Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 23. de la raison de la présence de l'oryx dans l'iconologie de l'offrande alimentaire

Publié le 28 février 2012 par Rl1948

   Et Râ dit à Horus : "Laisse-moi voir ton oeil, après ce qui lui est arrivé". Et il l'examina, et lui dit : "Regarde ce trait, mais en couvrant de ta main l'oeil sain". Et Horus regarda ce trait et dit : "je le vois blanc, blanc".

   C'est ainsi que fut créé l'oryx.

Textes des Sarcophages, II, 336-338

dans Philippe DERCHAIN

  Le sacrifice de l'oryx

Rites égyptiens I

Bruxelles, F.E.R.E., 1962

p. 29

    Parmi les quarante-trois fragments peints qui composent l'échantillon du programme iconographique du mastaba de Metchetchi proposés dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre que, depuis le 31 janvier, nous découvrons dans le cadre de notre approche des porteurs d'offrandes, il en est un d'une finesse de traits qui, chaque fois que je le regarde, a grand pouvoir de me séduire :

 

il s'agit de celui (E 25512) figurant des serviteurs maintenant par leurs cornes quelques animaux du désert, deux oryx de part et d'autre d'une gazelle.

   Permettez-moi, amis lecteurs, une petite parenthèse aux fins d'attirer votre attention sur deux points que les plus fidèles d'entre vous, forts de précédentes interventions, auront déjà remarqués : le carroyage préparatoire au dessin, bien visible ici ; et la preuve, une fois encore, que même dans le cadre de consignes inhérentes à certaines règles de l'art égyptien, des artistes s'autorisèrent - en réalité, bien plus souvent qu'on l'imagine ! - l'une ou l'autre fantaisie : il en est ainsi de ce petit défilé dont la monotonie, qui une fois encore eût pu paraître gênante à d'aucuns, a été élégamment brisée grâce, d'une part, à la fine gazelle grise qui n'a manifestement nulle envie d'avancer dans la même direction que ses compagnons d'infortune et, d'autre part, aux gestes du personnage central qui, tout naturellement, prend garde aux animaux sous sa responsabilité mais aussi à celui, plus récalcitrant, de son collègue.

   Maintenant, autorisez-moi cette question : avez-vous été sensibles à un détail particulier ?

Au niveau des bêtes elles-mêmes ...

   Non ? Regardez-les bien une nouvelle fois, cela me paraît pourtant flagrant ... 

   Eh oui ! Vous avez raison, Madame : toutes portent un collier autour du cou. Sauf l'insoumise !

Toutes, vraisemblablement, sont en captivité, voire domestiquées. Sauf l'insoumise !

Toutes respectent donc naturellement l'ordre intimé. Sauf l'insoumise !

     Et si, pour "s'excuser" d'avoir osé semblable digression scénique, ce scribe des contours s'était prudemment retranché derrière le détail de l'absence du collier chez l'adorable antilope grise ? Ainsi, plus aucune suspicion d'avoir délibérement transgresser les codes imposés ne pèserait sur lui ; plus aucun reproche ne pourrait dès lors lui être adressé : il n'aurait jamais fait état que d'une logique animalière entre les uns, habitués à obéir et l'autre, gambadant au gré de son humeur.

Habile, non ?

Très habile, même ...

 

   Parce qu'ils évoluent cette fois vers la droite, il appert que ces serviteurs faisaient partie de tableaux peints sur le mur sud de la chambre dont ils ont un jour du siècle dernier été arrachés ; parce que le présent fragment se termine par un bandeau rouge entre deux épaisses lignes noires, il appert encore qu'il constituait le bord inférieur du registre de soubassement ; et parce que le Conservateur en charge de l'agencement de ces pièces a placé celle-ci immédiatement après le petit éclat (E 25513), quant à lui nettement bien moins conservé puisque n'y subsistent que mollet et chevilles du conducteur et l'extrémité des pattes graciles des mammifères convoyés,

et précédant un autre (E 25524)

sur lequel figure, en taille héroïque, la jambe du propriétaire de la tombe devant laquelle se tient Ihy, un de ses fils, il appert enfin que ces hommes conduisaient ce cheptel particulier en guise d'offrandes à Metchetchi.

   Les trois morceaux assemblés côte à côte,


  sont exposés à l'extrémité de la partie droite du long meuble vitré ici devant nous.

   (Mes remerciements les plus appuyés à  SAS pour avoir à mon intention effectué un nombre considérable de clichés de ces éclats ; ceux signés de ma main évidemment exceptés.)

