Nous avions observé dans un article précédent, comment le sencha s'est en réalité développé durant la 2ème moitié du 19ème siècle en tant que produit destiné à l'export vers les États Unis essentiellement, et fut ainsi le 2ème moteur de la croissance du pays après la soie. Cet age d'or s'est néanmoins terminé peu à peu à partir du 20ème, à cause de problèmes de qualités, et de changement dans les habitudes alimentaires occidentales, faisant les consommateurs se tourner avec le thé noir. Aussi, les efforts du Japon pour produire du thé noir ne furent pas payants.
Si la paralysie des exports d'Inde et de Ceylan pendant la 1ère guerre mondiale permirent au Japon d'enregistrer en 1917 un pic de 30.1002 tonnes de thé exporté, cela fut un rebond de courte durée, la reprise de l'activité à Ceylan et en Inde font retomber ce chiffre en 1921 à 7.138 tonnes.
De nouveaux horizons...
Il est donc de toute première importance pour le Japon de trouver de nouveaux marchés pour ce sencha qui occupe une place tellement importante dans son industrie, tout en étant un produit bien trop luxueux pour être consommé par les Japonais.
Les attentions vont se tourner vers des pays traditionnellement grands consommateurs de thé : l'Union Soviétique et les pays musulmans du Moyen Orient.
Néanmoins, ces pays sont des consommateurs de thé vert chinois, préparé au wok (par chauffage direct), c'est à dire de type "kama-iri" (釜炒り), et surtout dont les feuilles sont courbes, et non toutes droites comme celles du sencha. Toutes les installations sont prévues pour la fabrication de thé vert étuvé, il est donc impossible de passer à une production industrielle de kama-iri cha, C'est alors que l'on créa à destination de l'exportation le mushi-sei tamaryoku-cha 蒸し製玉緑茶 que l'on appelait alors guri-cha ぐり茶 ou yonkon ヨンコン. L'une des phases de malaxage (celle qui s'appelle seiju 精揉) du processus de fabrication du sencha est passée, de manière à ce que les feuilles ne soient pas roulées en forme de longues aiguilles. On obtient alors un thé à l’étuvée dont la forme se rapproche de celle des thés verts chinois, pouvant donc y être blender sans problèmes.
L'origine du terme "guri-cha" serait avec "guri" une déformation de "guriin" (グリーン), c'est à dire de la prononciation japonaise de l'anglais "green". Pour yonkon on propose une déformation de Yôkô, prononciation japonaise d'une localité chinoise de la région de Shanghai où était centralisé le thé, 甬江. On propose également une déformation d'un terme qui désignait en chinois les sociétés étrangères de commerce internationale, qui se prononce aussi en japonais "yôkô" est signifie "à destination de l'occident", 洋行.
Cette entreprise connait un certain succès.
... Une nouvelle crise
La 2nde guerre mondiale paralysa l'ensemble du commerce international.
De 23.000 tonnes de thé japonais exporté en 1939, on passe en 1945 à 1500 tonnes. Durant la guerre les négociant étrangers quittèrent le pays, et les rares à vouloir rester furent chassés. Aussi, en raison de la pénurie alimentaire qui touche alors le Japon, il devient peu à peu de plus en plus difficile de maintenir les plantations de thés, et nombreuses sont celles qui furent transformées en champs pour y cultiver des légumes.
Vers la reconstruction ?
1946 fut l'année la plus difficile quant au manque de vivres. Une aide alimentaire fut fournie au Japon par les Alliés, pour partie gratuite, pour une autre partie contre compensation. Le thé fut choisie comme l'un des produits d'échange contre l'aide alimentaire et énergétique. Cela redonna un grand bol d'air aux plantations et aux usines.
Dans la période de l'immédiat après-guerre, les États Unis furent de nouveau la principale destination du thé japonais, puis, très vite, ce thé pris la route vers l'Afrique du Nord, en particulier le Maroc et l'Algérie par l'entremise gouvernementale de la France. Pour ces pays traditionnellement importateurs de thé vert chinois, on fournit bien évidemment du guri-cha.
L'export du thé se faisait encore essentiellement via le port de Shimizu à Shizuoka. Un certain nombre de négociants étrangers revinrent à Shizuoka. De 3.370 tonnes exportées en 1946, on passe 17.179 tonnes en 1954.
Malheureusement, ce chiffre de 1954 est un pic, et les années suivantes voient un déclin continue de ces exportations. Il y eu 2 raisons à cela.
La première est l'apparition de concurrence, d'abord Taiwan, qui s'en va vendre du thé vert jusqu'en France, et ensuite le retour de la Chine. L'un est l'autre produisant du thé vert de type kama-iri, que consomme traditionnellement les pays d'Afrique de Nord, la concurrence est bien trop rude pour le tamaryoku-cha étuvé du Japon.
L'autre raison est interne au Japon. A partir de 1956, on entre dans une période de haute croissance économique, qui est à l'origine d'un manque de main d’œuvre dans les villes, d'exode rural, et donc d'un manque de main d’œuvre dans les campagnes. Ainsi, le coût de cette main d’œuvre augmente, et avec elle le prix du thé.
Parmi les efforts fait pour maintenir ce commerce international du thé japonais, on peut noter l'ouverture en 1958 à Casablanca d'une boutique de thé japonais, tenu par un japonais. Celle-ci ferma ses portes 3 ans plus trad.
On arrive alors en 1959. Cette année là, on fêtait "les 100 ans de l'export du thé japonais".... fête qui sonnait plutôt comme une veillé funèbre pour ce commerce.
Le besoin urgent de trouver un nouveau marché se fait plus que jamais sentir. Et enfin, ce sera ... le Japon !
Source: 日本茶輸出の150年 vol 2 & 3 ("Les 150 ans de l'Export du Thé Japonais vol 2 & 3") par Takau Masamitsu, dans 茶論 Saron n°39 & 40