Dans ce discours présenté le 3 février 2012 devant la Chambre de commerce de Toronto, Maxime Bernier, ministre d’État pour les petites entreprises et le tourisme du Canada, propose une critique affutée de la théorie keynésienne, totalement inadaptée à ses yeux pour sortir de la crise économique. Le 14 février 2012, le Financial Post en a publié un extrait sous le titre « Give Keynes the boot ».
Par Maxime Bernier, depuis Toronto, Canada.
Discours traduit par l’Institut économique Molinari
Comme vous le savez, elle a commencé sous la forme d’une crise financière provoquée par l’effondrement de la bulle immobilière aux États-Unis. Elle s’est ensuite répandue à travers le monde et a entraîné une récession. La plupart des gouvernements ont réagi en adoptant d’ambitieux plans de relance qui ont alourdi les dettes déjà élevées qu’ils avaient. Elle s’est maintenant transformée en crise de la dette publique et en crise budgétaire, en particulier en Europe et aux États-Unis.
Certains pays européens, comme la Grèce, doivent maintenant être sauvés de la faillite. D’autres, comme l’Italie et l’Espagne, ont des problèmes sérieux. Certains seront de nouveau en récession cette année. Plusieurs analystes prévoient que tout cela pourrait entraîner l’effondrement de l’union monétaire européenne.
De leur côté, les États-Unis accumulent depuis plusieurs années des déficits gigantesques qui mettent en danger l’économie américaine à moyen terme. Au contraire, la situation est sous contrôle au Canada. Notre économie a créé plus d’emplois depuis la récession que nous en avons perdus durant la récession. Le Canada n’a pas trop souffert, en partie parce que nous avions des finances publiques saines avant la crise. Et parce que notre plan de relance a été limité et bien ciblé, en grande partie sur des projets d’infrastructure dont nous avions besoin.
Nous n’avons pas perdu le contrôle de nos dépenses. Nous n’avons pas créé de déficits non viables. Et aujourd’hui, nous sommes clairement sur la voie du retour à l’équilibre budgétaire et, à moins que la situation internationale ne se détériore, d’une croissance économique soutenue.
Pourquoi le Canada se retrouve-t-il dans une situation économique relativement enviable, alors que nos partenaires connaissent toujours de sérieuses difficultés ? Parce que nos partenaires appliquent les préceptes d’une école de pensée économique qui s’appelle le keynésianisme. Cette théorie a été développée par l’économiste britannique John Maynard Keynes.
Keynes avait très peu confiance dans les entrepreneurs et le libre marché. Il était un fervent défenseur de l’intervention du gouvernement dans l’économie. L’une des principales idées de Keynes est qu’en période de crise ou de récession, la meilleure façon d’en sortir est d’augmenter les dépenses du gouvernement.
Les dépenses publiques vont soutenir la demande globale, remettre tout le monde au travail et relancer l’économie. Même si le gouvernement a déjà un déficit élevé et une grosse dette accumulée, ce n’est pas grave. Il faut emprunter et dépenser.
C’est l’un des paradoxes proposés par Keynes : la solution à trop de dépenses est de dépenser encore plus. La solution à des niveaux élevés de déficit et de dettes est encore plus de déficit et de dettes.
Les économistes keynésiens prétendent que si l’économie américaine ne s’est toujours pas complètement remise de la crise, c’est parce que le gouvernement ne dépense pas suffisamment. Pour eux, des déficits budgétaires annuels correspondant à 10% du PIB, ça ne suffit pas. Il souhaite des déficits encore plus importants. Pour vous donner une idée, le déficit budgétaire du Canada cette année correspond à un peu moins que 2% du PIB. Il y a quelque chose de fondamental qui cloche dans cette explication. La question centrale qu’on doit se poser est celle-ci : d’où vient l’argent que le gouvernement dépense ? Il doit bien venir de quelque part. Un gouvernement ne peut pas injecter des ressources dans l’économie à moins de les avoir d’abord retiré du secteur privé par des taxes et des impôts ; ou de nous avoir endettés davantage en empruntant l’argent.
