Il est grand temps, en ce 1er mars 2012, de publier l’ensemble des textes qui ont été publiés par nos membres dans le cadre de notre défi d’écriture mensuel ! Ce mois-ci le thème fut “La Sibérie”.
Participer à nos défis d’écritures
Pour participer à ces défis d’écriture, il vous suffit de vous rendre chaque mois dans notre forum. Nous organisons en effet un défi différent tous les mois depuis plus d’un an. Le thème est choisi collectivement après que les auteurs des trois textes les plus appréciés proposent chacun quelques thèmes de leur choix. Un fois le thème choisi, tout le monde peut facilement et librement participer en publiant un texte dans le forum dédié au défi !
Les textes sur le thème de la Sibérie :
Vous pouvez voter ici pour votre texte préféré jusqu’au lundi 5 mars à 12H00. Le gagnant pourra proposer trois thèmes pour le défi de mars, le second deux et le troisième un seul. Un vote sera ensuite effectué parmi toutes ces propositions (fin du vote vendredi à 17heures).
Alors, lequel de ces textes a votre préférence ?
Texte de Gregory_Lemarchand :
La terreur souterraine de la nuit des temps perdus.
Extrait du journal du Professeur William Dyer, université de Miskatonic. 1908
J’aborde à présent la partie la plus cruciale et la plus difficile de mon récit – d’autant plus difficile que je ne peux être tout à fait certain de sa réalité. J’ai parfois l’inquiétante certitude qu’il ne s’agissait ni de rêves ni d’illusion et c’est ce sentiment – étant donné les formidables implications qu’entraînerait la vérité objective de mon expérience – qui me pousse à rédiger ce document.
Dans la nuit du vingt-neuf au trente juin, je fus réveillé par un bruit sinistre et repoussant. Ou plutôt, par une vibration méphitique de l’air, un phénomène révulsant d’outre-monde qui m’évoqua immédiatement les paragraphes les plus noirs jamais couchés sur le parchemin par l’arabe dément Abdul Al-Hazred, que j’avais étudié lors de ma première année de cursus à l’université de Miskatonic -je n’aurais jamais dû suivre ce cours intitulé “Initiation au management, livres maudits, et gestion des ressources humaines dans l’Entreprise”.
Je me levais de ma couche, ruisselant d’une sueur glacée par le froid infernal qui régnait dans notre yourte de fortune. En cherchant instinctivement à discerner les corps endormis de mes compagnons malgré l’obscurité totale, je me remémorais le songe qui m’avait mis dans cet état de tension extrême.
Mon inconscient ou une force immémoriale venue d’une autre planète m’avait de nouveau emmené parmi les ruines cyclopéennes de la cité pré-mésozoïque des Grands Anciens. J’avais parcouru cette fois la section jeunesse de la bibliothèque maudite de l’ère des céphalopodes anthropomorphes ailés plutoniens qui vivront huit millions d’années après la fin de l’humanité, des êtres bicéphales qui ne s’exprimeront que par une modulation de l’air obtenue à l’aide d’un muscle annulaire vibrant à la sortie d’un de leur nombreux tubes digestifs. En m’habillant machinalement, je pris subitement conscience que mon réveil était dû à l’appel d’un de ces êtres dont les légendes interdites racontent qu’ils avaient régné sur la Terre avant même que la lune ne se détachât de sa surface. Seule l’horreur absolue qu’impliquait une telle constatation m’empêchait de jurer que cette vibration, plainte lugubre d’un Grand Ancien, n’était pas venue de mon rêve, mais de l’extérieur.
Toujours dans un état second, quasiment hypnagogique, poussé par une incitation irrépressible, qui surpassait à la fois mon instinct de survie, ma rigueur scientifique et mon envie de dormir, je traversai le camp et allai ouvrir l’enclos des chiens. Sans bruit, car eux aussi paraissaient frappés d’une espèce de somnambulisme possédé, je les attelai au traîneau que j’avais préalablement, pour une raison que je ne puis m’expliquer encore, chargé de toute la dynamite destinée à faciliter les entreprises géologiques de notre groupe universitaire de recherches. Je partis ainsi, au beau milieu de la nuit, vers un inconnu qui avait vécu des millions d’années avant la naissance de l’homme.
Après quatre heures de traversée nocturne durant lesquelles les chiens s’étaient guidés eux-mêmes, comme si la force obscure et visqueuse qui avait pris la possession de mon subconscient s’était également emparée des leurs, nous arrivâmes dans une clairière où ils s’arrêtèrent, épuisés.
J’eus la conscience soudaine du vent monstrueux qui cinglait mon visage et compris qu’une tempête s’était levée pendant mon voyage . J’étais seul, au coeur de la nuit, au milieu de nulle part, sans abri, sans vivre, et sans pouvoir retrouver mes traces du fait de la tempête qui avait déjà dû les balayer.
C’est alors que la vibration méphitique retentit à nouveau. Transi de froid, de peur, d’abjection pour ces souvenirs d’une autre époque que j’avais essayé pendant tant d’années de refouler, je me raidis et demandai d’une voix chevrotante :
“Qui.. qui va là ?”
Deux cônes de lumière jaillirent de la forêt de sapins qui m’entourait, très proches l’un de l’autre, comme les appendices immatériels de quelque être tellurique émergé des entrailles de la terre. Les chiens aboyèrent, tandis que je tombai à genoux, terrorisé par ces raies luminescentes qui se rapprochaient de moi. Alors que j’invoquai la miséricorde d’un Dieu auquel depuis de nombreuses années j’avais cessé de croire, une forme émergea de la forêt et s’avança lentement vers moi. L’être était composé d’une sorte de double tronc noir, dont chaque partie était parée de cinq appendices : trois en partie supérieure, et deux très courts en partie inférieure, qui permettaient à la chose de se mouvoir. Sur la partie haute, à un peu plus d’un mètre de hauteur, un appendice de chaque tronc se terminait par une membrane circulaire qui émettait cette lumière impossible, tandis que symétriquement un autre s’achevait par une sorte de tube oblong qui était dirigé vers moi. Enfin, les deux derniers appendices, surmontant chaque tronc, semblaient être le double siège sensoriel de cet être. L’un des deux était couronné de poils rouges. Le monstre, à quelques pas de moi, s’arrêta, et prononça ces étranges paroles d’une autre galaxie :
“-Agent Fox Mulder.
-Agent Dana Scully.
-Nous sommes le FBI !”
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Extrait du journal intime de l’Agent Dana Scully, FBI.
22 septembre 2002.
Chère Kitty,
Mulder est im-pos-sible. Lorsque je suis rentrée dans son bureau, ce matin, il m’a agité une photo sous le nez, et m’a dit, avec son sourire niais de “je-vais-encore-te-montrer-une-connerie-vachement-paranormale” :
“Tu sais ce que c’est, Scully ?”
Là j’ai pris mon air blasé, en partie pour le rembarrer et en partie parce que ça sentait vraiment le renfermé dans son sous-sol :
-Ca ressemble au cratère de Toungouska. Une météorite a explosé au-dessus de la forêt, en 1908, ce qui a créé ce cratère géant et couché tous les arbres dans un rayon d’un paquet de kilomètres à la ronde”.
Du coup il a arrêté de sourire bêtement et j’ai été super contente de m’être abonnée à Discovery Channel le mois dernier.
Après un blanc, il est allé se rasseoir à son bureau, pile dans la position qu’il avait quand j’étais entrée, il m’a montré la porte et m’a dit :
“-Scully, tu sors.
-Pardon ?
-Tu sors, tu re-rentres, je me lève de mon bureau, je te montre cette photo, je te demande si tu sais ce que c’est, et toi tu me dis : “Non, Mulder, qu’est-ce que c’est ?”
