Régulièrement (et particulièrement en période électorale) revient la question de savoir ce qui fait qu’en France, le taux de chômage est aussi élevé. Bien sûr, on peut trouver une explication dans la conjoncture économique actuelle, particulièrement rude. La structure des charges qui pèsent sur l’emploi forment une autre raison souvent invoquée. Ces deux facteurs sont, clairement, les plus visibles. Pour ma part, j’en identifie un troisième, plus profond.
Et pour l’illustrer, je vous encourage à jeter un oeil rapide sur ce blog, qui relate une récente affaire de licenciements économiques dans une petite entreprise et l’issue de l’action en justice qui fut menée par quatre des employés concernés.
Pour résumer, la société Hellin, dans le Nord, qui fabrique essentiellement des cercueils depuis 1862, a perdu un gros marché et vu son chiffre d’affaire réduit à 47%. Le patron, n’ayant aucune marge de manœuvre, a décidé de licencier sept de ses vingt employés. Il explique ainsi :
« Quand on perd la moitié de son chiffre d’affaires, quelle variable d’ajustement a-t-on pour ne pas mourir ? On continuera à inclure toujours autant de bois dans nos cercueils et la direction ne se paye déjà plus. »
Notez donc qu’ici, la direction n’est pas, le cigare au bec, en train de décider du sort de salariés entre deux repas plantureux dans un grand restaurant parisien, et qu’elle a déjà fait un certain nombre de sacrifices personnels. La situation est donc bel et bien tendue à l’extrême. Mais baste : passons.
Le licenciement est acté, et, comme souvent dans ces cas là, paf, quatre des sept salariés concernés attaquent l’entreprise aux prud’hommes au motif que la lettre de licenciement ne précise pas que c’est la baisse du chiffre d’affaire qui justifie la suppression de leur poste. Bien évidemment, la société Hellin est condamnée à leur verser 61.000 euros de dommages et intérêt, soit plus que le fonds de roulement de la société. Autrement dit, c’est la faillite quasi-certaine pour toute l’entreprise.
Ici, on peut se dire que la concurrence, qu’elle soit nationale ou mondiale, se frotte les mains : ce qu’elle a tant de mal à faire (se débarrasser d’une entreprise sur la place depuis 150 ans), la « justice » s’en charge en quelques semaines. On s’interroge aussi sur ce qui motive les juges prud’homaux dans ce cadre. Certes, protéger les salariés contre les patrons qui font des fautes, c’est très noble, mais là, très concrètement, quatre personnes ont eu « gain de cause » (pour autant que le gain soit réel), mais treize supplémentaires se retrouvent sans emploi.
Le lecteur franchouillard moyen se fera fort, dans les commentaires relatifs à l’article du blog, de faire remarquer que ce patron n’est vraiment pas malin d’avoir osé faire des lettres de licenciement sans passer par un avocat ! Le cuistre, le fat ! Il aurait dû savoir que le droit du travail français était un tantinet complexe et méritait largement qu’on dépense quelques milliers d’euros de conseil afin de faire un beau licenciement économique sans erreur (alors que la trésorerie était tendue comme une conversation Le Pen – Mélenchon).
Et si ce n’est pas la légèreté de ce patron qui est généreusement fustigée, un autre lecteur n’hésitera pas à faire remarquer que les juges des prud’hommes sont des gens pondérés, bons et pétris d’humanité qui cherchent avant tout à faire triompher le Droit (du Travail), belle et noble construction française protégeant le salarié contre les vices inhérents du capitalisme et de l’actionnariat qui ne fait rien qu’à broyer des vies. Dura lex sed lex et bien fait pour sa gueule, en somme.
Bref. Le patron fut un idiot, et le jugement ne fait qu’éclairer une vérité inaltérable : le Droit passe avant tout.
Moui.
Sauf qu’au final, ce n’est pas sept chômeurs de plus, mais vingt que le petit Paul Employ va devoir gérer. Malin, les juges ! Bien joué, le Droit ! Or, c’est justement le nœud du problème : qu’est-ce qui peut bien pousser des juges à ce genre de décision, sachant que le résultat logique est une détérioration générale de la situation après leur passage ? Quel raisonnement peut-on tenir, quelle rigidité intellectuelle crasse permet d’expliquer qu’on préfère vingt chômeurs à sept ?
