On ne vous le répètera jamais assez, la rentrée littéraire de janvier est loin de déclencher les passions. D’abord, admettons que le chiffre d’affaire post-fêtes de Noël s’affole rarement. Ensuite, en plein hiver, les livres ne passent pas en priorité chez les français. Pour finir, les prix littéraires style Goncourt sont terminés et n’apporte plus de réel suspense sur la scène littéraire française. Pourtant, et comme nous vous le montrons depuis quelques semaines, une rentrée littéraire de janvier existe avec des écrivains certes souvent plus modestes mais tout de même doués. Dans une optique de communication totalement avouée, France Culture et Télérama se sont associés depuis 2006, créant un prix éponyme, récompensant chaque printemps une oeuvre de fiction de langue française sortie au cours de cette seconde rentrée.
Rajoutons à cela que le prix est assorti d’un chèque de 5000 euros et est remis au cours du Salon du Livre de Paris, l’évènement majeur de la littérature française. Toutes ces informations font du prix France-Culture Télérama un prix littéraire de plus en plus côté et suivi. Il monte le petit, il monte. Aujourd’hui WTFRU vous propose la sélection officielle du prix, comportant des romans qui font déjà beaucoup de bruit.
“Le roi n’a pas sommeil”, Cécile Coulon
« Ce que personne n’a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, autour d’une bière fraîche, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, ce poids, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hot-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les écoliers, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n’a pu savoir, c’est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras était venu lui passer les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise. »
“L’Anglaise”, Catherine Lépront
« Là-bas, seul sur une petite terrasse de pelouse rase et d’un vert brillant, le même bouleau nain pleureur que devant la maison, mais qui prenait ici une tout autre allure, plus dramatique mais dansante, une esquisse de chorégraphe, des branches entrelacées de telle manière à deux branches principales qu’on aurait dit que plusieurs êtres tentaient d’arracher l’un à l’autre deux amants s’étreignant éperdument, deux amants dont la passion aurait été interdite. »
“Les Séparées”, Kéthévane Davrichewy
Quand s’ouvre le roman, le 10 mai 1981, Alice et Cécile ont seize ans. Trente ans plus tard, celles qui depuis l’enfance ne se quittaient pas se sont perdues. Alice, installée dans un café, laisse vagabonder son esprit, tentant inlassablement, au fil des réflexions et des souvenirs, de comprendre la raison de cette rupture amicale, que réactivent d’autres chagrins. Plongée dans un semi-coma, Cécile, elle, écrit dans sa tête des lettres imaginaires à Alice. Tissant en une double trame les décennies écoulées, les voix des deux jeunes femmes déroulent le fil de leur histoire.
“Un éclat minuscule”, Jean-Baptiste Gendarme
Ils venaient d’avoir trente ans. Ça leur était tombé dessus sans crier gare. Ils s’aimaient, ils avaient un fils de vingt mois qui leur ferait bientôt sentir qu’ils étaient trop vieux pour le comprendre. Leur situation professionnelle était plus qu’incertaine – mais souvent enviée. Ils avaient des projets de voyages, un plan d’épargne logement comme les gens raisonnables – alimenté très irrégulièrement parce qu’ils n’étaient pas vraiment des gens raisonnables. Ils avaient, croyaient-ils, l’avenir devant eux.
“Il faudrait s’arracher le cœur”, Dominique Fabre
La vie retrouvée « Pourquoi je me souviens si bien de ce soir-là ? » Pour le narrateur de ce roman, le passé n’a pas disparu, au contraire. A travers trois histoires où il raconte comment ceux qu’il aimait l’ont quitté ou plutôt délaissé, il fait revivre ses années de jeunesse lorsqu’il attendait que la vie, la vraie, veuille bien cogner à sa porte. La première histoire est une histoire d’amitié, celle de sa relation avec deux amis qui se suicident ou cherchent à le faire. La deuxième raconte le départ du jour au lendemain du père, et les rencontres en pointillés qui suivront cette désertion.
“Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus”, Ivan Jablonka
“Je suis parti, en historien, sur les traces des grands-parents que je n’ai pas eus. Leur vie s’achève longtemps avant que la mienne ne commence: Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers. Ils ne sont pas célèbres. Pourchassés comme communistes en Pologne, étrangers illégaux en France, Juifs sous le régime de Vichy, ils ont vécu toute leur vie dans la clandestinité. Ils ont été emportés par les tragédies du XXe siècle: le stalinisme, la montée des périls, la Seconde Guerre mondiale, la destruction du judaïsme européen. “
“Les Raisons de mon crime”, Nathalie Kuperman
« Elle n’avait pas eu une vie facile. Elle passait les détails, mais ce qu’il fallait qu’il sache, et puisque ça lui viendrait aux oreilles un jour ou l’autre elle devait le lui dire, c’est que les quatre hommes qu’elle avait aimés depuis son divorce étaient morts. Maurice faillit s’étrangler. Ils sont morts de quoi ? De mort naturelle, pardi ! Et ce fut elle qui s’étrangla de rire. Maurice la regardait, de plus en plus fasciné. Cette femme était exactement la femme dont il rêvait. Bon, maintenant que tu sais, tu restes ? Tu veux bien de moi ? Et comment ! Ils se tapèrent dans la main comme pour conclure une bonne affaire (et Maurice n’osait croire qu’il venait de croiser l’amour une seconde fois, de façon si brutale, si forte, si rapide). »
“Le Dernier Contingent”, Alain Julien Rudefoucauld
Des adolescents, pour certains à peine sortis de l’enfance et déjà en perdition : massacrés par la famille, la société, les institutions. Six d’entre eux vont raconter – à la première personne, dans la langue brutale et splendide qui est leur seule arme – la guerre invisible que l’époque mène contre ses propres enfants. Cela se passe aujourd’hui, en France, dans les marges de la région bordelaise. À mesure que Marco, Sylvie, Xavier, Malid, Manon et Thierry racontent, leurs chemins se rejoignent. Ils vont former ce «dernier contingent» dont l’épopée durera douze semaines – sidérantes de noirceur et de beauté, comme une longue catastrophe montrée au ralenti.
“Supplément à la vie de Barbara Loden”, Nathalie Léger
Plusieurs destins s’entrelacent. Ils se nouent autour d’un film, Wanda, réalisé en 1970 par Barbara Loden, un film admiré par Marguerite Duras, une œuvre majeure du cinéma d’avant-garde américain. Il s’agit du seul film de Barbara Loden. Elle écrit, réalise et interprète le rôle de Wanda à partir d’un fait divers : l’errance désastreuse d’une jeune femme embarquée dans un hold up, et qui remercie le juge de sa condamnation. Barbara Loden est Wanda, comme on dit au cinéma. Son souvenir accompagne la narratrice dans une recherche qui interroge tout autant l’énigme d’une déambulation solitaire que le pouvoir (ou l’impuissance) de l’écriture romanesque à conduire cette enquête.
“La Traversée de la France à la nage”, Pierre Patrolin
Il franchit des barrages, il dévale malgré lui des rapides, il nage sous le sabot des vaches. Il s’écarte des routes : le propre de la nature de l’eau, des fleuves et des ruisseaux, c’est d’atteindre avec obstination le point le plus bas possible. De s’enfoncer dans le sol pour s’inscrire au creux du paysage. Au plus profond du paysage. Cette pente naturelle emporte donc le personnage qui décide de s’y soumettre, pour le conduire au hasard des plaines et des montagnes. Des villes aussi. Elle l’oblige surtout à un point de vue singulier.