-Mais pourquoi ?
-Tu vois ce poster derrière moi ?” demanda-t-il en désignant le seul ornement du débarras qui lui sert de bureau.
“-Mulder, pourquoi ce jeu puéril de devinettes ?
-Tu le vois ou tu ne le vois pas ?
-Je le vois, Mulder, je le vois.
-Et que dit-il, ce poster ?
-”I want to believe”.
-Et puis ?
-Et puis… c’est tout ?
-Non, Scully, non, ce n’est pas tout.
-Y a-t-il écrit “photo non contractuelle” en tout petit dans un coin ?
-Pas du tout. Ce que dit ce poster, c’est qu’ici, c’est mon bureau. Les affaires non classées, ce sont mes affaires non classées. Ici, le chef, c’est moi. Ton rôle à toi c’est de me faire valoir. Alors, tu sors, tu reviens, et tu me fais valoir.
-Fox, tu me donnes l’impression de m’adresser à un enfant gâté de huit ans.”
Evidemment, il s’est mis à pleurer.
“-Samantha a été enlevée par des extra-terrestres quand j’avais huit ans, Scully ! Tu n’as pas le droit de me remémorer de tels souvenirs !”
Sainte Marie mère de Dieu : encore sa soeur ! Kitty, tu te rends compte que c’est son seul mécanisme de défense à tous les problèmes qu’il rencontre ? Même au fisc il leur a parlé de sa soeur !
Bref, je suis sortie du bureau, et j’ai fait comme il a dit.
“-Tu sais ce que c’est, Scully ?
-Oh la la, non Mulder, c’est quoi ?
-C’est le cratère de Toungouska. Une météorite a explosé au-dessus de la forêt, en 1908, ce qui a créé ce cratère géant et couché tous les arbres dans un rayon d’un paquet de kilomètres à la ronde.
-Super Mulder, et tu me montres ça parce que c’est la dernière vignette de ton album Panini des phénomènes rationnels et scientifiquement expliqués ? Les autres-lettres-de-l-alphabet-Files ?”
Il a fait la moue et ses yeux ont commencé à se lubrifier.
“-Non mais ça va Mulder, c’est aussi mon rôle de te vanner avec des arguments scientifiques pour mettre en valeur ta quête du paranormal.
-Bon, c’est vrai. Alors pour te répondre, je te montre cette photo parce que c’est notre prochaine mission : nous allons en Sibérie.
-Mais pourquoi ?
-A cause du cratère de Toungouska.
-Mais ça s’est passé en 1908 !
-Oui mais personne ne l’a jamais expliqué.
-Mais si ! Discovery Channel l’a expliqué ! Avant-hier soir ! La météorite !
-Et si c’était plutôt… une explication paranormale ?
-Mais ça n’a aucun sens, Mulder ! On ne peut pas aller ouvrir une enquête en Sibérie parce que tu as retrouvé une vieille photo en rangeant ton bureau !”
Alors, il m’a regardé droit dans les yeux, et il a chuchoté :
“Scully, je pense que ça a un rapport avec l’enlèvement de ma soeur.”
Bref, nous sommes en route pour la Sibérie.
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Extrait d’une conversation enregistrée dans les locaux des Bandits Solitaires.
Archives secrètes du FBI.
Classé Confidentiel Code 7.65.
Agent Fox Mulder : … et alors à ce moment-là, en pleine tempête, on débouche dans une clairière et on tombe nez à nez avec…
Richard Langly : Un alien ?
Melvin Frohike : Un petit gris ou un grand bleu ?
John F. Byers : Un polymorphe sans visage ?
Agent Fox Mulder : Non, simplement un type sur un vieux traîneau, à moitié congelé au milieu de ses chiens.
Richard Langly : Tu nous racontes tout ça pour nous dire que tu es tombé sur un péquenaud dans la forêt ?
Melvin Frohike : C’est décevant.
John F. Byers : C’était peut-être un polymorphe sans visage.
Agent Fox Mulder : Non non, il avait un visage. Un visage étrange, d’ailleurs : tout en longueur, rasé de près, la raie sur le côté, avec une mâchoire plutôt forte.
Melvin Frohike : C’est sûr que s’il avait la raie sur le côté, ça devient passionnant.
Agent Fox Mulder : Au milieu de nulle part, à quatre heures du matin, à des semaines de traîneau du transsibérien !
John F. Byers : Il doit bien y avoir des paysans russes propres sur eux, quand même.
Agent Fox Mulder : Mais il n’était pas russe, en plus ! C’était un américain, du Massachusetts. Bon, donc, on tombe sur lui, et je lui demande : “vous avez de la dynamite ?” Alors Scully dit : “Mais enfin Mulder, fais preuve de parcimonie scientifique nom de Dieu ! Sans même parler de la barrière du langage, quelle est la probabilité que ce brave homme transporte de la dynamite ?”
Melvin Frohike : Elle était habillé comment ?
Agent Fox Mulder : Et là le type me répond, en anglais : “Oui, environ cent cinquante kilos.”. Alors du coup Scully dit : “Mais enfin, c’est impossible !” Et moi je reprends : “Il y a une trappe scellée à trois cents mètres vers le nord-nord-ouest. Je pense que le seul moyen de savoir ce qui se cache dessous est de la dynamiter. Suivez-nous !” Le gars nous suit en nous demandant de ne pas le manger vivant, alors Scully se plaint qu’on ne sait même pas qui c’est, du coup je lui demande, et il nous dit qu’il s’appelle William Dyer, qu’il est professeur à l’université de Miskatonic, et qu’il est venu en Sibérie pour exorciser des rêves paranormaux qui pourraient avoir un lien avec l’enlèvement de ma soeur.
Richard Langly : Comment a-t-il su pour ta soeur ?
Agent Fox Mulder : Non mais il ne l’a pas dit comme ça, mais il y avait un rapport évident entre ses rêves et ma soeur.
John F. Byers : Quel lien ?
Agent Fox Mulder : C’était paranormal.
John F. Byers. Ok…
Agent Fox Mulder : Bref on dynamite la serrure de la trappe, on ouvre le battant en fonte massive, et là on découvre un tunnel sans fond. Avec une échelle pour y descendre.
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Extrait manuscrit d’un chapitre perdu des Carnets du Sous-sol, par Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
Décembre 1863
Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Je suis un homme déplaisant. Je crois que… Ah ah ah, messieurs, je crois que je vous l’ai déjà dit. Que voulez-vous, après toutes ces années à vivre dans la solitude et les moisissures du sous-sol, nez-à-nez avec sa propre infamie, on finit par ne plus savoir ce qu’on dit. D’ailleurs, je ne sais plus ce que je disais. Ah, voilà un phénomène plaisant ; d’ailleurs il se peut que je me considère comme extrêmement intelligent pour la seule raison que de toute ma vie je n’ai jamais rien pu commencer, ni finir.
Vous vous imaginez sans doute que j’écris ceci pour me moquer de vous. Je commence, j’évoque, je promets, puis j’abandonne. C’est peut-être le cas. Mais pouah ! N’est-ce pas l’attitude des gens normaux, de promettre et d’oublier ? Je ne suis même pas digne d’eux, effroyable vermine des bas-fonds. Je ne vous épargnerai rien. Alors, je vais tout de même vous raconter.
J’attendais, au fond du sous-sol, glorieusement ignoré de tous, que le compte à rebours périodique prenne fin pour aller me coucher, en espérant dormir d’un sommeil sans rêve. L’oubli est le meilleur ami de l’habitant du souterrain ! Je me plains quand je perds la mémoire, mais comme il est pire de me souvenir !
