Jeunes travailleurs, la précarité en bandoulière
Rencontrés dans le foyer de jeunes travailleurs de la Fruitaie à Nogent-sur-Oise (Picardie), et à quelques mois des élections présidentielles, Alexander, Miguel, Caroline et Ahmed témoignent d’un sentiment général de colère contre une politique antisociale et stigmatisante à l’égard des jeunes. Formation, logement, travail… Trois piliers pour lesquels il leur faut durement batailler. Trois conditions pour un avenir moins désenchanté.
En colère. Alexander (1) pique un coup de sang lorsqu’on l’interroge sur ce que les gouvernants proposent à la jeunesse. Qu’on n’aille pas lui parler de mesures, de réformes ou de lois, lui n’en a vu aucune de bien. Ce jeune homme de vingt-six ans est en CAE (contrat d’accompagnement dans l’emploi) à la mairie de Creil. Il est arrivé au foyer de jeunes travailleurs de Nogent-sur-Oise (Oise) il y a tout juste un an, passant brutalement de sa voiture à une chambre chauffée. « Je m’en souviendrai toute ma vie : une douche chaude et un lit. Cette nuit-là, j’ai dormi comme un bébé !» À l’époque, Alexander travaillait dans le bâtiment, près de Senlis. Il gagnait sa vie mais pas assez pour qu’une agence ou un propriétaire accepte de lui louer un appartement. Un logement social ? Il a fait une demande. Réponse : pas prioritaire. «J’ai fini dans mon AX. On m’a proposé le 115 mais j’avoue que ma fierté a pris le dessus. Je n’ai pas pu.» Son travail dans le bâtiment, il le regrette. « Si ma voiture n’avait pas été en panne, à l’heure qu’il est j’aurais un CDI », lâche-t-il amèrement.
Les foyers de jeunes travailleurs ont été créés dans la vague des grands mouvements d’éducation populaire qui se sont développés dans les conditions difficiles de l’après-guerre. À l’instar des années 1950, fortement marquées par la crise du logement et l’exode rural, les années 2000 sont le théâtre d’une crise qui touche à nouveau les jeunes de plein fouet. Baisse des financements publics, retards pris dans les programmes de logements sociaux et hausse considérable des prix sur le marché de l’immobilier… En 2009, 22,5 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans forment la catégorie de la population qui concentre le taux de pauvreté le plus élevé. Dans le foyer de la Fruitaie, à Nogent-sur-Oise, qui propose 77 chambres aux jeunes de seize à trente ans, le loyer moyen s’élève à 120 euros par mois. La majorité des jeunes viennent de l’agglomération creilloise. « Notre but, c’est de faciliter la mobilité et d’aider les jeunes à se stabiliser. Mais le fait que 80 % viennent du coin montre bien qu’on pallie les carences en matière de logement pour les jeunes », analyse Michel Fernandes, directeur de l’Association départementale de l’Oise pour l’habitat des jeunes (Adohj).
"Les politiques ne nous aident pas"
Caroline est apprentie assistante de gestion dans le foyer. Elle a obtenu une formation en alternance. Âgée de vingt-cinq ans, cette jeune femme y vit depuis 2006. Après un BTS mode stoppé net par manque de «contacts et de pistons», c’est par le foyer qu’elle a entamé sa reconversion. Elle dit sa chance d’avoir été aidée : «Moi, ça va, mais je trouve qu’en général, on n’aide pas assez les jeunes qui veulent s’en sortir. On préfère donner plus aux retraités. On est considérés par les politiques comme des moins-que-rien. À croire qu’ils n’ont jamais été jeunes. Leur crise, c’est nous qui la payons avec nos salaires de base.» Et de se faire la porte-voix d’une génération dite sacrifiée : «Je connais beaucoup de jeunes qui ne s’épanouissent pas. Ils cherchent des petits boulots, ils vivent au jour le jour. Des fois, je me dis qu’au chômage, je pourrais toucher plus d’aides et peut-être que je me porterais mieux.» Alexander, habitué des familles d’accueil, ne voulait pas du foyer. Mais il a vite changé d’avis : « Depuis un an, on m’a aidé à me reconstruire, les choses avancent peu à peu.» Décrocheur précoce, il se retrouve à l’âge de quatorze ans dans un centre de formation professionnelle dans les métiers du BTP. Entre dix-huit et vingt-quatre ans, c’est le trou noir coincé entre le «bizness» et l’alcool. Puis repêché grâce à de belles rencontres. S’il avance doucement dans ses projets, il semble éminemment révolté sur la marche politique du siècle : « La TVA sociale, c’est vraiment nous prendre pour des cons. Quand on vous parle de fermeture d’usines, d’emplois supprimés et que Total fait 7 milliards de bénéfices, c’est écœurant. Les politiques ne nous aideront jamais. Pourquoi j’irais voter ? » Même si les jeunes avaient massivement voté en 2007, ils faisaient déjà partie de la catégorie des abstentionnistes : 22 % contre 15 % du reste de la population. Ils ont aussi boudé les législatives de 2007 à 52 % ainsi que les européennes à 70 %.
