce qu’ils achètent. Nos travaux montrent que la sensibilisation du grand public reste un levier fondamental dans le passage à une consommation plus responsable. Les plus actifs sont en effet les personnes qui se déclarent les plus sensibles à la cause verte.

La crédibilité de l’information environnementale sur les biens de consommation est aussi un moyen de faire changer les pratiques : 7 Français sur 10 jugent les informations sur les produits verts peu claires et 6 sur 10 doutent de leur fondement scientifique.

Le repérage et l’identification des produits bons pour l’environnement restent aussi problématiques, hormis les produits bio qui sont aujourd’hui bien identifiés. 6 Français sur 10 considèrent qu’il n’est pas facile de repérer en rayon un produit respectueux de l’environnement. La complexité de repérage tient probablement en partie à la difficulté, pour les consommateurs, de circonscrire précisément ce que recouvrent « les produits respectueux de l’environnement » : s’agit-il de produits avec des emballages biodégradables ou recyclables, de produits « naturels », sans adjuvants ou produits chimiques, de produits des différentes marques « vertes », etc ? Tous ces éléments ont créé une certaine confusion dans l’esprit des consommateurs.

Prenons un autre domaine. Le tri des déchets s’est peu à peu imposé dans les foyers. Le geste de tri est aujourd’hui assez naturel, ce qui n’était absolument pas le cas il y a 15 ans.

Plusieurs leviers peuvent être activités afin d’améliorer les pratiques:

- la sensibilisation, comme évoqué précédemment, constitue une condition importante du passage à l’action

- l’amélioration des infrastructures de tri : la probabilité de trier systématiquement ses déchets diminue fortement lorsqu’il n’y a pas de collecte sélective des déchets en porte à porte, nombreux déchets doivent aussi être apportés à des déchetteries, ce qui est contraignant pour les ménages (espace pour stocker les déchets dans le logement, nécessité de disposer d’une voiture, etc)

- l’amélioration de la clarté des règles de tri et un travail sur leur harmonisation : les règles divergent parfois d’une ville à l’autre, ce qui rend complexe la généralisation de ce type de comportements (couleurs des poubelles qui varient, type de déchets à recycler qui varient etc.). 40% de la population déclarent ainsi ne pas avoir où jeter beaucoup déchets.

Dans le domaine du transport le levier de la sensibilité environnementale joue très peu entre ceux qui prennent les transports en commun et ceux qui passent avant tout et quasi-exclusivement par leur voiture. Rappelons que la voiture représente encore aujourd’hui 80% des déplacements. Certains comportements ont quand même évolué, signe que le rapport à l’automobile est en train de changer. Les Français gardent ainsi leur voiture plus longtemps : l’âge moyen des voitures s’est allongé, passant de 6 ans en 1990 à huit ans depuis 2006. Les jeunes semblent également moins sensibles à la nécessité de posséder une auto : seuls 59% des 18-24 ans disposent aujourd’hui d’une voiture contre 74% il y a vingt ans. La hausse des taux d’équipement constatée au niveau national (83% des ménages en 2008, contre 77% en 1990 ou 58% en 1970) est en fait surtout portée par les séniors. Les consommateurs orientent également plus fréquemment leurs choix vers des modèles moins puissants : 79% des immatriculations neuves appartiennent à la catégorie des moins de 6 chevaux fiscaux en 2009, contre 62% en 2003.

Ces modifications de comportement sont évidemment très dictés par les contraintes financières qui pèsent sur nos concitoyens. Mais la crise est aussi l’occasion, pour les consommateurs, de remettre les pendules à l’heure : On réfléchit à la manière de faire des économies, à la réelle utilité des produits, aux conséquences de ces achats sur l’environnement, mais aussi sur l’emploi, etc.

Parmi les leviers d’actions pour que les gens utilisent moins leur véhicule, la présence et l’efficacité de transports en commun (maillage, la régularité et la fiabilité) sont déterminantes. Seuls 30% des automobilistes sont réellement très attachés à leur voiture et ne seraient pas prêts à y renoncer. Si les Français choisissent de prendre tous les jours leur voiture, c’est surtout car c’est le moyen de locomotion le plus sûr et le plus pratique.

Rappelons que tout le monde ne dispose pas de moyen de transports près de chez lui. En agglomération parisienne, 77% de la population dispose de plusieurs arrêts de transports en commun proches de leur domicile. Dans les petites agglomérations, ce chiffre tombe à 31%. Les marges de progression sur ce point sont donc énormes.

En conclusion, on peut dire que l’attention portée à l’environnement commence à se traduire dans les actes, même si ces changements peuvent ne pas être aussi rapides que certains peuvent le souhaiter.

Propos recueillis par Olivier.