J’attendais donc. Tout à coup, un bruit infernal m’assourdit, tandis que le sous-sol lui-même fut pris d’un tremblement digne de la dernière agonie d’une enfant phtisique. Lorsque je repris mes esprits, je compris que la détonation venait de l’extérieur. Du monde d’en haut, celui des êtres normaux, civilisés, que j’avais fui jadis pour sombrer dans la débauche puis disparaître dans la nuit. Je boitai péniblement dans le couloir pour tenter de refermer la trappe, mais ils étaient déjà en train de descendre. Ah, lecteur, toi qui ne liras jamais ces lignes, si tu m’avais vu, moi qui te semble si maître de moi, si clairvoyant des tréfonds de l’âme humaine, si stoïque face au sort toujours contraire, faire sous moi comme un insecte apeuré ! J’avais perdu le compte du nombre d’années passé seul dans le sous-sol depuis si longtemps ! Je ne savais plus à quoi ressemblait un autre représentant de l’humanité, ne pouvant compter que sur mes souvenirs vérolés et, parfois, sur le reflet de mes traits ingrats sur la lame d’un vieux couteau émoussé.
Alors que je me cachais dans un coin sous la console télégraphique, j’entendis des voix approcher. Peste soit du monde !
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Extrait du journal du Professeur William Dyer, université de Miskatonic. 1908
Nous descendîmes, mon étrange compagnon bicéphale et moi, au fond de cette cavité profonde de plus de deux cents pieds. Les parois, qui allaient en se rétrécissant, étaient faite d’un petit appareillage de basalte, comme si cette cheminée avait était bâtie pour s’élever vers le ciel, par une race disparue depuis une époque où les ancêtres de l’Homme n’étaient que des bactéries monocellulaires, avant d’être peu à peu recouverte au fil de millions d’années par une infinité de couches sédimentaires.
Nous arrivâmes enfin en bas, et nous engageâmes immédiatement dans un couloir cyclopéen tout aussi sombre que la cheminée, pavé de dalles octogonales poreuses, et couvert d’une voûte cintrée d’ogive, au bout duquel brillait une lueur indistincte qui aurait pu être le reflet de la mort dans la prunelle d’un céphalopode géant ailé d’un autre univers. Mais je savais que cette lumière émanait d’une rotonde jonchée de débris informes et ceinturée de bas-reliefs ésotériques en demi-ronde-bosse qui racontaient l’arrivée sur Terre de la race des cônes tentaculaires à demi-végétaux et à têtes étoilées avant leur bataille fratricide contre les belettes phosphorescentes à huit testicules de la planète Saturne, que même l’arabe dément Abdul al-Hazred n’ose pas évoquer dans les pages maudites du terrible Necronomicon.
Comment pouvais-je me souvenir de cet endroit, qu’aucun pied humain n’avait semble-t-il jamais foulé ? Comment pouvais-je deviner la forme exacte et minutieuse de chaque trait et spirale de ces étranges iconographies tombées dans l’oubli ? Et pourquoi l’être bicéphale n’arrêtait-il pas de se chamailler avec lui-même à propos de la science et de la foi ?
Nous débouchâmes enfin dans la rotonde dont j’avais rêvé nuit après nuit pendant toutes ces années. Les mots ne sauraient rendre que bien peu du désordre de terreur et de confusion qui tourmentait mon esprit.
“-Je connais cet endroit, dis-je à l’attention du Grand Ancien bicéphale.
-Et lui, vous le connaissez ? Me demanda celui-ci en me désignant un petit être rabougri au teint livide, recroquevillé sous une console, et répandant autour de lui une insupportable odeur âcre et putride.
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Extrait du journal intime de l’Agent Dana Scully, FBI.
24 septembre 2002.
Chère Kitty,
Mulder est im-pos-sible. Alors que nous étions dans une base secrète souterraine du dix-neuvième siècle en Sibérie, il demande au type qui puait la merde sous une espèce de poste de télégraphe :
“-Agent Fox Mulder, FBI. Qui êtes-vous ? Et que faites-vous là ?
-Mais enfin Mulder, lui dis-je, déjà on tombe sur un type dans la forêt qui s’avère parler anglais et disposer de la dynamite dont tu as justement décrété avoir besoin un quart d’heure auparavant, et comme si cette incroyable coïncidence ne te suffisait pas, maintenant tu t’imagines que celui-là va aussi te répondre ?
-Je… Je m’appelle Fédor, a répondu l’autre avec un accent moitié russe moitié anglais. Je m’appelle Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski et j’ai été déporté ici en tant que membre du cercle de Petrachevski…”
Moi et le professeur Dyer, on ouvre nos yeux de scientifiques ronds comme des soucoupes, tandis que Mulder demande :
-Où est ma soeur ?
-Non mais Mulder, il vient de te dire qu’il s’appelait… Dostoïevski ! Et regarde-le ! Je veux dire, il est amaigri et il s’est chié dessus, mais… c’est LE Dostoïevski !
-Dostoïevski ? Demande Mulder… Tu veux dire, le mec qui pouvait s’étirer dans tous les sens et passer par des fentes, ou celui qui se sentait obligé de tourner tout le temps à droite en voiture ?
-Dostoïevski Mulder ! L’écrivain ! Tu sais, Crime et Châtiment, Guerre et Paix, Monstres et Cie ?”
Le professeur Dyer ajoute :
“Il devrait être mort depuis au moins vingt ans !”
Je m’exclame : “Comment ça vingt ans ? Il est mort au dix-neuvième siècle !”
Tout à coup, un coucou coucoute. Mulder sort son arme de service pour une raison qui m’échappe, abat le coucou pour une raison qui m’échappe encore plus, tandis que Dostoïevski émerge de sous la console.
“Je dois… Il faut” Dostoïevski hésite. “Il faut… que… je rentre le code télégraphique et que j’appuie… sur le bouton.”
Mulder le met en joue et lui sort :
“-D’abord, dis-moi où est ma soeur !”
-Je dois vraiment rentrer ce code pour relancer le compte à rebours ! gémit Dostoïevski. Sinon, un grand malheur va se produire !
-En quelle année croyez-vous être ? je demande à Dyer.
-J’ignore comment comptent les Grands Anciens, mais pour nous autres humains nous sommes le 30 juin 1908 après la naissance du Christ.
-Mulder ! C’est la date de…”
Mais Dostoïevski me coupe la parole, il se met à hurler :
“Je dois télégraphier ce code ! Ca fait cinquante ans que je le tape toutes les vingt-sept heures ! Laissez-moi faire ou un grand malheur va se produire ! Une faille va s’ouvrir dans la matrice même de l’univers ! Le temps va s’arrêter et un passage avec le monde qui ne connaît pas la matière va être généré !
-Je comprends,” dit Dyer. “Ce télégraphe sert à retenir l’invasion de la Grand-Race de céphalopodes végétaux à cornes qui va déferler sur le système solaire comme l’ont prévu les Grands Anciens il y a plusieurs millions d’années, avant même que la vie n’apparaisse sur cette planète.
-Ordure ! gueule Mulder en dirigeant son arme sur le professeur Dyer. Vous êtes de connivence avec le russe depuis le début !”
Dostoïevski dit un truc en russe. Mulder le remet en joue.
“-Mulder ! Baisse ton arme !” Je hurle à mon tour. “Je ne sais pas comment c’est scientifiquement possible, mais tu avais raison ! Le temps s’est arrêté, nous sommes le jour de Toungouska et ce qui va se passer n’a rien à voir avec une météorite !”
Mulder baisse enfin son pistolet, mais simultanément le visage de Dostoïevski se détend totalement, et ses yeux se voilent. L’auteur russe dit : “Je sens… la paix intérieure… enfin.” avant de s’écrouler sur sa console.
