On le dit (et c’est vrai peut-être),
Passant devant une fenêtre
Grande ouverte sur un cellier,
Un Corbeau vit, émerveillé,
Des fromages qui s’égouttaient,
Bien alignés sur une claie.
Il en prit un et s’en alla.
Un Renard qui passait par là
Vit le fromage, et ce Renard
Eut envie d’en avoir sa part :
A lui d’essayer, de ruser
Pour voir s’il pourrait l’abuser…
« Ah ! Seigneur Dieu, le bel Oiseau !
S’écrie le Renard, qu’il est beau !
Au monde il n’a pas sa pareille !
De mes yeux voir telle merveille !
S’il a le chant digne du corps,
Il vaut plus que son pesant d’or ! »
Entendant clamer à la ronde
Qu’il est sans égal en ce monde,
Le Corbeau se dit : « Chantons donc !
Ne perdons point notre renom. »
Il ouvrit le bec, il chanta :
Le fromage lui échappa
Et s’en vint tomber sur la terre
Où Goupil en fit son affaire
Sans plus se soucier de ramage :
Il aimait bien mieux le fromage.
Ainsi va t-il des orgueilleux
Trop pleins d’envie d’être des glorieux :
Qui les flatte et sait leur mentir
Les fait sans peine se servir
Et ils dépensent follement
Pour prix de ces faux compliments.
Marie de France (XII siècle).
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