L’abîme des pensées

Publié le 01 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Quel est le souhait des apologistes de la démondialisation ? Que la puissance publique intervienne, qu’elle régule, qu’elle nous dicte nos conduites, qu’elle nous contraigne, nous sanctionne et fasse de nous de bons citoyens heureux d’obéir à l’État.
Par George Kaplan

J’ai la faiblesse de penser que je suis un garçon éduqué qui maitrise la langue française de manière tout à fait satisfaisante. Pourtant, il m’a fallu plusieurs lectures attentives de L’enracinement de l’universel de Monsieur Wilgos pour arriver à en dégager, au-delà d’un certain nombre de marqueurs idéologiques aisément identifiables, un vague sens. « Le génie de notre langue est la clarté et la précision » écrivait Voltaire. Écrit dans la plus pure tradition bourdieusienne – où l’art subtil qui consiste à masquer la vacuité d’un discours sous une logorrhée verbeuse – voilà pourtant un papier qui mérite cependant qu’on cherche à en comprendre le message tant il s’inscrit profondément dans l’esprit de notre époque.

Que nous dit donc Monsieur Wilgos ?

Une « élite mondialisée », une « bourgeoisie apatride » aurait développé une version dévoyée, un « piètre substitut » de la véritable pensée internationaliste (comprendre : celle de l’auteur), une idéologie fondée sur la « haine de la patrie » qui voudrait la « destruction des frontières » et rêverait de « la fin des nations ». Ces « nomades libéraux », suppôts du « mondialisateur effréné », auraient fait « sécession d’avec des peuples toujours aussi attachés à leurs coutumes, traditions, identités locales et nationales ».

Monsieur Wilgos nous apprend par ailleurs que ces « humanitaires défroqués », « missionnaires de l’évangile des droits de l’homme » brillent par leur hypocrisie puisqu’ils prêchent la démocratie ailleurs tout en la foulant aux pieds chez eux se comportant ainsi comme « ces maris qui battent leur femme à la maison et apparaissent ensuite en couple modèle devant leurs amis ». Leurs actions, en tant que classe, ne sont donc pas vraiment guidées par des conceptions philosophiques ou morales.

Non, ce que veulent vraiment les élites mondialisées, Monsieur Wilgos nous l’apprend plus loin, c’est « faire suer sang et eau aux peuples contraints à l’immobilité ». Ce sont, en réalité et derrière leurs beaux discours, des capitalistes (apatrides et mondialisés) qui veulent faire du fric en réduisant peuples et nations en esclavage – les salauds !

Le parfum des années 1930

En conséquence de quoi, Monsieur Wilgos prône la démondialisation à l’image de Messieurs Montebourg, Mélenchon, Sapir et – permettez que je complète la liste – de Monsieur Dupont-Aignan et Madame le Pen.

Nos racines et nos patries étant parait-il en danger, il est urgent de nous protéger de cette élite mondialisée en restaurant nos frontières, il faut renouer avec les valeurs morales du « socialisme originel », il faut – faisons simple – que la puissance publique intervienne, qu’elle régule, qu’elle nous dicte nos conduites, qu’elle nous contraigne, nous sanctionne et fasse de nous de bons citoyens heureux d’obéir au détenteur du monopole de la violence, le garant le l’intérêt général, encore et toujours : l’État.

Oui, en effet, voilà bien très précisément le genre de discours qu’on entendait aux heures les plus sombres de notre histoire. Voilà les années 1930 et leur cortège de socialisme, de nationalisme et de protectionnisme. Le bourgeois apatride, les puissances de l’argent, les financiers juifs, ennemis du peuple et de l’État. L’élite qui exploite le prolétariat, celle qui est responsable de tous les malheurs du monde, celle-là même qui complote dans l’ombre et l’anonymat et qui tire les ficelles des marionnettes politiques qui lui sont inféodées.

Where liberty dwells, there is my country

Je ne me risquerais pas à qualifier le socialisme de Monsieur Wilgos. Est-il « originel » ou « national » ? Peu me chaut. L’essence de tous les socialismes est la même : la croyance selon laquelle c’est la société – et par là même l’État – qui fait les hommes et pas le contraire, l’idée selon laquelle une définition d’un prétendu « bien commun » justifie que l’on nous prive de nos libertés. Au risque de rejoindre la bourgeoisie apatride, je tiens, moi, que chaque être humain a bien « un principe de vie particulier et une fin particulière ». Il s’agit de nos vies Monsieur Wilgos ; vous voulez faire de la vôtre celle d’une fourmi dans sa colonie ? Vous pensez que votre existence sert un objet qui vous dépasse ? Votre nation, votre patrie, votre classe, votre race (que sais-je ?)… Eh bien grand bien vous fasse ! Mais ce sera sans moi.

Moi je suis un homme libre et j’entends le rester. Comme tous les hommes et les femmes libres, je refuserai à jamais de sacrifier ma vie à vos visées constructivistes : vous ne nous enfermerez pas, vous ne nous dicterez pas comment nous devons vivre et penser. Ce sont nos vies et, ne vous en déplaise, nous en disposons. Nous ne nous rendrons pas, nous n’abandonnerons pas et nous ne cèderons pas un pouce de terrain.

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