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Le Mécanisme Européen de Stabilité : panacée ou danger ?
Publié le 28 février 2012 par Vindex @BloggActualiteQu’est-ce que le MES ?
Successeurdu Fond Européen de Stabilité Financière, le Mécanisme Européen de Stabilitéest plus qu’un traité : il s’agit d’une société financière constituée de17 actionnaires qui sont les Etats de la zone euro, et basée au Luxembourg. CesEtats doivent donner en garantie des fonds, chacun en fonction de leurimportance économique. Ainsi, ce sont l’Allemagne et la France qui contribuerontle plus au fond, avec respectivement 27 et 20,5 pour cent de la contributiontotale. La France devra ainsi sur les cinq prochaines années donner au fond 142milliards d’euro (l’équivalent du budget 2011 de l’Union Européenne, rien queça…). Avecun total de 700 milliards de garantie des Etats, le MES devrait, selon sesconcepteurs, garantir un rôle de stabilité financière pour les Etats endifficulté comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie.Comment ? En permettant à ces pays de pouvoir se financer sur les marchés :les MES devrait emprunter pour eux et à des taux espérés bas des fonds pourpouvoir les aider. Grosso modo, ce fond tente de garantir l’harmonie destaux d’intérêts entre les membres de la zone euro, ce que la monnaie unique neréussit plus à faire. Il tente aussi de contourner par la même occasion l’effetdes agences de notation sur les pays en difficulté. Le problème est qu’en tantque société financière, le MES sera également noté par celles-ci. Sespouvoirs sont importants : le MES pourra, si les évènements économiquesl’exigent, demander une accélération du paiement des membres de l’eurozone etceux-ci devront alors exécuter le paiement dans les 7 jours. Le MES pourraégalement emprunter de l’argent sur les marchés et le redistribuer, ainsi queracheter des obligations des Etats en difficulté, ce qui était pourtantinterdit par le traité de Lisbonne de 2008 à la BCE : cette incohérenceest évitée par le fait que cette organisation n’est pas régie par le droit del’UE, n’étant pas une nouvelle institution de celle-ci. Le MES pourra de mêmeaider directement les Etats en difficulté, mais de manière exceptionnelle etpas sans un accord unanime des décideurs. Al’intérieur du MES, ce sont les 17 ministres des finances des Etats membres quipourront prendre des décisions. Leurs voix seront réparties en fonction de laparticipation de chaque Etat au fond, ce qui fait que l’Allemagne et la Franceauront un plus gros poids que les Etats en difficulté. La prise de décision nepeut se faire que par la présence de deux tiers des ministres au minimum.
Toutcela confère donc au MES un rôle de FMI « à l’européenne », maisgardons nous de simplifier en disant que ces deux institutions sont strictementidentiques. Le MES sera en lien avec le FMI, qui aura un rôle d’assistance dansla mise en pratique du MES.
Les limites de ce mécanisme :
Théoriquementdonc, le Mécanisme Européen de Stabilité est plutôt habile. Mais il est enréalité, comme le décrit Jean-Pierre Chevènement, un emplâtrage sur une jambede bois. Nous pouvons en effet montrer les inefficacités potentielles de cemécanisme. Premièrement,il paraît illusoire en cas de crise que le MES puisse réellement mener à biensa mission première : emprunter à des taux bas pour les pays endifficulté. En effet, il nous faut rappeler que de part son statut, le MES serasoumis à une évaluation par les agences de notation. Penchons nous sur lacomposition du MES : 17 Etats endettés. Parmi ces 17 Etats, 2 seulementont encore une notation Triple A (abusive d’ailleurs selon Olivier Delamarche)de la part des trois grandes agences de notation : l’Allemagne et lesPays-Bas. Comment penser qu’un fond dont la garantie se base sur des paysendettés et pour la plupart notés en dessous du triple A, pourra bénéficier dela note suprême pour emprunter ? Cette question mérite d’être posée, caren réalité, ce mécanisme et sa réussite dépendent entièrement des agences denotation. Comment va faire ce fond s’il ne bénéficie pas de la notesuprême ? Deuxièmement,nous devons préciser que le traité sur le MES est lié au Traité sur lastabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qui impose aux pays unpacte budgétaire ne permettant pas d’excéder 0,5 pour cent du PIB de déficit et60 pour cent en dette publique. Autrement dit, accepter le MES amène à signerdans la foulée pour une austérité ancrée dans la loi. Pourquoi serait-ceinefficace ? Pour répondre à cette question, il suffit de regarder lasituation de la Grèce, qui enchaîne les plans d’austérité sans que sa dette nediminue, bien au contraire. Cela vient de la dynamique engendrée parl’austérité : une baisse de l’activité économique (non compensée par ungain de compétitivité), qui provoque une baisse des rentrées fiscales pourl’Etat, ce qui amène à la croissance…de la dette grecque. Aussi, rappelons auxconcepteurs du TSCG qu’inscrire une règle d’or dans la loi ne résout rien,puisque les pays de l’UE ignorent allègrement les critères de convergence deMaastricht depuis plusieurs années. Troisièmement,le MES pourrait lui-même être à la cause, selon l’économiste Philippe Herlin,d’une instabilité financière. En effet, selon lui, le MES, étant amené àacheter des obligations d’Etats en difficulté, va se remplir d’actifsfinanciers « pourris » (c'est-à-dire qui ne seront pas remboursés).Ces produits financiers nocifs le seront d’autant plus que le MES à un effet delevier : il sera donc plus facile à ces actifs de plomber le bilan du MES.Cela ressemble selon l’économiste à un « gigantesque subprime planant surl’Europe ». Pour se financer, le MES pourra également contracter desemprunts : les banques européennes seront là pour financer le fond. Le MESest donc un acteur en plus qui aggrave le risque systémique et le multiplieavec son effet levier. Aspirer les difficultés de la Grèce, du Portugal, del’Italie…ne les résoudra pas et pourra même encore un peu plus entraîner lesbanques…vers le fond du gouffre (passez moi l’expression) en cas de nonremboursement de toutes ces dettes, qui, quoiqu’il en soit, ne seront paseffacées d’un coup de baguette magique par le MES…
