Pour leur poids d’ombre et de calme, là, maintenant, je pose : La Glane. Et je pose : la Loue
On appelle miroirs sur la Loue,
les zones lentes où la rivière forme bassin.
À Quingey le bourg entier se tient au bord de son reflet exact,
pieds dans les nuages et les vols d’oiseaux.
La Loue à Quingey, La Loue à Ornans
claire et noire en même temps
gorgée de silence et gorgée d’herbe
comme si entre la voix d’eau claire
et sa gorge de pénombre
il y avait depuis toujours
lit d’ombre au fond du miroir
peignée par l’eau la coulée d’herbe
que le marcheur penché depuis les ponts
lit des yeux face dans les souffles
une éternelle saison d’herbe
noyant à fleur de rivière et qui
tire l’instant par les cheveux.
et tiens, laissez que je m’y vautre, dans l’épaisseur du mot je veux dire, au moins me laisse aller à la vague chanson des sédiments qui allitère (j’allais dire : alliterre) avec la discrète et gourmande syllabe ou plutôt bisyllabe : Laloue.
Laloue, rêverie de campagne qui s’ouvre en douceur, en nommant au passage la houe, le houx, le loup lui-même, en même temps qu’on écoute comme de loin cette aura de silence figurée par la muette archimuette allongeant à la fin ce fantôme agreste jusqu’à l’idée modeste de métayage (loue) et jusqu’à l’idée encore plus lointaine d’alluvion : la Loue nous glissant sur la langue, à toute soif utile, un pan de notre dû, de notre nécessaire, l’allocation de cette eau nourricière avec sa part de lustre et sa part de boue.
Je demande à la rivière
Loue d’ouvrir le ciel par où
l’oiseau tombe dans les nuages
et remonte par l’eau claire
entre feuillage et soleil
la lumière est de torsades
les poissons naissent de l’air
l’ombre casse les cailloux
sur le chemin de halage
l’azur se rince à la boue
Gennes sur Glaize Vaux sur Blaise
Ludovic Janvier, Des rivières plein la voix, promenade, L’Arbalète, Gallimard, 2004, pp. 163 à 165.
Ludovic Janvier dans Poezibao
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