 

   Lors de notre rendez-vous du mardi 14 février dernier, admirant de conserve l'aristocratique beauté d'un ruminant semblable sur cet autre fragment (E 25514 ), j'avais terminé notre conversation en vous promettant, amis lecteurs, de nous retrouver après la semaine du congé de carnaval dans le but d'être plus disert concernant l'un d'entre eux : l'oryx.

   A nouveau les plus fervents d'entre vous se souviendront certainement qu'en juillet 2010 déjà, en nous attardant dans cette même salle devant le grand mur central immédiatement derrière nous, nous avions longuement porté nos regards sur une cuillère à offrandes (E 3678) datant de la XVIIIème dynastie.

   Retournons-nous un court instant, voulez-vous, pour la redécouvrir et ainsi constater que la pièce, mesurant 12, 9 cm de long et 5, 5 de large, figure précisément un oryx couché, probablement ligoté comme souvent c'est le cas dans l'art égyptien, dont les pattes ont malheureusement disparu dans la cassure et dont seul le haut de la cuisse est resté intact. Ses longues cornes parallèlement incurvées dans le prolongement du museau, touchant le dos de leurs extrémités, poursuivent de la sorte et terminent même, avec la queue, la courbe gracieuse imprimée par l'artiste à l'ensemble de sa composition.

   S'il nous faut ici concevoir la représentation d'un animal capturé, c'est simplement parce que bouquetins, ibex et autres bubales des confins désertiques de l'Égypte constituèrent eux aussi dès les temps les plus anciens un gibier recherché qu'il devint intéressant non seulement de chasser mais également d'engraisser pour bénéficier d'un apport non négligeable quand, d'aventure, une battue n'offrait pas le butin initialement escompté.

   Souvent associé à la gazelle mais aussi à l'antilope, alors qu'il ne fait pas véritablement partie de la famille de cette dernière, l'oryx fut donc, dès l'époque archaïque, prisé à la Cour ainsi qu'au sein des classes privilégiées en tant que ressource alimentaire de premier ordre tout à la fois pour les repas ici-bas mais aussi pour ceux de l'Au-delà, de manière à, comme le précisent les textes, nourrir le ka du défunt. 

   C'est évidemment sous cet angle particulier qu'il nous faut considérer nos deux serviteurs menant troupeau à Metchetchi.

   Mais peut-être aussi sous un autre. En effet, vous n'ignorez plus, vous qui me suivez depuis tant d'années, que maints détails gravés ou peints sur les parois des tombes font référence à la régénération du défunt, à la reconstruction de son intégrité corporelle pour l'éternité.

   Et à ce propos, être conscients que ces animaux furent très souvent associés à Anoukis, la déesse d'Assouan, à laquelle il n'était point rare d'attribuer les mêmes fonctionnalités que celles d'Hathor, à savoir : présider à la naissance et à la renaissance en favorisant la sexualité post mortem du défunt dans un but de fertilité.

   Dès lors, en plus de la raison alimentaire évidente, leur présence dans l'iconologie des tombeaux pourrait très bien se concevoir dans cet esprit d'apporter certitude au propriétaire de recouvrer toutes les capacités physiques qui furent siennes ici-bas.

   Mais quel fut donc le funeste sort de ces agiles herbivores ?

   Le même apparemment, si j'en crois les représentations qui se sucèdent dans les mastabas d'Ancien Empire et que les égyptologues ont pris l'habitude de définir du titre de "scènes de boucherie", que pour les boeufs, les veaux, voire même, parfois, certaines volailles.

   En effet, toutes proposent, dans un premier temps, la vision de l'animal maintenu renversé sur le sol de manière à être rapidement entravé ; toutes montrent l'ablation de la patte antérieure droite ; toutes donnent à voir l'apport de ce morceau de premier choix - selon ce qu'indiquent les textes -, au maître des lieux. 

   Concernant plus spécifiquement notre bel oryx, ce qui n'était aux premiers temps de la civilisation égyptienne qu'un geste ressortissant au seul domaine de la cynégétique visant à approvisionner la table prit, par la suite, dès le nouvel Empire et plus largement encore à Basse Epoque, une connotation liturgique, cérémonielle, rituelle

   C'est précisément des raisons de son sacrifice représenté dans certains temples tardifs, d'époque  ptolémaïque ou romaine, qu'il m'agréerait de vous entretenir, amis lecteurs, lors d'un futur rendez-vous.

   Préalablement toutefois, au risque de quelque peu ébranler votre sensibilité, j'aimerais, le 3 mars prochain,  évoquer  les techniques de sa mise à mort elle-même.

   A samedi ?

(Derchain : 1962, passim ; Warmenbol : 1999, 120 ; Ziegler : 1990, 134)