Chaque fois que le gouvernement prend un dollar additionnel dans la poche de quelqu’un, c’est un dollar que cette personne ne pourra pas dépenser ou investir. Les dépenses publiques augmentent ; les dépenses privées diminuent. Il n’y a aucun effet net, aucune augmentation de la demande globale. Les emprunts du gouvernement ont le même effet. Les investisseurs privés qui prêtent l’argent au gouvernement auront eux aussi moins d’argent à dépenser ou à investir ailleurs. Ou bien, ils auront moins d’argent à prêter à des entrepreneurs du secteur privé. Les emprunts et les dépenses publics augmentent ; les emprunts et les dépenses privés diminuent. Il n’y a aucun effet net, aucune augmentation dans la demande globale.
C’est comme prendre une chaudière d’eau dans le coin de la piscine ou l’eau est profonde pour la jeter dans le coin où c’est moins creux. Et il est évident que ça ne fonctionne pas. Nos amis keynésiens à Ottawa, les néo-démocrates et les gens de gauche, devraient comprendre ça.
Voyons ce qui est arrivé dans le pays qui a mis en œuvre ce genre de politique de façon très poussée : le Japon. Il y a vingt ans, le Japon a souffert d’une crise similaire à celle qui a frappé récemment les États-Unis. Une bulle spéculative qui s’était développée dans le secteur immobilier a finalement éclaté en 1990. Les prix se sont effondrés et cela a eu un impact négatif sur toute l’économie.
Le gouvernement japonais s’est lancé dans une série de programmes de dépenses publiques pour stimuler artificiellement l’économie. Il a dépensé des billions de yen. L’économie japonaise n’est cependant pas sortie de sa torpeur. En 1990, la dette publique brute du Japon correspondait à 68% du PIB. Aujourd’hui, c’est 225%. La dette publique japonaise est la plus élevée au monde. Et les Japonais n’ont pas obtenu grand-chose en retour. Ce n’est pas parce qu’on dépense tout ce qu’on peut avec sa carte de crédit qu’on s’enrichit. Et pourtant, s’il faut en croire la logique du keynésianisme, l’économie japonaise aurait dû connaître la croissance la plus rapide dans le monde depuis vingt ans.
Voici deux autres exemples historiques qui permettent de contredire cette théorie.
Dix ans avant la Grande Dépression, en 1920 et 1921, l’économie américaine a subi une très grave récession. Presque personne n’en a entendu parler, parce qu’elle n’a pas duré très longtemps. L’économie a chuté de 17%. Le chômage est passé de 5 à 12%.
Le président à l’époque, Warren Harding, ne croyait pas qu’on pouvait relancer l’économie en augmentant les dépenses publiques. Au contraire, il croyait que le gouvernement devait s’enlever du chemin.
Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a réduit le budget du gouvernement de presque la moitié. Il est passé de 6,3 milliards de dollars en 1920, la dernière année du gouvernement Wilson, à 3,3 milliards en 1922. Harding a aussi réduit les impôts.
Nos amis keynésiens et les partis d’opposition à Ottawa vont dire que ce n’est pas du tout ce qu’un gouvernement devrait faire pour relancer l’économie. Mais c’est pourtant précisément ce qui est arrivé. Dès la fin de 1921, l’économie avait repris de la vigueur et a en croissance pendant le reste de la décennie. Le chômage est rapidement descendu à 2,4% en 1922.
Qu’en est-il de la Grande Dépression ? Beaucoup de gens pensent que c’est le New Deal du président Roosevelt qui a mis fin à la crise. Mais ce n’est pas du tout ce qui est arrivé. Malgré toutes les nouvelles dépenses et les nouveaux programmes du New Deal, la Dépression s’est poursuivie année après année. En 1939, le secrétaire au Trésor de Roosevelt, Henry Morgenthau, a fait cet aveu surprenant : « Nous avons essayé de régler le problème en dépensant de l’argent. Nous dépensons plus que nous avons jamais dépensé auparavant et ça ne fonctionne pas. Huit ans après l’entrée en fonction de ce gouvernement, nous avons autant de chômage que lorsque nous sommes arrivés. Et une énorme dette par-dessus le marché ! »
On entend également souvent dire que c’est la Deuxième Guerre mondiale qui a mis fin à la Dépression. Ce n’est pas non plus ce qui est arrivé. Le chômage a certainement reculé, parce que des millions d’hommes ont été conscrits et envoyés au front. Mais la situation ne s’est pas améliorée pour l’Américain moyen. La plupart des produits de consommation de base étaient rationnés pendant la guerre. Il n’y a pratiquement pas eu de construction.
