Après la mort de son père, il s’est suicidé en sautant du quatrième étage de la maison de retraite, Antonio Altarriba a voulu écrire sur la vie de cet homme. Une sorte de catharsis lui permettant de solder une culpabilité liée à ce violent décès. Dans sa postface Antonio Altarriba explique son cheminement, et comment, à partir de quelques écrits de son père il a reconstitué ce récit.
L’art de voler est la vie d’un homme intègre et engagé, c’est aussi une Histoire du vingtième siècle, une Histoire de l’Espagne, de l’Europe qui se dessine à travers un destin individuel. De l’avènement de la Seconde République espagnole, à celui du franquisme, de l’exil en France en pleine Seconde Guerre Mondiale aux années euphoriques d’après guerre et au retour en Espagne aux débuts des années 1950, d’une vision révolutionnaire, anarchiste, qui rencontre plus tard l’esprit de la Résistance, mais aussi la confrontation aux questions identitaires, à l’exil, se sentir étranger, être sans papier, devoir se débrouiller, vivre, gagner sa vie, se compromettre, accepter le retour en Espagne sous Franco, tout ce qu’Antonio Altarriba père a vécu est profondément marqué par sa vision d’une vie simple et juste.
Issue d’une famille de paysan pauvre, Antonio a souhaité changer de vie, il a rencontré les idéaux des anarchistes en Espagne à un moment crucial, des idéaux et une fraternité pendant la guerre d’Espagne qui ont façonné sa façon de vivre, son désir de justice et de partage, de défense des opprimés et de valeurs humanistes. C’est la défaite des Républicains, toutes les compromissions qu’il a dû accepter, le renoncement face à une épouse bigote et frigide, qui ont conduit cet homme à une profonde dépression qui a terni ces dernières années et l’ont conduit à commettre cet acte libératoire.
Ce roman graphique est un moment mémoriel et un acte d’amour, celui d’un fils pour son père. Une réhabilitation d’un homme meurtri, aux idéaux déçus, une définition vibrante des liens qui se nouent entre père et fils, un pacte de sang, qui augure autant sinon plus que celui, le pacte de plomb, noué entre des camarades de combat, une transsubstantiation, tel que la définit l’auteur, entre deux êtres au-delà de la mort et qui prend sa traduction dans un ouvrage de bande dessinée, médium à nouveau (après Maus, Là ou vont nos père, Le photographe, La guerre des tranchée…) très efficace pour ce genre de récit.
Le dessinateur Kim (Joaquim Aubert Puig-Arnau) a su rester sobre et réaliste en donnant autant de chaleur que de dynamisme à ses dessins et personnages : on pourrait presque voir un Crumb assagi.
Je vous prépare pour la semaine prochaine un billet sur un documentaire cinématographique sur Manuel Azana, premier président de
la Seconde République espagnole et qui couvre en partie les évènements contenus dans le second chapitre de ce roman graphique.
Des billets chezMo (la bar à BD), de Jean-François Marty (les BD du Chat noir), la Savonnerie clandestine. Enfin le lien sur le site de l'éditeur Denoël Graphic.
L’art de voler
Antonio Altarriba, illustration de Kim, Denoël Graphic, 2011 -23,50 €.