Les éditions Tarabuste publie avec le volume Sauf d’Antoine Emaz un complément indispensable à Caisse-Claire (Points-Poésie, Le Seuil, 1997). Comme toute la poésie d’Antoine Emaz, c’est le travail sur la concentration du sens qui retient l’attention. L’écriture procède par unité de souffle en se concentrant toujours sur l’infime, voire sur vide ou l’absence qui façonnent le quotidien :
c’est vrai il y a peu
pour ne pas dire rien
à dire d’un jour
parmi d’autres1
Le poème, cependant, n’est jamais la marque d’un renoncement, mais plutôt une action continue, menée avec les mots contre tout ce qui vient jour après jour imprimer un arrêt :
sur le vide on tend
quelques lignes
et c’est encore du jour
même de biais dans les mots
seuls2
Cette capacité à nommer la force des mots et à la faire passer dans le langage s’appuie sur un sens du concret, particulièrement présent dans tout le recueil Soirs que Tarabuste avait publié en 1999.
dans la lumière d’hiver
on va parmi le bleu sec
le matin cassant
autour miroite
la glace est nette
au bord du toit
les brindilles givrées
œil embuée3
Mais ce qui pour moi ne laisse pas d’être une manière vivifiante de se battre avec le poème, c’est le rapport soupçonneux qu’Antoine Emaz entretient avec la langue et les mots. Il y a comme deux forces qui s’affrontent perpétuellement : celle d’une part qui fait l’énergie du poème, qui fait qu’un poème s’écrit après un autre, qu’un livre succède à l’autre et, presque à l’opposé d’autre part, celle qui se méfie de toute affirmation trop forte.
Fixer plutôt cette odeur de compote de pommes
Nette
En cuisine
C’est vrai qu’elle est là
mais retenir
on ne sait pas4
Cela permet de dire qu’Antoine propose une sorte de poésie de l’indéfini, de ce qui échappe, sans jamais pourtant être dans le flou ou dans la métaphysique de la présence.
Antoine Emaz est un poète du « on ».
L’étymologie ne prouve évidemment rien. Mais écrivant cette dernière phrase, je ne peux m’empêcher de penser que derrière le pronom indéfini se tient, sans faire d’histoire, l’homme, l’être humain fait de boue
et de sang.
Trois vers pour résumer cette impression. Ils proviennent de Dedans Dehors – Mare & Sang, livre publié dans la collection « Plis Urgents » de l’éditeur Vincent Rougier (février 2012).
Ciel si haut dans son bleu
Les fleurs en bas.
On étouffe, langue retournée devant la terre retournée4
[Alexis Pelletier ]
lire aussi les notes de Jean-Pascal Dubost et d'Anne Malaprade
1. Peu importe, « De peu », dans Sauf, Tarabuste, 2012, p. 101
2. Poème corde, dans Sauf, Tarabuste, 2012, p. 143
3. Soirs, « (22.12.96 »), dans Sauf, Tarabuste, 2012, p. 185
4. Soirs, « (5.10.98) », dans Sauf, Tarabuste, 2012, p. 232