“-J’ai pas tiré !” Se défend Mulder.
-Abruti, il fait une crise d’épilepsie !
-Le bouton ! A dit Dyer. En tombant, il a appuyé sur le bouton sans télégraphier le code ! Que va-t-il se passer ?”
Après ça, c’est le trou noir.
Nous nous sommes réveillés, Mulder et moi, à trente kilomètres de Vladivostok, dans une cabine de première classe du transsibérien. Aucune trace de Dyer ni, évidemment, de Dostoïevski. Nous sommes le 25 septembre 2002. J’ai été prise de nausées ce matin, par conséquent je pense que toute cette affaire doit avoir une explication rationnelle, sûrement liée à une intoxication alimentaire due à la cantine du wagon-restaurant.
Mulder vient de trouver une boucle d’oreille sous son siège et pense qu’elle devait appartenir à sa soeur.
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Texte de LiliGalipette :
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Texte de patatacomix :
Sibérie
Sibérie des rêves infirmes…
Sibérie des transes arctiques
Dont les termes restent désertiques.
Sibérie aux sapins ailés, Royaume
Des aurores silencieuses, où règne
La cape immaculée, en maitre, et
Le spectre glacial.
Sibérie tu m’éveille…
Sibérie cherche ta course
Dans l’infinie immobile de ta peau
Maîtresse dure et infime.
Sibérie loin de moi
Je te vois, toi.
Sibérie, terminus des voyages où
Migrent les envies, où nait le regret.
Sibérie je m’affaisse,
Dans tes bras,
Sibérie…
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Texte de isallysun :
L’âme en peine
J’ai l’âme en peine, je suis remplie du froid de la culpabilité. J’ai honte, je n’arrive pas à croire que je suis d’une race remplie de cruauté. J’ai froid, plus froid qu’il ne le fait en Sibérie. Tant de haine, tant d’histoires en moi. Je regrette ce passé, ces crimes commis par mes ancêtres. Toutes ces disparitions me redonnent froid dans le dos.
Je lève les yeux. Je vois cette jeune fille dans la glace. Elle semble perdue, désemparée. La glace la rend encore plus glaciale, Son regard est froid, sans émotion. Elle remua, se sentant observée, Elle serra de plus belle le livre contre elle comme pour le protéger. Ou plutôt, était-ce pour se protéger d’elle-même. Elle utilisa le livre comme un bouclier contre le monde qui était au courant des crimes familiaux.
Qui avait eu l’idée d’enlever cette Anasthasia? Qui l’avait fait disparaître dans cette paisible Sibérie? Qui lui avait pris son identité? Avait-elle trouvé refuge dans cette grande étendue? Avait-elle une descendance? Le mystère serait-il résolu?
La fille devrait-elle se protéger éternellement avec ce livre? Pourrait-elle se regarder à nouveau dans la glace sans frémir de honte et de dégoût? Pardonnerait-elle à ses ancêtres? Je détestais tant ce visage de culpabilité que renvoyait cette inconnue que je trouvais la Sibérie extrêmement chaude.
L’inconnue serra encore de plus près le livre contre elle. Elle semblait le prendre comme un masque pour cacher sa réelle identité. Elle voulait que celle-ci demeure inconnue aux yeux de tous, qu’elle soit perdue comme Anasthasia dans l’immensité de la Sibérie.
Elle ne voulait pas être découverte. Elle avait l’impression qu’elle perdrait tout si sa véritable nature était découverte. Elle aurait également aimé être soi-même, sans faux-semblants, mais toute cette culpabilité la retenait.
Elle aurait aimé que le masque soit levé. Elle voulait se délivrer du combat avec soi-même! Elle voulait se délivrer de cette muraille, tromper les façades qu’elle avait établies autour d’elle. Elle voulait alléger les bourrasques qui la retenaient prisonnières. Elle voulait tromper les fusils de toutes ces guerres froides. Elle aurait voulu prendre le Transsibérien et s’échapper de son passé.
Je la regardais et cette inconnue me faisait peur. J’étais désolée pour elle. Je voulais qu’elle réalise qu’elle ne devait pas souffrir de la cruauté de ses ancêtres. Je ne me reconnaissais pas dans cette jeune. Je cherchai le courage en moi. Je voulais qu’éclate les barrières. Je voulais effacer ce passé tourmenté. Je pris mon courage à deux mains et lançai le livre que je tenais contre moi sur la glace. Je me sentis libérée des pêchés de mes ancêtres.
©isallysun©
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Texte de spleen :
Le royaume du blanc inspire tous nos rêves.
Qu’il soit pâle ou bien froid, neige, sel, ou sage, le blanc est le néant où l’on écrit les pages, noircissant de nos encres de vastes étendues vierges.
Yvan Dennissovitch y passe ses journées, faites de vents du nord le fouettant de grésil, alourdissant alors de sa froideur l’exil, assourdissant ses cris, ses douleurs, ses pensées.
Quand le sel de la vie est dans ce corridor où flânent les fantômes, et où rode la mort, chacun courbe l’échine, se repent, s’humilie.
Et c’est l’humanité qui se trouve asservie.
Le froid mord, le sel ronge, on lutte pour la vie, pour qu’un jour, au soleil retrouvé, l’homme rit d’être sorti des crocs des loups de Sibérie.
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Texte de Deuzenn :
La chaleur du train dégage une fumée blanche dans l’air glacial. Descendant du wagon, nous marchons un peu pour nous dégourdir les jambes. Après plusieurs jours de voyage, nous venons d’arriver à Irkoust. Il fait – 15°C. Nous nous regardons et nous sourions. Un peu intimidés, empruntés, nous avons l’attitude caractéristique de ceux qui arrivent dans un lieu inconnu et savent qu’ils n’y resteront pas. L’oblast d’Irkoust n’est pour nous qu’une étape, juste de quoi se procurer quelques fruits, du pain et des saucisses pour la suite. Nous le regrettons un peu. Au sud, tout près de là, s’étendent les eaux transparentes du Lac Baïkal, et au nord, la taïga et ses forêts de conifères. J’aurais vraiment aimé voir tout ça. Nous réglons nos achats, entre angoisse et fou rire – nous avons encore du mal avec le rouble russe, comme en témoigne le regard interloqué de la vieille babouchka qui tient le magasin. Nous remontons et retrouvons nos couchettes. Déjà, la ville et ses légendes de cosaques s’éloignent.
Terminus du Transsibérien. Il fait nuit et nous voici à Vladivstok, littéralement “Seigneur de l’Est”. Tout au bout de la péninsule Mouraviov-Amourski. Tout au bout du monde. Un monde qui semble l’avoir oublié d’ailleurs, tant cet endroit a l’air suspendu dans le temps. Nos pas font crisser la neige épaisse. Nous sortons de la gare ferroviaire, un gigantesque bâtiment de pierre blanche. Nous croisons un buste de Lénine et, plus loin, la vague silhouette d’une faucille et d’un marteau. Pas de doute, ici, le temps s’est arrêté et…
…et j’aimerais vraiment savoir pourquoi les voisins du 2ème attendent toujours 23h pour se hurler dessus. Retour dans notre appartement du centre-ville. Je grogne et, essayant d’oublier leur vacarme, je me penche sur la carte déroulée devant moi, sur mon bureau. De nouveau, je place mon index sur Moscou, et recommence le voyage, suivant avec application la ligne imaginaire du Transsibérien :
“Moscou – Mytichtchi -Pouchkino – Sofrino – Abramtsevo – …”
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Texte de steppe :
Ma Sibérie lunaire, Terre aimée….
