Je publie ici un certain nombre d'extraits d'interviews du Professeur, toujours profondément réfléchi et interéssant, que j'avais bien sûr pu découvirr dans certains de ses bouquins sur le sujet des FIV bien sûr, mais aussi dans la post-face qu'il avait rédigé pour Coco Tassel. J'apprécie ses analyses, ses points de vue, je dois dire qu'il n'y a que sur la GPA que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui !
"René Frydman, 68 ans, est l'ancien chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). Il a à son actif une impressionnante série de premières. Il est le père scientifique d'Amandine, le premier bébé-éprouvette né en France, en 1982.(...) Avec son équipe, M. Frydman est également à l'origine de la première naissance après congélation d'un embryon, en 1986, et après congélation d'ovocytes, en 2010. Il a réalisé la première naissance après diagnostic préimplantatoire en France, qui permet de sélectionner des embryons indemnes de maladies héréditaires graves. On lui doit enfin, en janvier 2011, la naissance du premier "bébé du double espoir", dont le sang du cordon a permis de réaliser une greffe de moelle sur sa soeur malade."
Les souvenirs d'Amandine
L'équipe du professeur René Frydman et du biologiste Jacques Testart se souvient de l'ambiance après l'accouchement. "La mère était censée être ma cousine. Donc, quoi de plus normal que la chef sage-femme et le professeur Frydman passent la voir" en salle des naissances, raconte Violaine Kerbrat. "Pour la sortie incognito d'Amandine et de sa maman, je portais le bébé et, avec sa mère en robe de chambre, nous avons rejoint l'ambulance par des couloirs du sous-sol."
René Frydman précise : "Il y avait le bonheur d'avoir accompagné une naissance et de me remémorer la fécondation in vitro, neuf mois plus tôt, qui avait rendu l'événement possible. J'avais aidé à ce que l'accouchement d'Annie, la mère d'Amandine, soit naturel, alors que jusque-là ces accouchements se faisaient par césarienne, pour éviter toute angoisse du médecin. Donc son accouchement a été à la fois tout à fait ordinaire, et en même temps extraordinaire. Ce choc fait que sur le coup vous ne savez plus très bien où vous en êtes.
Aujourd'hui, Amandine dit avoir "les mêmes défauts, qualités, questionnements que chacun. La FIV a forcément influencé mes parents, ça leur a rendu service, mais, moi, ça n'aura aucunement influencé ma vie", explique-t-elle. René Frydman confirme: " Nous avons gardé des liens, d'abord avec ses parents, bien sûr. Mais je ne crois pas que le fait d'être le premier enfant issu d'une FIV ait changé sa vie."
Les chiffres
Un couple sur sept consulte un médecin aujourd'hui, parce qu'il rencontre des difficultés pour concevoir un enfant. Et environ un couple sur dix est traité pour des problèmes d'infertilité. D'autres chiffres sont plus parlants, même s'ils remontent à 2009 (ce sont les plus récents) : cette année-là, 21 759 enfants sont nés après une AMP, soit 2,6 % des naissances. 94 % des tentatives se sont faites en intraconjugal, c'est-à-dire avec les gamètes du couple. Il y a eu près de 74 500 tentatives de fécondation in vitro, et l'AMP avec tiers donneur a représenté 6 % des fécondations in vitro. 190 enfants sont nés grâce à un don d'ovocytes et 1 110 grâce à un don de spermatozoïdes.
Les taux de réussite
"En trente ans, l'assistance médicale à la procréation s'est banalisée, 20 000 enfants naissent chaque année grâce à elle et elle rend beaucoup de couples heureux. Mais j'ai un grand regret : nos résultats ne sont pas bons. Nous sommes à 20 % de réussite en moyenne, quand d'autres, en Belgique ou aux Etats-Unis, sont à 35 %. Les couples qui ont besoin d'un diagnostic préimplantatoire attendent deux ans. C'est intolérable. Il faut un investissement matériel, des gens compétents et la possibilité de faire de la recherche. Les lois de bioéthique et les règles administratives devraient être refondées, afin de remettre l'innovation au coeur des sciences du vivant."