La Dépression a en fait pris fin après la guerre. C’est à ce moment que les dépenses du gouvernement ont chuté de façon draconienne. Le budget est passé de 92 milliards de dollars en 1945 à 29 milliards en 1948. Ça signifie une réduction de plus des deux tiers !
La prospérité d’après-guerre a débuté à ce moment-là. La société de consommation telle qu’on la connaît, où une famille moyenne a les moyens de se payer un frigidaire, une voiture, une maison, date de cette époque.
Encore une fois, si on suit la logique keynésienne, ce n’est pas comme ça que ça aurait dû se passer. En faisant toutes ces compressions budgétaires, le gouvernement a réduit la demande globale. L’économie aurait dû s’effondrer. Mais il faut voir les choses d’une autre perspective : le gouvernement a libéré des ressources qui sont devenues disponibles pour le secteur privé. C’est pour ça que l’économie a repris le chemin de la croissance.
Quand il dépense, le gouvernement fait toujours concurrence au secteur privé pour mettre la main sur des ressources rares. Lorsqu’on détourne des ressources de l’utilisation la plus productive qu’elles peuvent trouver dans le secteur privé, pour les utiliser à des fins moins productives dans le secteur public, on ne verra pas beaucoup de croissance.
Pour relancer l’économie, il faut donner aux entrepreneurs les moyens de créer de la richesse. Nous devons mettre en place les meilleures conditions possibles pour que le secteur privé devienne plus productif.
Cela signifie, en premier lieu, de contenir les dépenses. C’est ce que fait notre gouvernement, avec un plan clair pour atteindre l’équilibre budgétaire d’ici 2015. Dans le prochain budget, notre gouvernement annoncera des compressions de 5 à 10% dans les dépenses d’opération de l’État. Voilà une façon concrète de cesser de concurrencer le secteur privé.
Nous devons également réduire les impôts. Depuis le 1er janvier, l’impôt sur les sociétés au Canada est passé à 15% le plus bas niveau parmi les pays du G7. Il était à 22% quand nous sommes arrivés au pouvoir il y a six ans. Voilà une façon concrète de rendre les ressources disponibles pour le secteur privé. Nous avons besoin de plus de libre-échange. Notre gouvernement a annoncé des accords de libre-échange avec 11 pays jusqu’à maintenant. Nous sommes toujours en train de négocier avec plusieurs autres. Nous espérons pouvoir annoncer bientôt une entente très importante avec l’Union européenne. Voilà une façon concrète d’élargir les marchés et les opportunités qui s’offrent au secteur privé.
Enfin, il nous faut moins de réglementation. La paperasse inutile est une taxe cachée sur le travail des entrepreneurs qui touchent surtout ceux qui sont le moins capables de la supporter : les petites entreprises. La paperasse inutile ralentit la croissance économique et la création d’emploi, diminue la productivité et a potentiellement pour effet d’écraser l’esprit d’entreprise des Canadiens.
Le 18 janvier dernier, j’ai dévoilé le rapport de la Commission sur la réduction de la paperasse. Il contient 90 recommandations à court terme pour se débarrasser des irritants réglementaires. Et 15 recommandations à long terme pour éviter que la paperasse se remettre à augmenter encore une fois. Voilà une façon concrète de libérer les énergies du secteur privé.
Il est impossible d’atteindre une croissance durable avec plus de dépenses publiques, plus de dettes, et plus de taxes et d’impôt. Ça, c’est la solution keynésienne. C’est ce que l’opposition à Ottawa n’arrête pas de demander. Leur seule solution pour n’importe quel problème, c’est plus de dépenses, plus de taxes, plus de stimulus artificiel et plus de dettes. Ils ne se rendent pas compte que trop de stimulus agit comme un sédatif économique plutôt que comme un stimulant. On ne peut pas retrouver le chemin de la prospérité simplement en dépensant toujours plus.
Les solutions keynésiennes ont échoué. Ce qu’il nous faut, c’est une approche conservatrice, qui met l’accent sur le rôle primordial du secteur privé pour créer de la richesse et soutenir la croissance économique.
La libre entreprise a fait du Canada un pays prospère. C’est la libre entreprise qui va nous sortir de cette crise.
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