Je m’appelle Amak. Je suis Inuit, eskimo de Sibérie…
J’étais chasseur.
Amak, en notre langue veut dire “Père des Loups”.
J’essaie vainement de me souvenir : Voila 15 ans déjà que vous êtes venus dans mon village.
Quinze ans que vous avez arraché mon clan à ses racines et à sa Terre….
Et aujourd’hui encore je ne comprends pas ce qu’il s’est passé.
Vous êtes venus dans nos régions arides, le mot sûr et la langue habile.
Comment ? Comment avez-vous réussi à nous persuader ?
Ce que nous avons abandonné ?
La plus belle Terre au monde…
Regardez, regardez mon pays et dites-moi encore que le bonheur est ailleurs!..
Je me souviens de mon enfance.
Notre clan avait abandonné la vie nomade…
6 ans peut-être et déjà j’aimais le souffle glacé de ma Terre. L’immensité blanche, si
aveuglante les jours de soleil. Un éclat de diamant pur, une étincelle quotidienne pour
illuminer les jours d’hiver.
J’aimais ces traversées lentes et silencieuses des terrains de chasse, j’aimais l’affût au
dessus de la trouée dans la glace, l’attente du caribou ou du phoque.
J’aimais le silence cotonneux de nos pas dans la neige.
Et le retour à l’igloo…
La chaleur du repas partagé. Le repos dans l’espace confiné que les femmes animaient de
leurs rires et nous, qui racontions. Notre journée, la brûlure du vent gelé, les mille piqûres
des milles gouttes de froid qui nous cinglaient le visage…
Ho, comme j’aimais ça….
Comment avons-nous pu abandonner tout ça ?
Aujourd’hui, dans cette ville inhospitalière, comme prisonnier, quand je traverse les
rues boueuses, je croise certains du clan. Le front bas, les épaules tombantes, titubants
sous le poids de la fatigue ou de l’alcool, ou des souvenirs qu’on leur a pris, je ne les
reconnais plus.
Et aussi, parce que je sens ma colère en moi endormie, je ne me reconnais plus….
Reconnaîtrais-je encore l’étendue silencieuse et grisante, le désert glacé, les brumes
givrées mais rassurantes, le vent figé dans des attitudes spectrales et envoûtantes. Les
silhouettes ondulantes et vaporeuses, nos ancêtres revenus pour nous montrer le chemin à
travers l’infiniment blanc ?….
Saurais-je encore voir et entendre, et chasser, et pêcher ?
Et déchiffrer le message du soupir de la neige virevoltante et des traces des bêtes offertes?
Je m’appelle Amak. Je suis Inuit, eskimo de Sibérie…
J’étais chasseur.
Amak, en notre langue veut dire “Père des Loups”.
Mon père était chamane et ma mère, sa femme.
J’ai su de lui notre histoire. Il m’a emmené souvent aux plus près de la mémoire de mon
peuple.
Et j’ai su d’elle tout l’amour du monde.
Aujourd’hui, parce que je me souviens encore, parce que j’ai essayé, parce que sûrement
j’y ai cru comme à une voie possible pour le salut des miens ; mais aussi parce que je ne suis
pas heureux ici, parce mon peuple me manque, parce que je ne vous comprends pas,
je m’en vais.
Je quitte votre ville, sa fange et ses vices offerts comme une bénédiction.
Je m’en retourne parler à ma terre.
Et l’écouter.
Et l’aimer.
Je me sens floué. Cet ailleurs, ce meilleur promis n’étaient que des mirages.
Je me retourne une dernière fois sur la ville.
Mon bagage est léger.
Mon frère m’attend.
Je reviens vers toi, ma Sibérie lunaire, ma Terre aimée.
Je viens renaître en toi.
Je te respire à chaque pas de plus, je sens ma peau se nourrir de ton haleine givrée.
Et je me souviens de nos ancêtres.
Et je me souviens de ce que disait mon père quand il parlait de nos croyances :
« Nous ne croyons pas. Nous avons peur. »
Et c’est ma peur aujourd’hui qui me donne la force de repartir.
Peur que le souvenir de mon peuple ne s’éteigne. Peur qu’il n’arrive pas à redresser le genou.
Et c’est ma colère aussi. Mais elle, j’ai décidé de ne pas l’écouter…
Je m’appelle Amak. Je suis Inuit, eskimo de Sibérie…
J’étais chasseur.
Amak, en notre langue veut dire “Père des Loups”.
Je reviens vers toi, ma Sibérie lunaire, ma Terre aimée.
Je t’appartiens, je m’enracine en toi pour rester à jamais le témoin du passé.
Je reviens vers toi, ma Sibérie lunaire, ma Terre gelée et tant aimée…
——————-
Texte de Thoxana :
Sibérie
Si lointaine Sibérie,
Depuis longtemps je te rêve d’ici…
Tout enfant, je te vivais mot-à-mot
Sur les pas de cet improbable héros
Sorti de l’imagination d’un grand romancier :
Michel Strogoff, le vaillant aventurier.
Lecture, télévision ou encore cinéma,
Quelques éclats de toi parvenais jusqu’à moi…
Mais tu demeures farouche et terriblement sauvage :
Connaitrais-je donc un jour ton véritable visage ?
Vue de ma toute petite France,
Ton nom n’évoque que souffrances :
Isolement, travaux forcés, exil,
Le froid, la neige et puis le grésil ;
La touffeur de l’immense toundra
La sécheresse de ton infinie taïga…
Mais ta terre recèle aussi bien des richesses :
Le pétrole, diamants et or comme autant de promesses…
Pourtant, ce qui à mes yeux a le plus de valeur,
Se trouve là, quelque par tout au fond des coeurs :
Tes habitants, tout à l’Est de l’Est du monde,
Offrent leur sourire en quelques secondes.
Et si parfois les mains se sentent bien trop vides,
Les âmes sont, elles, toujours très belles et fort limpides…
Si lointaine Sibérie,
Tout au bout du bout de l’Asie,
Un jour toi et moi serons réunis…
——————–
Texte de Bibalice :
“L’inconnue de Sibérie”
Kingdom of hell
And then here she came
King wasn’t dead
But
She knew it all
Lord Byrdin, “Siberia”, Syberian poems, St Andrews University Press, London, 1900
I.
Malgré la tempête et le paysage grandiose qui s’offraient aux yeux circonspects de la poignée de voyageurs, Graham Grey était la véritable attraction de ce transsibérien qui fonçait à toute allure vers le Grand Est.
Impassible, presque immobile, il semblait lire depuis trois heures maintenant le petit bout de parchemin qu’il avait délicatement posé sur le rebord gauche de la petite table en bois vieilli. Sur la droite, il avait ouvert son carnet Moleskine qu’il caressait de sa plume à quelques intervalles irréguliers. Gratter sa plume sur le papier blanchi de son carnet était là son seul et unique geste. Toutes les dix minutes environ, il posait cependant sa plume pour remuer l’eau chaude de sa tasse de thé vert de Russie avec sa lourde cuillère en argent.
« Il doit être froid maintenant », observa Elisabeth, pensive. Elle regardait l’homme porter la tasse à ses lèvres et la reposer sur la soucoupe sans que ce dernier ne quitte les yeux de son mystérieux manuscrit au papier jauni. « Il pourrait boire de la pisse de yack qu’il ne s’en rendrait même pas compte ! », rouspéta-t-elle en le fixant toujours de ses yeux bleus. Elle s’adressait à David mais celui-ci était plus intéressé par la neige qui virevoltait dans le ciel de Russie que par les extravagances d’un anglais excentrique.
