Le hasard est le plaisantin de nos sentiments. Je visite l'autre jour à Avignon une exposition consacrée à Vik Muniz (1). Cet artiste développe une série d'œuvres d'art basées sur d'autres œuvres, qu'il reproduit en utilisant les matériaux les plus divers. En liaison directe ou amusée avec l'œuvre en question. La fameuse Marylin par Warhol est revisitée par du ketchup rouge façon soupe Campbell. Les tableaux campagnards de Van Gogh revivent sous forme de plantes entremélées qui semblent prélevées là où le peintre à l'oreille cassée se tira une balle. La Joconde se décline en chocolat et confiture. Piment, diamants, pâte à modeler, terre brute, tout est bon pour réinterpréter les œuvres et leur donner cette “illusion low-tech” si chère à cet artiste. On regarde de loin, on reconnait le tableau. Puis on s'approche et on découvre le matériau.
A un moment donné de la visite, je tombe en arrêt devant cette composition.
Là ma surprise se partage en deux temps. De loin, il s'agit d'une reproduction d'une photo d'un sudiste, façon guerre de Sécession. De près, c'est un entrelac de soldats de plastique, du genre qu'on achète par mini-baril. Non seulement l'image est fidèlement suivie par le dessin formé par les jouets. Mais quand je m'approche, je découvre que l'ordonnancement des petits soldats ne doit rien au hasard. Une bataille est en cours et chaque soldat prend la pose dans une intention guerrière voulue par Vik Muniz.
Déjà amusé par ce tableau quasi-vivant qui nous renvoie à nos souvenirs d'enfance, je commence à ressentir un picotement caractéristique, car la photo qui a servi de fond me rappelle furieusement une image que je connais bien. Je finis par me rappeler : c'est Mike S. Donovan, dit Blueberry, le fameux lieutenant dont je conserve pieusement les albums de ses extraordinaires aventures écrites par Charlie et dessinées par Giraud (dit aussi “Gir” et “Moebius”). C'est le gars à qui il n'arrive que des tuiles, qui manque de mourir mille fois et qui s'en sort toujours, souvent grâce à ses deux potes compagnons de picole, Mc Lure et Red Neck.
Dans l'album “Ballade pour un cercueil” figure au début une sorte de cahier historique qui retrace la vie du vrai Blueberry. En fait, c'est un personnage imaginaire. Mais les auteurs font comme s'il existait et lui donnent vie à grand renfort de vraies et de fausses archives. Et là, au beau milieu de ce cahier, il a la photo légendée “Un jeune sudiste en uniforme (peut-être Mike S. Donovan)”. Celle qui a servi à Vik Muniz.
J'adore cet exercice qui consiste à créer de toutes pièces la biographie d'un personnage fictif. Je me souviens avoir visité jadis “Le musée imaginaire de Tintin”, qui m'avait fait un effet bœuf. Comme disait Céline, “Une biographie, ça s'invente !”. La photo en question doit être une sorte de Daguerréotype de l'époque de la guerre de Sécession. Il y a quarante ans, elle avait servi à illustrer une vraie-fausse biographie d'un personnage de bande dessinée culte parmi mes cultes. Je la retrouve en calque pour bataille de soldats en plastique. Autant dire que je suis ému.
(1) Le musée imaginaire - Vik Muniz - Collection Lambert