La parution du rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement le 2 février dernier n’a pas fait l’objet d’une communication tonitruante de la part des pouvoirs publics. Il faut dire que l’année 2010 marque l’arrêt de la dynamique de réduction des délais de paiement interentreprises. Sur dix ans, les délais clients et les délais fournisseurs ont respectivement diminué de 9 jours de chiffre d’affaires et de 12 jours d’achats. En 2010, ces derniers n’ont quasi pas évolué. Selon l’Observatoire « un tiers des entreprises règlent encore leurs factures ou sont elles-mêmes réglées au-delà de 60 jours ».
Le rapport pointe notamment du doigt les grandes entreprises. Elles restent peu enclines à réduire leur dettes fournisseurs et ce en dépit de leurs adhésions à la « charte de bonne conduite des acheteurs » de la médiation des relations interentreprises. Elles ont notamment renoué avec de mauvaises habitudes comme, par exemple, la signature de bons de commande à long terme qui retarde ainsi l’émission de la facture.
Le constat de la banque de France1 est éloquent : en 2010, seules 39 % des grandes entreprises ont réglé leurs fournisseurs en moyenne dans le délai des 60 jours – une proportion en recul par rapport à 2009. Et 15 % ont payé à plus de 90 jours… Les dettes fournisseurs des grandes entreprises s’élèvent à un total de 45 milliards d’euros, ce qui représente six à sept fois leurs emprunts bancaires à court terme. Autrement dit, certains groupes se servent de leurs fournisseurs pour ajuster leur trésorerie.
Pour les PME et les ETI, ce phénomène n’est pas nouveau. Toutefois, en cette période de raréfaction du crédit bancaire, les enjeux sont plus que jamais importants notamment pour préserver notre tissu de sous-traitants hexagonaux. L’Observatoire estime, en effet, qu’un paiement dans les délais amènerait « les grandes entreprises à transférer 11 milliards d’euros de trésorerie aux entreprises de taille plus modeste et apporterait une ressource supplémentaire de 10 milliards aux PME ».
Il semble ainsi urgent de mettre en place de nouvelles mesures pour renforcer la loi de modernisation de l’Economie (LME) dont les effets semblent s’atténuer aujourd’hui. De même, le médiateur des relations interentreprises nommé en 2009 a certes contribué à souligner les bénéfices liés à une relation « gagnant-gagnant » mais ce dispositif reste insuffisant et mérite d’être complété, les grands groupes ne traduisant pas forcément leurs engagements sur le terrain.
Les pratiques de paiement des pays du Nord de l’Europe peuvent, à ce titre, être riches d’enseignements. Ces pays se caractérisent, en effet, par des délais de paiement nettement inférieurs à ceux des pays du Sud. Pour preuve, une étude du cabinet Altares2 montre que près de 60% des entreprises outre- Rhin paient à échéance en 2011, la moitié des entreprises hollandaises fait de même. En revanche, elles ne sont que 43% en Italie et un peu plus du tiers en France à s’acquitter de leurs dettes à terme (la moyenne européenne est de 40%).
La raison est simple : dans les pays du nord de l’Europe, le paiement repose sur un système de crédit acheteur. Cela signifie que les banques s’engagent à mettre à la disposition de l’emprunteur les fonds nécessaires pour régler le fournisseur dans les termes du contrat commercial. A contrario, en France et dans les pays du Sud, le paiement repose sur un système de crédit fournisseur, le rapport de force n’est donc pas le même. En effet, la dette est directement supportée par le fournisseur, ce qui ne facilite pas le respect des délais de paiement.
Pourquoi alors ne pas aller s’inspirer de ce modèle ? Une solution consisterait à réduire par la loi à nouveau les délais de paiement pour atteindre 45 jours (soit 30 jours fin de mois). Ce délai correspond en moyenne à celui du crédit acheteur. L’occasion pour la France non seulement de renforcer la LME mais aussi de mettre fin aux distorsions de concurrence avec les pays d’Europe du Nord.
Mais passer du crédit fournisseur au crédit acheteur est une véritable révolution culturelle. C’est ce changement de mentalité qui sera le plus difficile à obtenir.
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[1] Bulletin de la Banque de France • N° 186 • 4e trimestre 2011.
Notons que les statistiques de la Banque de France reposent sur la définition des tailles d’entreprise dans le cadre de la LME. Ainsi, les PME sont les entreprises de moins de 250 salariés, avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ou un total de bilan inférieur à 43 millions d’euros. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont des entreprises n’appartenant pas à la catégorie des PME et occupant moins de 5 000 personnes. En outre, les ETI doivent respecter l’un des deux critères suivants : chiffre d’affaires annuel inférieur ou égal 1,5 milliard d’euros ou total de bilan annuel inférieur ou égal 2 milliards d’euros. Les grandes entreprises regroupent les autres entreprises (non PME, non ETI).
[2] Altares, « BILAN 2011 comportements de paiement des entreprises en Europe », février 2012.