Malgré son refus de voter, Alexander pointe clairement la responsabilité du gouvernement dans les dégâts provoqués par la crise. Très informé, lecteur assidu de la presse, Alexander ne comprend pas la stratégie des privatisations : « Les autoroutes, EDF, La Poste, l’école… Les autoroutes sont des mannes incroyables. On pourrait construire avec cet argent plus de logements sociaux. On devrait arrêter de supprimer des postes de profs. Si mon prof avait pu s’occuper de moi, au lieu de gérer une classe de 35 élèves, j’aurais peut-être continué les études. On devrait aussi encourager les entreprises, les petites et les moyennes, à s’installer dans des bassins désindustrialisés. Nous, la seule chose qu’on veut, c’est des emplois corrects. Bien sûr que je suis en colère puisqu’on nous met des bâtons dans les roues. » Alexander gagne 600 euros par mois. Dans le bâtiment, il touchait le double mais dormait dans sa voiture. À quoi bon dès lors être salarié ? « C’est le monde à l’envers. Il faut être au chômage, malade, à l’agonie pour avoir des aides. Si vous travaillez et que vous gagnez un peu, c’est fini, on ne vous aide plus. C’est presque moins intéressant de travailler. »
Des incertitudes trop fortes
Un avis partagé par Miguel Cariedo-Villa. Ce jeune homme de vingt-cinq ans vient de Jeumont, petite ville frontalière du nord de la France. Il vit au foyer depuis 2009. Intérimaire, il travaille comme contrôleur visuel à l’usine Montupet de Laigneville. Les bons mois, son salaire tourne autour de 1 500 euros. Bénéficiaire d’un appartement géré par l’Association départementale de l’Oise pour l’habitat des jeunes (Adohj) à Montataire, commune voisine de Nogent, son loyer engloutit 500 euros sans compter les frais de voiture et l’alimentaire. « Pendant un an et demi, j’ai fait du travail de rénovation en contrat d’insertion pour le foyer puis j’ai trouvé du travail à l’usine. Avec le salaire qui varie en fonction des commandes dans l’automobile, j’ai du mal à mettre de l’argent de côté. Des fois, je suis à découvert.» De politique, d’élection présidentielle, Miguel ne veut pas en entendre parler. Son impression générale : « Les politiques ne font rien pour nous, les jeunes. Je n’ai jamais voté, je ne me suis jamais intéressé à la politique mais une chose est sûre, je ne porte pas Sarkozy dans mon cœur. »
Ce jour-là, Miguel accueille au foyer un ami d’enfance de Jeumont. Ahmed Boudjemil, vingt-quatre ans, intérimaire dans les centrales nucléaires thermiques. De passage à Nogent, où vit également son frère, il raconte : « Six mois de l’année au chômage et six mois comme électro-bobinier dans les centrales en France. Franchement, je ne me plains pas. Je gagne plus de 4 000 euros par mois.» S’il s’estime bien loti, son chômage a nettement baissé : « Il y a deux ans, je touchais 1 400 euros par mois de chômage. Aujourd’hui, c’est 500 euros. C’est Sarkozy qui nous vole notre argent.» Ahmed s’interrompt net. Et poursuit : « Moi, mon problème, ce n’est pas le travail mais plutôt la police, dit-il sans transition. Je paye mes impôts, je travaille, je fais mon possible pour vivre, je ne suis pas un délinquant. Mais à Jeumont, dans ma ville, je me fais contrôler tout le temps. Parfois, jusqu’à trois fois en deux jours ! Pourquoi ? » Résultat : Ahmed ne se sent pas un citoyen français. « La police m’a dégoûté de cette France. Je pense de plus en plus à partir d’ici.» Il votera tout de même parce qu’il ne voudrait pas voir passer Sarkozy une deuxième fois.
Envisager une famille, une maison, des enfants. Tout cela semble bien loin pour les jeunes rencontrés au foyer de Nogent-sur-Oise. L’avenir est flou, parfois sombre. Miguel, l’intérimaire de Montupet, ne voit pas comment il arriverait à «se poser». Trop d’incertitudes. « Voilà deux ans que je suis dans l’Oise. Ça me fatigue un peu de ne pas savoir pour le travail. Je pense peut-être partir dans les usines suisses. Dans l’horlogerie, ils cherchent des gens avec des petites mains, dit-il en souriant. Il y a plus de travail que pour les ingénieurs et les diplômés. J’en connais trop qui sont au chômage…» Et Alexander de conclure, entre amertume et détermination : « On met nos droits à l’envers, s’emporte-t-il. On n’y voit pas clair, je ne vois pas d’avenir. Pourtant j’essaie d’y croire. Je m’installe bientôt avec ma copine dans un appartement du foyer. Mais quand on vous dit que des emplois sont supprimés à longueur de journée, que les usines partent au Maroc, on est en droit de se demander s’il restera du travail en France. Je ne sais pas si je veux avoir des enfants. Est-ce qu’ils auront du travail ? Je ne veux pas qu’ils subissent les mêmes galères que moi. »
Ixchel Delaporte journaliste à l'Humanité Article paru sur son blog http://quartierspop.over-blog.fr/(1) Le prénom a été changé par souci d'anonymat