Selon le Dr Levy-Soussan, une sélection sérieuse des parents adoptifs, un appariement de l'enfant et des parents en fonction de l'histoire de l'enfant et du projet d'enfant des parents et le respect du cadre juridique de l'adoption sont les principaux atouts pour réussir à créer la filiation et donc l'adoption.
« Quand l'adoption marche, c'est extraordinaire. C'est un mécanisme psychique qui fait que l'enfant sait bien qu'il vient d'un ailleurs mais pour lui, il aurait pu venir d'eux. C'est une fiction réelle ».
Un processus de filiation complexe
Le rôle du psychiatre qui voit les personnes en demande d'agrément est d'apprécier leur capacité à mettre en place le processus psychique qui permettra de transformer l'enfant en fils ou fille. « C'est un mécanisme qui ne va pas de soi. Nous sommes dans un processus de construction de la filiation qui n'est pas inné », explique le pédopsychiatre.
Dans le cas de l'adoption, la filiation a deux facettes, une qui se défait, soit par l'abandon de l'enfant, soit par le retrait de l'enfant aux parents suite à une maltraitance, un délaissement, et une qui va se construire.
La filiation correspond au maillage du narcissisme parental et de la construction du soi de l'enfant. Dans le cas de l'adoption, cela expose à un certain nombre de difficultés. D'un côté, la difficulté pour les parents à se reconnaître avec un enfant qui vient d'un ailleurs. Ils vont devoir surmonter un certain nombre de fantasmes liés au lien biologique. De l'autre côté, la filiation est une construction, un montage psychique mais aussi juridique.
La filiation repose sur trois piliers : la loi, le psychique (filiation narcissique) et le pilier biologique. « Lorsqu'il en manque un, soit ça se casse la figure, soit ça tient si le pilier législatif est renforcé et si le pilier psychique est renforcé. Toute particularité dans le registre des filiations sollicitera fortement les deux piliers restants », souligne l'intervenant.
Si dans le cheminement vers l'enfant, il y transgression de la loi, ou si sur le plan psychique il y a des vulnérabilités, le risque d'échec augmente.
La filiation grandit dans un cadre (filiatif juridique) qui permet un travail psychique important pour permettre à chacun la construction de sa propre identité et l'élaboration de sa subjectivité et de son destin. Le cadre légal dit qu'il y a un père, une mère, une fille ou un fils mais il ne dit rien sur la qualité du processus entre eux. La qualité de ce processus dépendra de chacun mais il faut un cadre pour permettre à ce processus d'advenir.
Les facteurs de risque de l'adoption chez l'enfant
Lorsque, très précocement, les enfants ont été victimes de violences, de séparations multiples, de maltraitance ou d'incohérence du milieu affectif primaire, il peut y avoir des retentissements sur leur capacité à être (leur individuation), leur capacité à penser, leur capacité à utiliser l'autre d'une façon bénéfique pour eux et même sur leur capacité à jouer.
L'atteinte précoce et massive dans les premiers mois de l'enfant est un facteur prédictif de difficultés à venir.
La majeure partie des études internationales montrent une augmentation de la prévalence d'un certain nombre de pathologies chez les enfants adoptés, en particulier chez les garçons, notamment des dépressions avec parfois des passages à l'acte suicidaire, ou des adolescences avec des troubles plus nombreux mais surtout plus violents dans leur démonstration .
Les carences affectives précoces des enfants adoptés ont été associées à un taux élevé d'échecs d'adoption.
Le Dr Levy-Soussan note également que tous les enfants ne sont pas adoptables : « Quand les enfants ont vécu trop longtemps dans des mécanismes de survie ou que le passé carentiel et traumatique est beaucoup trop long, ils ne pourront pas transformer l'adulte en parent ».
Pour une sélection des candidats et un travail d'appariement des familles efficients
Mais les problèmes sont également présents du côté des parents. Selon le Dr Levy-Soussan : « Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas de sélectivité des parents qui est faite en amont. Or, c'est une des premières préventions à faire par rapport aux échecs d'adoption. En France, 90 à 100% des parents sont acceptés dans deux tiers des conseils généraux. Or, lorsque sont associés des enfants à risque et des parents à risque, les facteurs de risque peuvent se démultiplier et aboutir à des échecs ».
Pour l'orateur, il faut rechercher la réelle motivation des demandeurs. « Il faut dépasser le fantasme de l'enfant à sauver, décourager à tout prix les motivations humanitaires. Il faut faire prendre conscience que l'amour et le désir ne suffisent pas », souligne-t-il.
Il cite Donald Woods Winnicott : « Il ne suffit pas de dire que l'on aime nos enfants, ils attendent quelque chose de plus. Qu'il subsiste quelque chose quand ils sont détestés et même détestables ».
Parallèlement, en tant que futur parent adoptif, il est essentiel de respecter son rythme et sa maturation psychique par rapport au projet d'enfant et de s'avoir s'autolimiter sous peine d'augmenter les risques d'échecs de l'adoption. « Si des primo parents ont fait le projet d'un enfant de 2 ou 3 ans provenant d'un certain pays et qu'on leur propose un enfant de 7 à 8 ans d'un autre pays, un enfant à besoins particuliers ou une fratrie, ils doivent se réfréner. Tous les enfants ne peuvent pas aller chez tous les parents. Par rapport à tous les possibles du monde, il faut rechercher le réalisable », note l'intervenant.
Il souligne également que les parents sont très peu armés pour la compréhension des enjeux de l'adoption internationale qui actuellement domine ce champ : « En France, 70% des adoptions internationales viennent de pays qui n'ont pas signé la convention de la Haye. Cela pose un vrai problème d'éthique avec le risque majeur de trafic d'enfants, donc d'enfants vulnérables sur le plan de la construction filiative et de plus en plus d'enfants à besoins spéciaux. Les parents adoptants ne sont absolument pas préparés à accueillir ce type d'enfants avec ce type de clinique ».
Parent adoptif célibataire ?
L'ensemble des publications scientifiques internationales montrent une sur-incidence des problèmes chez les adoptants seuls. « A tel point que certains pays ont supprimé l'adoption pour les personnes seules », souligne le Dr Levy-Soussan qui ajoute « dans notre consultation, nous avons 5 à 6 fois plus de parents adoptifs célibataires. Il est beaucoup plus compliqué d'être avec un enfant en difficulté lorsqu'on est seul. Pour nous, le célibat fait partie des situations à risques ». Cependant, l'orateur distingue deux types de célibataires : les célibataires qui le sont « de façon quasiment structurelle, et professionnelle » et qui récuseront un quelconque tiers entre elle et l'enfant. Ce sont les adoptions les plus à risque, voire une contre-indication. Et, les célibataires de circonstance « qui ne se définissent jamais de cette façon-là ».
Vous trouverez son interview ici (la video se met en route même sans être membre du site, réservé aux médecins, mais elle est partiellement masquée par la fenêtre demandant les codes d'accès)
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Source: Medscape , Auteur : Aude Lecrubier / 2 février 2012