Il avait hâte que le train s’arrête pour qu’il puisse balancer la plus grosse boule de neige qu’il puisse imaginer sur la tête de sa sœur ! « Ah la tête qu’elle ferait avec toute cette neige dans les cheveux ! ça lui apprendra à tout savoir, à cette mademoiselle-je-sais-tout ! ». Cette pensée le réjouissait au plus haut point et il ne put s’empêcher de rire lorsqu’il prit de ses deux mains le bol de chocolat chaud que le serveur venait de poser sur la nappe de sa table.
Emily hésitait à sortir. Elle se sentait bien dans ce train mais l’arrivée de ces nouveaux passagers ne la réjouissait guère. Entre Monsieur Mystérieux qui ne quittait pas son fichu machin des yeux et les deux hommes louches qui se trimbalaient toujours ensemble et qui faisaient peur aux enfants, il y avait comme un soupçon de nervosité dans l’air en plus.
Les deux hommes fumaient une cigarette juste devant les toilettes dont elle n’osait sortir. « Mais quand est-ce qu’ils vont la finir cette foutue cigarette ??! Ils vont me laisser sortir à la fin ? Mais qu’est-ce qu’ils se racontent donc de si intéressant ? ». Elle posa ses deux mains contre la porte et colla son oreille gauche à celle-ci;
Les deux hommes se croyaient seuls. Ils n’avaient pas remarqué que le loquet indiquait que les toilettes étaient occupés -ou bien qu’elles étaient en maintenance, mais ceci était tout de même moins probable.
«-Quand est-ce qu’on opère, boss ? Ce soir ?
- mmh, si ce salaud se décide à rejoindre sa cabine, on pourra peut-être récupérer le document et le copier. On le remettra dans ses affaires et tu transmettras la copie à tu-sais-qui une fois qu’on sera à Irkoutsk. Moi je le suivrai de loin.
-Très bien mais comment on va faire pour récupérer le document ?
-J’ai mon idée ! En ajoutant quelques ingrédients à son thé, il devrait nous faire un bon dodo pour la nuit et nous laisser tripatouiller dans ses affaires !
-ahahahah
« Holy God !» s’exclama Emily… Elle en avait le souffle coupé. Dès qu’elle les avait vu, elle avait su que ces deux-là étaient des malfrats ! On lit dans leurs yeux à ces gens-là ! Mais comment sortir ? Etaient-ils encore là ? Avaient-ils deviné sa présence ? Se cachaient-ils devant la porte ? Il fallait protéger les enfants, avertir l’homme mystérieux. Bon, s’était peu probable qu’ils l’attendent dans le petit couloir devant les toilettes. Il n’y avait pas assez d’espace pour préparer un sale coup et ils n’auraient certainement pas dévoilé leurs plans devant elle s’ils avaient deviné sa présence. Vite, les enfants.
Emily ouvrit la porte en se prenant pour James Bond. Un coup d’œil à droite, un autre à gauche. Encore un autre à droite et encore un autre à gauche… trois petits pas devant elle, un regard derrière elle, encore trois petits pas… Les deux malotrus étaient partis vers les cabines. A gauche des toilettes. La salle de restaurant était à droite. Elle pouvait donc se dépêcher sans crainte d’être vue.
«-Momm !! Pas vrai qu’il est bête David ? Ton fils est complètement stupide, COM-PLETEMENT stupide ! Tu es sûre que c’est mon frère ? Moi je suis sûr que non ! D’ailleurs je ne lui parle plus.
-Pfff, moi je t’ai jamais parlé alors…
-Bah, t’es pas en train de me parler là ? tu vois que t’es complètement crétin. T’es tellement crétin que tu ne t’en rends même pas compte. »
-Les enfants ! Enough ! Arrêtez de vous faire remarquer ! Tout le monde vous regarde ! Tenez-vous tranquilles ! Elisabeth sois gentille avec ton petit frère ! David, tu peux me prêter ton crayon ? Oui, oui, le vert ça ira très bien ! mmh… et tu as encore une feuille blanche ? Non ? bon oui, celui-ci fera l’affaire.
Vous voulez encore un peu de lait chaud les enfants ?
-Oui !! répondirent-ils tous les deux en choeur ! D’accord, alors continuez à dessiner tous les deux sans vous chamailler !
Emily écrivit quelques mots sur le papier, entre deux dessins de David, puis se dirigea vers le bar. Entre la table ou elle s’était installée avec les enfants et celui-ci il n’y avait pas quatre mètres mais Emily fit exprès de faire un petit détour par la table de l’inconnu et fit voler le papier jusque sur la table de l’inconnu.
II.
C’est en rangeant son carnet que Graham découvrit ce petit bout de papier blanc. En le déplia il ne put s’empêcher de rire ! Le petit anglais blond venait de lui écrire un mot sur un papier où l’on trouvait ce qui semblait être un animal -un yack ?- et un sapin ! Les deux étaient dessinés en vert et, à vrai dire, il n’était pas tout à fait sûr lequel était quoi ! Il parcourut la salle du regard et vit que le petit garçon ne se souciait pas du tout de lui ! Sa mère, en revanche, lui lançait de drôles de regard ! Il regarda le papier plus précisément et déchiffra le message qu’il pensait être celui de l’enfant :
« Beware ! Do NOT Drink your tea ! Two men are trying to kill you !
Graham regarda sa tasse de thé. Il avait demandé au serveur de lui servir continuellement de l’eau très chaude. Impossible de savoir si quelqu’un avait ajouté quelques produits toxiques dans celle-ci.
Il regarda de nouveau la femme en face de lui. Elle semblait paniquée.
Graham plia le manuscrit , le glissa à l’intérieur de son carnet et rangea celui-ci dans la poche de sa veste.
Plongé depuis des heures dans les merveilles de ce manuscrit, Graham eut un peu de mal à se réadapter à la vue du compartiment-restaurant du transsibérien. Il faisait chaud, presque trop, ce qui rendait irréele la vision de la tempête qui semblait redoubler de violence à chaque coup d’œil à la fenêtre. Il lui semblait d’ailleurs que le train avait ralenti depuis une heure ou deux. Il n’était pas improbable que le train s’arrête pour la nuit. C’était peut-être dangereux de continuer à avancer à toute vitesse au milieu des éléments ainsi déchainés. Qui sait si un arbre ne s’était pas abattu sur les rails ? Mais, immobile, le train ne risquait-il pas de se renverser ? Graham n’en savait fichtrement rien. C’était la première fois qu’il quittait le Royaume-Uni et sa connaissance des chemins de fer sibérien était très limitée.
Le paysage aurait dû l’émerveiller, lui qui n’avait pour décor quotidien que les livres anciens de son immense bibliothèque, mais ce qu’il avait découvert dans les pages déchirés d’un vieux manuscrit de sa bibliothèque l’émerveillait encore plus et il ne put se résoudre à le quitter des yeux pendant le trajet, fut-ce l’Eden qui s’offrait derrière les vitres épaisses du Transsibérien.
La jeune femme le regardait toujours. Ses deux enfants s’était endormis dans les confortables canapés en velours du wagon. Graham se décida à la rejoindre. Elle avait apparemment quelque chose à lui dire.
« Hello Miss, I believe you’re from London too… »
« Oui, et on n’est pas les seuls, commença-t-elle d’entrée, en un seul et unique souffle. Elle regarda autour d’eux et continua, en baissant la voix au fur et à mesure qu’elle prononçait un nouveau mot !
J’ai surpris la conversation de deux hommes ! Ils cherchent à vous tuer, ou à vous endormir, ou je ne sais pas, je n’ai pas tout compris, mais ils vous en veulent !
-Comment savez-vous qu’il s’agit de moi ?