Une des explictaions possible: "La demande de FIV en France est assez tardive. Quand elles viennent nous voir, les patientes ont souvent dépassé les 35 ans. Ce que je préconise, c'est un contrôle de fécondité pour les femmes entre 33 et 35 ans, comme l'on fait un test de cancer du col de l'utérus ou une mammographie. Si la fertilité d'une femme baisse, on pourrait lui proposer des réponses, comme de congeler ses ovocytes. Pourquoi une femme qui veut devenir mère mais qui n'a pas encore rencontré son prince charmant devrait y renoncer alors que l'on pourrait conserver ses ovules?"
Les dernières avancées en matière de fécondation médicalement assistée?
"La congélation d'ovocyte est très certainement la grande avancée de ces dernières années. On savait la congélation du sperme et de l'embryon possible mais jusque-là, celle des ovules étaient sporadique et peu fiable. Mais l'an dernier, nous avons donné naissance aux premiers jumeaux issus de la congélation d'oeufs. La législation interdisait encore la méthode la plus efficace, celle par vitrification, mais la loi bioéthique a été approuvée et les décrets devraient bientôt prendre effet. Et puis, sans parler d'innovation, nous continuons de consolider les résultats des techniques déjà existantes."
Le manque de donneuses
"Une solution simple consiste à sensibiliser l'opinion publique. Mettre en place des campagnes d'information me semble nécessaire. Fin 2009, en France, 1673 couples étaient en attente d'un ovocyte pour seulement 328 donneuses. Dans des pays voisins, le don est beaucoup plus courant. Il faudrait donc mieux informer les femmes sur la possibilité de donner des ovules, les accueillir, leur avancer les frais et développer la congélation. La reproduction devrait devenir un thème de société au même titre que le cancer ou Alzheimer. Après tout, y a-t-il de plus beau qu'une naissance?"
L'embryon
"Et le débat autour du statut de l'embryon perdure... Depuis 30 ans, on tourne autour du pot car deux visions s'affrontent. L'une refuse de dissocier acte sexuel et procréation, et donc condamne avortement, contraception, FIV sans parler de recherche sur l'embryon. L'autre point de vue donne aux hommes et aux femmes la liberté de maîtriser leur reproduction. On accepte donc l'idée de mener des recherches tout en les encadrant.
Je crois que l'embryon est une personne potentielle. Mais il ne le devient que s'il y a un projet de mise au monde, de vie, avec des parents... pas s'il est conçu pour être étudié. L'Eglise catholique qui est la première à dénoncer ces méthodes connaît en son sein des divergences d'opinion autour de cette question. Si le Pape considère que l'on est une personne au moment de la fécondation, d'autres hommes d'église estiment, comme Saint-Thomas d'Aquin le disait, que l'âme arrive de façon différée... En France, la recherche sur l'embryon est interdite. Mais autorisée dans certains cas, à condition que ce soit au nom de "progrès médicaux majeurs". C'est cette confusion qui perdure et qui nuit à l'innovation."
La filiation
"On l'oublie souvent, dans 96 % des cas de FIV les parents biologiques sont aussi ceux qui vont élever l'enfant. Donc il n'y a pas de modification de la filiation. En trente ans, l'assistance médicale à la procréation a ouvert beaucoup de possibilités, qui ont provoqué de grands débats éthiques. Mais, pour la plupart des patients, les questions de filiation ne se posent pas."
"Les progrès de la médecine reproductive ont bouleversé la famille traditionnelle... Nous aboutissons à des parentalités multiples. Cette science a permis d'individualiser trois mères et deux pères... sans parler des pères spirituels ! Il y a la mère qui va donner les ovules, qui peut être différente de celle qui vaporter l'enfant, qui peut être encore différente de celle qui va élever l'enfant. Le père biologique, qui donne son sperme, peut aussi être distinct de celui qui élève l'enfant. Pour moi, la relation humaine prime, et pas l'origine génétique, qui est aujourd'hui trop valorisée. La femme qui accouche est la mère, même en cas de don d'ovule. L'enfant peut ensuite être adopté et élevé par quelqu'un d'autre. Il y a alors changement de mère, mais l'enfant restera issu de la femme qui l'a mis au monde."