Laissons la question quelques minutes en suspend et regardons une autre affaire dans laquelle on assiste, assez consterné, à une nouvelle étape de délitement dans la vie entrepreneuriale française : il apparaît en effet que des tribunaux de grande instance ont récemment interdit à deux entreprises françaises de mettre en œuvre un plan social, sous prétexte que ces sociétés sont filiales de groupes étrangers en bonne santé et donc qu’il n’y a pas de motif économique pour un tel plan.
Or, seuls les conseils des prud’hommes peuvent normalement annuler un plan social ex post (une fois celui-ci mis en œuvre). Ici, ce sont des tribunaux de grande instance qui l’ont fait, ex ante (avant même qu’il soit acté). L’affaire est donc en montée jusqu’en Cour de Cassation qui doit trancher ce mardi.
Qu’elle tranche dans le sens précédent ou pas, à la limite, peu importe. Ce qui importe ici, c’est l’attitude générale de la Justice envers les entreprises. Comme dans l’affaire précédente, on y détecte sans mal exactement le même esprit.
Et c’est là, le fameux facteur que j’évoquais dans mon introduction : si la France n’arrive pas à se départir d’un nombre important de chômeur, ce n’est pas seulement dû à la conjoncture ou à des charges salariales trop importantes. En réalité, il règne maintenant en France un esprit si farouchement opposé à l’entrepreneur, si résolument opposé au patronat, si viscéralement en contradiction avec la volonté de laisser les plus courageux d’entre nous fonder des sociétés que, petit à petit, la création d’entreprise s’étiole. Le maillage des PME s’effiloche pour ne plus laisser que des grands groupes, français ou étrangers, avec des reins juridiques suffisamment solides pour répondre à toutes les demandes farfelues, incessantes et changeantes de l’administration.
Fondamentalement, tout en France a été organisé pour saper les volontés. Créer une entreprise, devenir patron, c’est, avant tout, prendre un risque et désirer valoriser son savoir-faire en dehors des structures balisées du salariat. Mais voilà, en France, créer une entreprise est d’abord ressenti comme une façon de faire son intéressant, de se démarquer, pour, essentiellement, s’enrichir. Dès lors, le patron est vu systématiquement, par la Justice, l’administration fiscale et territoriale, comme un fieffé loustic qui fera tout ce qu’il peut pour dissimuler ses revenus et éviter le juste impôt. Le patron est, par défaut, celui qui fera régner l’oppression sur le salarié. Le chef d’entreprise est ressenti, systématiquement, comme le Goliath que chaque petit David, qu’il soit bureaucrate ou syndicaliste, se sentira le devoir de dézinguer. Mais là où le David biblique décocha un caillou bien ajusté à Goliath, en France, ce sont des millions de Davids qui décochent, sans arrêt, des millions de grains de sable, de cailloux et de fourberies à chacun des Goliath qui se sera dressé, un peu naïf, sur leur chemin.
À force, non seulement entreprendre devient un véritable calvaire ou seule la connivence avec les politiciens locaux permet de s’en sortir, mais elle épuise tant de monde que chaque entreprise qui ferme décourage plusieurs autres vocations qui ont vu les obstacles absurdes, lamentables et/ou ubuesques jetés par les administrations, les syndicats, la justice et le reste.
À ceci faut il encore ajouter l’esprit typique du « Tu n’y arriveras jamais » qui a su percoler en France au point que les gens ne s’en rendent même plus compte : l’échec étant vécu comme une infamie absolument indépassable, se lancer dans la création d’entreprise, c’est risquer de l’argent et du temps, et qui sait, frôler voir plonger dans l’échec.
Et là, c’est superbe : si l’entreprise marche, le peuple des jaloux, toujours fort de ses millions de membres, jettera à la face du patron qui a réussi tout ce que le socialisme peut produire de gentilles incitations à se départir de cette réussite qui pour aider les pauvres, les sans-grades, les tristes, les malheureux. Et pan la taxe, et pan l’impôt, et pan le redressement, et pan les contrôles multiples. Fallait pas se lancer, mon canard.
Si l’entreprise ne marche pas, on aura le douteux plaisir de ne pas déclencher la jalousie, mais on devra tout de même se cogner, au milieu des « Je te l’avais bien dit », les procès prud’homaux, les redressements et, bien sûr, les remarques en biais sur le mode « Il a détruit X emplois » lorsque la faillite sera actée.
Ces effets sont palpables, partout, tout le temps, autour de vous. Cet esprit typique qui honnit l’échec, la prise de risque, et se badigeonne de jalousie le reste du temps, c’est bien là le point fondamental qui, chaque jour, fait fermer des portes, décourage les volontés, fait fuir les cerveaux et crée de nouveaux chômeurs.