-Well, elle alluma une cigarette avec ses allumettes, vous êtes le seul digne d’intérêt ici.
-Well thank you, miss !
-Non, je veux dire, oui, c’est évident qu’ils pensaient à vous ! My GOD, ce sont eux ! »
Les deux baraqués venaient effectivement d’entrer dans le compartiment restaurant.
“-Faisons comme si je venais de vous séduire…
-WHAT ?
-Vous avez une autre idée pour nous sortir de là vivants, miss ?
-Nous ? attendez, c’est VOTRE affaire ! Pas la mienne ni celle de mes enfants !
-Ils sont adorables ! La petite m’a dévisagé pendant tout le trajet.
-Les voilà qui commandent leur repas… Elle s’appelle Elisabeth. Oui vous êtres très excentrique.
-D’abord vous me draguez en inventant une fausse histoire de gangsters et maintenant vous m’insultez… Vous venez de Chelsea n’est-ce pas ? Je connais les filles de ces quartiers, elles feraient tout pour qu’on s’intéresse à elles…
-How dare you !
-Just kidding dear… dear…
-Emily. Vous ?
-Grey, Graham Grey.
-Pardon mais je ne suis pas sûre d’être ravie de faire votre rencontre…
-Ce n’est pourtant pas tous les jours qu’on dîne avec un inconnu à quatre mètres de deux tueurs. Anglais eux-aussi, n’est-ce pas ?
-Oui mais ils sont montés en même temps que vous.
-Oui ils me suivent depuis Moscou.
-What ???? Qui sont-ils ? Qui… Qui êtes-vous ? Je ne veux pas d’histoires ! Je…
-Si vous continuez ainsi, à trembler et à me dévisager ainsi, ils vont vraiment penser qu’on a découvert le pot aux roses, Emily ! De grâce, un peu de tenue. Vous êtes née à Londres, on vous a appris ça à l’école pour Ladies, non ?
-Vous êtes un espion ? Un marchand d’armes ? non, un marchand de drogues !
-Voyons, ma chère, ceci n’est pas un roman d’espionnage qui s’intitulerait, je ne sais pas, « L’inconnue de Sibérie » ou «Bons baisers de Russie » ! Je suis bibliothécaire, Emily.
-Vous… rangez des livres ?
-Oui, voilà, vous venez de résumer les 20 dernières années de ma vie, merci beaucoup !
-Pardon !
-Et voilà qu’elle s’excuse maintenant ! Et vous que faites-vous de votre vie à part promener vos enfants aux quatre coins du globe en compagnie de gangsters charmants et un dangereux bibliothécaire ?
-Je dois rejoindre le fin fond de la Sibérie pour une affaire. Mon mari y est décédé… Mais vous dites que vous êtes bibliothécaire ? pourquoi des tueurs sont-ils à vos trousses ?
-Mes condoléances pour votre mari.”
C’était désormais à Graham d’être prudent et de regarder autour de lui. Après quelques minutes de silences, il commença enfin :
“Disons que j’ai peut-être trouvé la réponse à une énigme littéraire vieille de deux siècles. Vous connaissez Byrdin, le plus grand poète anglais du XIXème siècle ? L’histoire prétend qu’il est mort à Londres en 1904. J’ai aujourd’hui la preuve que ce n’est pas le cas. Il est mort à une date inconnue en Sibérie.
Emily buvait les paroles du bibliothécaire mais ne comprenait toujours pas une chose : En quoi pouvait-il intéresser une seule personne au monde ?
-Je sais à quoi vous pensez Emily. Mais la réponse se trouve ici, au fin fond de la Sibérie…
Fin de la première partie ! Suite le mois prochain !
—————————————
Texte de MissG :
Le carton d’invitation était on ne peut plus précis :
“Réception en l’honneur du nouvel ambassadeur de la Fédération de Russie mercredi 29 février à partir de 20 heures.
Lieu de la réception : 40-50 boulevard Lannes, Paris 16ème, entrée du côté de l’avenue du Maréchal Fayolle.”
Une réception de l’ambassadeur, ça ne se refuse pas.
C’est un honneur.
C’est même un suprême honneur, surtout pour un commissaire.
Qu’il n’aime pas les soirées en costumes, les petits fours, les salamalecs, les formules de politesse alambiquées, tout cela ne comptait pas, et personne ne voulait en entendre parler : « Tu y vas, un point c’est tout », voilà ce que sa hiérarchie lui avait dit.
Voilà la récompense, le remerciement pour sa dernière arrestation, une belle prise, soit dit en passant.
Un sadique qui prenait son pied en menaçant au couteau des jeunes femmes, les violait, et leur tailladait le visage pour y laisser sa marque. Il avait sévi dans le 17ème arrondissement, et les flics avaient mis du temps à l’attraper.
Il était malin, il agissait le soir dans des endroits sombres et s’arrangeait pour qu’aucune de ses victimes ne voit ses traits.
Un véritable fantôme, insaisissable et cruel, mais qui avait fini par commettre une erreur, puis deux, et il avait fini par l’attraper à lui tout seul.
Il n’y aurait pas de procès, justice ne serait pas rendue, car il avait vidé son chargeur sur lui.
Une balle pour chaque femme, et aucun regret.
Il n’empêche, il aurait préféré une belle prime.
Ca remplit le compte en banque et ça ne l’aurait pas obligé à s’endimancher pour se rincer la gorge au champagne et se remplir le gosier de petits fours.
Mais voilà, il paraît que le nouvel ambassadeur de Russie, enfin de la Fédération de Russie, est un homme spécial et qu’il avait tenu à avoir ce commissaire si génial et si fameux pour sa soirée d’intronisation.
C’est la raison pour laquelle il se tenait présentement dans un coin de ce salon si luxueux, une coupe de champagne à la main et le regard qui frisait régulièrement vers le buffet aux mille délices : éclairs au chocolat ou au café, financiers, madeleines pour les desserts traditionnels français ; mais surtout des spécialités russes en plat ou en dessert : pielmiénis (ndlr : raviolis russes), blinis, caviar, pirojkis (ndlr : petits pâtés en croûte pouvant être remplis de viande hachée, de fromage ou de légumes), crêpes russes avec des griottes, parts de vatrouchka (ndlr : gâteau au fromage blanc avec des raisins), le tout accompagné de différentes vodkas disposées dans de petits verres.
Il jeta un regard autour de lui.
Il n’y avait que le gratin du gratin, l’élite du tout Paris.
Les femmes transpiraient la bourgeoisie et l’opulence.
C’était Chanel contre Dior, une lutte des maisons de haute couture parisiennes pour la toilette tandis que les pieds se partageaient entre Jimmy Choo, Manolo Blahnik, Christian Louboutin.
Et il en allait de même pour les hommes.
Il se dit qu’il devait paraître bien fade à côté de tout cet étalage de luxe, il s’étonnait même que personne ne l’ait encore pris pour un serveur, avec son costume bon marché, un peu fripé et mal repassé, et ses chaussures au vernis écaillé.
C’est alors qu’un étrange petit homme s’approcha de lui et entama un dialogue qui se révéla à sens unique :
- Vous aussi vous avez été invité ! Quelle soirée ! Et quel homme ! Ah oui, quel homme ! Dites, vous savez que …
Et le petit homme se lança dans la biographie complète de l’ambassadeur, avec un accent russe bien prononcé.
L’ambassadeur était né en Sibérie, dans la République de Sahka (ndlr : autrement appelée Iakoutie), dans une famille riche et puissante qui avait prospéré avec l’exploitation de mines d’or et de diamants et plus récemment dans l’exploitation des richesses souterraines de cette région de Sibérie : le gaz et le pétrole.
Mais il n’en avait pas toujours été ainsi.