"Certains enfants nés d'un don de gamètes veulent connaître leur origine biologique, ce qui leur est interdit en France... Je suis favorable aux deux possibilités pour les donneurs : que ceux qui le souhaitent puissent rester anonymes, et que ceux qui veulent bien laisser leur identité puissent le faire. Vingt ans plus tard, l'enfant qui le souhaitera pourra connaître l'identité du donneur, à condition que celui-ci ait donné son accord. Sinon, l'enfant subira le lot de ceux dont le père est parti sans laisser d'adresse. On ne peut pas répondre à toutes les situations."
Le contexte réglementaire actuel
"Entre faire n'importe quoi et ne pas faire, il y a un juste milieu. Aujourd'hui, le poids de l'idéologie rétrograde et la peur des politiques ont entraîné une glaciation dans notre pays. Nous sommes obsédés par le statut de l'embryon. C'est un tabou. On a abouti à une situation où la recherche sur l'embryon est interdite... sauf dans les cas dérogatoires où elle est autorisée ! C'est un maquis incompréhensible et décourageant pour les jeunes qui choisissent les sciences du vivant. Pendant ce temps, d'autres pays avancent, comme les Etats-Unis ou le Japon.
Quand vous évoquez la possibilité de concevoir un bébé à partir des gamètes mâles et femelles d'un seul individu, grâce aux cellules souches embryonnaires, ou la possibilité de procréer hors du corps humain, on peut prendre peur... Beaucoup de choses sont possibles, elles ne sont pas forcément utiles ou souhaitables. Tout ce qui est faisable ne se réalisera pas, ou seulement de façon ponctuelle et limitée. Par exemple, on peut aujourd'hui connaître le sexe de l'enfant dès la huitième semaine de grossesse, mais cela ne se pratique pas sans raison. Quand on constate une dérive, on peut réagir. Le Comité national d'éthique est fait pour cela. Evidemment, il faut qu'il soit indépendant et cesse d'êtreobnubilé par les conséquences de ses décisions. Aujourd'hui, ses membres ont tellement peur qu'il ne sort plus d'avis. J'attends toujours la réponse à la saisine que j'ai faite, il y a quatorze mois, sur les problèmes posés par la congélation d'ovocytes.
Dans toute innovation, il y a une part de risque. Si vous le supprimez, il n'y aura plus d'innovation. Ce qui compte, c'est que ce soit transparent, que le risque soit énoncé et accepté. Je ne suis pas pour la déréglementation. Je suis pour la réglementation des principes et l'évaluation des pratiques."
Pourquoi êtes-vous hostile au recours aux mères porteuses ?
"La grossesse pour autrui sous-tend l'exploitation du corps de la femme. De même qu'on s'oppose à la vente d'organes, on doit s'opposer à la grossesse pour autrui. La vente ou la location, c'est la même chose. Où qu'il se pratique, ce geste est quasiment toujours rémunéré. On entre dans un processus d'exploitation. La séparation de la mère porteuse et du bébé n'est pas sans risque, pour l'un comme pour l'autre. Tout cela dans quel but ? D'avoir un enfant génétiquement de soi. Cela ne me paraît pas une raison suffisante."
Les projets : Quel est votre nouveau terrain de recherche ?
"L'embryon humain reste un inconnu. Qu'est-ce qui fait qu'il va se développer correctement, donner une fausse couche, un enfant malformé ? Les mécanismes intimes qui font qu'une cellule souche se transforme en gamète me fascinent. Après, il faudra limiter les applications. "
René Frydman va lancer un blog pour la création d'une fondation - en principe en septembre prochain - visant à informer et à promouvoir la recherche sur la prévention et la lutte contre la stérilité.
Inspirant, non ?
Sources: Slate , HuffingtonPost, HuffingtonPost, LExpress, lePOint, LeMonde, LeMonde, leMonde, leMonde,