Le problème de souveraineté et de démocratie :
Lefait que cette institution ne soit pas une extension de l’Union Européenne faitd’abord débat au sein des institutions européennes : le parlement comme laBanque centrale européenne condamnent ce fait, tandis que la commissionsouhaite la mise en place progressive de mécanisme de redistributionautomatique au sein de l’UE entre les pays. Les institutions européennes n’aurontqu’un rôle consultatif face au MES. Cemême fait rend les Etats plutôt impuissants face au MES, qui n’a pas de compterendre ni de responsabilité envers qui que ce soit. Ajoutonsaussi que ni le parlement européen, ni les parlements nationaux n’auront depouvoir sur cette institution, qui sera gouvernée par des gens non élus. C’estlà une des causes pour laquelle nous pouvons dire que le MES n’a pas d’ambitiondémocratique très poussée. Le fait que les parlements nationaux n’aient aucunpouvoir est par définition paradoxal, les finances et le budget étant desprérogatives fondamentales de ces parlements. Le fait même qu’une institutionmondiale, le FMI, aura plus de contrôle sur le MES que les élus nationauxeuropéens est évocateur. Enfin,il est précisé dans les statuts du MES qu’ «une fois le protocole d'accordsigné entre le pays demandeur et le MES, aucune action judiciaire ouadministrative ne peut en effet être engagée contre le fonds et les conditionsqu'il impose à ses débiteurs. ». Pour simplifier, la société financières’est accordée l’immunité en toute tranquillité : ni l’austérité imposée,ni le mécanisme et son efficacité, ne pourront être remises en cause :personne n’aura aucun pouvoir de contrôle ou de sanction sur cet organismequelque soit ses exactions… Je vous laisse libre d’en conclure ce que vousvoulez à propos de la démocratie…
Le vote
Levote s’est tenu le mardi 21 février à l’Assemblée Nationale, après bien peu dedébat autour du MES, qui était en conception depuis plusieurs mois. Le résultatfut sans surprise : le passage du traité sans grande difficulté. Il faut direque la majorité parlementaire s’est ralliée à la politique menée par le pouvoirexécutif, de la même tendance politique. La posture du Parti Socialiste estquant à elle plus ambiguë. En effet, les socialistes ont choisi de ne paschoisir en cette heure pourtant cruciale. Une faute ? C’est ce que dit lepremier ministre François Fillon, qui pense que le PS aurait dû dépasser sonélectoralisme et voter en faveur du MES. En réalité, la position du Parti Socialistetient plus d’un numéro d’équilibriste, combinant ambition électorale etprincipes politiques. L’ambition électorale, c’est bien sûr celle de jouer lerôle d’appui à François Hollande et de le soutenir dans sa stratégie dedémarcation et d’opposition à Nicolas Sarkozy, d’où un vote différent de l’UMP.Mais les principes du Parti Socialiste viennent s’ajouter à cela et contrebalancer la position : le PS est en effet un parti européiste et votercontre un traité européen dans un tel contexte économique et politique (avecdes élections dans environ 2 mois) serait un signal probablement incompris.D’où le vote blanc mi-figue, mi-raisin…Alorsqui sont les vrais opposants à ce traité ? A l’Assemblée Nationale, ils furent44. Parmi eux, des non inscrits comme Nicolas Dupont-Aignan, candidat de Deboutla République aux présidentielles et Noël Mamère, des Communistes commeJean-Pierre Brard, 20 socialistes tout de même, dont Julien Dray. NicolasDupont-Aignan et Jean-Pierre Brard ont pris la parole, et le gaulliste a mêmeécopé d’un avertissement pour avoir montré un faux chèque de 142 milliardsd’euros en séance, ce qui est interdit.
-Nicolas Dupont Aignan s'est opposé au traité sur le MES-
A noter l’abstention d’Arnaud Montebourgqui est assez surprenante : celui-ci fait le pari de l’échec du traitédans d’autres pays… Ou comment refourguer la responsabilité aux autres…Retrouvezici les résultats précis du vote sur Marianne2.Endehors de l’Assemblée Nationale, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se sontaussi opposés au traité sur le MES. Dansles autres pays en Europe, les avis sont partagés : Richard Sulik,président du parlement Slovaque s’est prononcé contre, comme d’autres hommespolitiques en Europe. Le Royaume-Uni ne figure pas parmi les signataires duMES. Ilne reste plus que le traité passe au Sénat. Le passage à gauche du Sénat enseptembre dernier aurait pu éventuellement entraîner des difficultés au sénat,mais comme les socialistes s’abstiendront probablement là encore, le traitén’aura aucun mal à passer.
Ainsi,même si le mécanisme est sophistiqué et tente d’établir une certaine solidaritéentre les pays européens, le MES ne peut être exempt de tout reproche, tant surson efficacité réelle que sur ses prérogatives qui empiètent sur lasouveraineté nationale et posent un réel problème de démocratie. Aussi, ilaurait été préférable que ce traité donne lieu à un véritable débat public, àla hauteur des enjeux. Mais les médias ont été trop peu loquasses sur le fonddu problème.
Sources :
Observatoire de l'EuropeLa dette de la FranceMarianne 2WikipediaBastamagLe Spiegel
Vincent Decombe