L’un des aïeuls de l’ambassadeur était un Décembriste qui fut condamné à la déportation en Sibérie. Il fallut attendre 1840 pour que les Décembristes fussent autorisés à s’installer là où ils le souhaitaient en Sibérie.
C’est ainsi que la famille de l’ambassadeur s’installât en République de Sahka et prospérât.
Bien entendu, avec la chute de l’URSS et la crise économique, cette République eut envie d’indépendance et c’est la main de fer de Vladimir Poutine qui la reprit en main.
Il se trouvait que l’ambassadeur était un proche de ce dernier, ça et la forte influence de sa famille lui permirent d’obtenir ce poste.
Et tandis que son compagnon continuait de soliloquer, c’est alors qu’il la vit.
Ce fut une apparition, elle paraissait flotter sur le parquet et appartenir à un autre monde.
Elle était là de corps mais son esprit était ailleurs.
Sa robe rouge baiser épousait ses formes gracieuses, était échancrée bas dans son dos et arrivait juste au-dessus d’une paire de talons aiguilles aussi rouges que la robe.
Ce n’était sans doute pas la plus belle femme de la soirée, mais i les dégageait d’elle un aura et une élégance naturelle qui faisait qu’elle éclipsait toutes les autres femmes.
Elle tenait à la main une coupe de champagne et l’un de ses ongles, vernis de rouge carmin, tapotait le cristal d’impatience.
Elle ne resta sans doute que quelques secondes au milieu du salon, mais pour lui l’envoûtement dura des heures.
Il fut brusquement rompu lorsque cette créature fatale sourit et se dirigea vers un homme qui devait sans doute être son cavalier pour la soirée.
Elle disparut de son champ de vision et le brouhaha de la soirée emplit de nouveau ses oreilles, tandis que les personnes autour de lui reprenaient forme humaine et que la soirée reprenait son cours.
—————–
Texte de johaylex :
Septentrion, au loin…
Son souffle le quitte pour le Sud, l’essor d’un cygne se libérant des rudes promesses du premier cercle de l’hiver. Ce Sud qui tranche comme du verre, ce Sud pourtant moins pur que ce cristal dont son quotidien est fait.
Il a d’abord couru, ses pas effacés par les étoiles blanches qui tombaient, qui le protégeaient des patrouilles. À la nuit tombée, les gardes avaient renoncé, « le froid le crèvera cette nuit, allons bouffer ! Demain, nous chercherons son corps. »
Aplati dans une tourbière, il avait accueilli leur constatation avec ce goût vague qui se brise contre la plage d’un front, ce goût vague qui lui est presque monté aux yeux, ce goût lâche fuyant comme le bagnard qu’il fut : ce goût élague ses souvenirs parmi les hommes, ce goût l’élague des souvenirs des hommes.
Peut-être aurait-il dû savoir où aller avant de déjouer la vigilance des soldats. La faim ne tolère pas les vêtements légers, la nuit rit des estomacs vides. Car l’infect ragout lui manque et tempête son absence dans ses tripes nues.
Alors la nausée l’emporte dans sa houle de douleur, et les aiguilles qui perçaient le bout de ses doigts s’attaquent à sa poitrine, font pâture de son corps, vautours sans plumes sur charogne qui respire, sur chairs qui durcissent.
Le sable est noir, plus dur encore que sa paillasse ne l’était naguère ; c’était hier, mais une éternité semble avoir passé cette nuit où il n’est pas mort. Au doux clapotis du rivage répondent les plaques bleues qui s’entrechoquent. Il y voit son visage, il est mangé par la barbe, comme une toundra dévorée par la glace, il est figé dans ses rides, comme barque prisonnière d’une banquise.
« Trop tard pour aller vers le Sud», son souffle aura beau le quitter avec l’essor gracieux d’un cygne, sa poitrine palpite du continent qui lui tourne le dos et de l’océan presque silencieux qui fait couler ses yeux désespérés : ces diamants sont des insectes empêtrés dans la toile d’araignée épanouie sur ses joues.
« Idiot ! Tout ceci pour si peu » gémit-il.
Pense-t-il à l’ivrogne que l’ivresse lui fît poignarder autrefois ou à son étrange instinct qui l’a précipité de son camp vers cette liberté qui l’assassine ?
Qu’importe, il faudra faire vite. Un coup de fusil dans le dos aura bientôt tranché ses hésitations. Car le soleil ironique est monté en boulet de canon sur la voute sèche dans laquelle les dieux se dissimulent pour mieux rire des châtiments qu’ils infligent aux hommes du crime, coupables et bourreaux.
Ses mains ont noirci, il ne tuera plus à moins de mordre, le cuir de ses souliers est sa nouvelle peau, l’ancienne doit pourrir debout des frottements sous la neige avec ses chevilles. Il peut à peine marcher et ses derniers cris meurent dans sa gorge, cave résonnante. Mais ses poings enfoncés dans cette plage le soulèvent de cette farine noire qui n’attend qu’un peu d’eau pour faire du pain « ah, si j’avais ne serait-ce qu’un seul quignon ! » pense-t-il avec nostalgie, et ses jambes incertaines l’entraînent ployé comme un arbre tordu par les ouragans.
L’eau lui arrive presque aux genoux. Les légendes au coin du feu le font plus frissonner que le baiser sans vie de l’écume ; il craint qu’un tentacule immense vienne le happer, le noyer. Mourir sans air lui est plus difficile que de mourir sans chaleur, car si l’on peut difficilement vivre sans vodka, on meurt sans le souffle des baisers.
Il se retourne encore une fois alors que la brume l’entoure et que cette nébuleuse l’empêche de jeter un dernier regard sur la Sibérie…
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Texte de nathydemon :
Le blizzard machin, le blizzard chose, le blizzard ici ne laisse jamais de survivants. Tout le monde s’excite, cours, s’énerve, hurle, pleure, mais personne n’ose sortir affronter ce maudit blizzard pour espérer retrouver le groupe d’adolescents et d’enfants disparus. C’est à se demander si ces enfants sont bien les leurs. Et le vieillard de l’autre jour qui me fixe comme si une réponse allait fuser de sa vieille caboche dégarnie juste en m’admirant. Pourtant c’est bien lui qui m’a sorti ce poème l’autre jour.
« Ce vent dévastateur qui parcours les terres enneigées
Ne laisse derrière lui que glace et désolation
Les êtres chers ont disparu au cœur de la tourmente
Car l’âme damnée de notre mère les a réclamés
Nul ne peut se confronter à ce sculpteur effréné
Qui taille dans la vie et dans la glace sans regarder
Il te faut abandonner tout espoir d’un jour y réchapper
Car nulle flamme de vie n’est assez puissante pour l’affronter. »
Flamme ? Mordred, je dois être maudite, il n’y a pas d’autres options. Je retourne dans ma chambre laissant derrière moi ce brouhaha ambiant qui commence à me casser les oreilles et à me porter sur les nerfs. Je prends mon sac de cours que je traîne toujours comme sac à dos de voyage et le vide avant d’y placer une bouteille d’eau piquée rapidement au passage, mes deux thermos de chocolat chaud et ma réserve de gâteaux. Puis j’attrape mon poncho en polaire et le sac avant de quitter discrètement l’hôtel par la porte de secours. C’est définitif, je hais les adultes, je hais les adolescents aussi inutile de faire du favoritisme. Je hais mon frère, qui est décidé à me pourrir la vie. Je hais les vacances surtout quand elles comprennent la glace, le froid et la neige. Et enfin par-dessus tout ça je hais la Sibérie. Plus jamais je n’y remettrai les pieds, élémentaire de feu incontrôlable ou pas.
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