Cette étude résulte des difficultés rencontrées par les professionnels (Magistrats, avocats, Administrateurs judiciaires et Mandataires judiciaires) pour traiter du sort du prix en cas de cession partielle lors de l’adoption d’un plan de sauvegarde.
En effet à ce jour il n’existe aucune jurisprudence mais à travers la doctrine et les textes légaux à notre disposition cette étude tente de bâtir une piste de réflexion sur le traitement du prix de la cession, problématique posée par la pratique opposant donc souvent les Mandataires judiciaires aux Administrateurs judiciaires et/ou au dirigeant de l’entreprise sous sauvegarde.
Le Mandataire judiciaire souhaite appréhender la totalité du prix de cession et le conserver pour le désintéressement de l’ensemble des créanciers.
Pour sa part l’Administrateur judiciaire souhaite appréhender le prix en lieu et place du Mandataire judiciaire pour le restituer au dirigeant après traitement éventuel des créanciers munis de sûretés sur les actifs objets de la cession.
Mais la difficulté est réelle car les textes ne sont pas d’une parfaite clarté, le législateur ayant procédé par un renvoi des dispositions relatives à la liquidation judiciaire sur la portée duquel il est possible de s’interroger.
Ainsi la réflexion s’articulera en cinq points en commençant par l’analyse de l’article ‘’fondateur’’ de cette problématique à savoir l’article L 626-1 alinéa 2 du Code de commerce.
- L’analyse littérale de l’article L 626-1 du Code de commerce
Pour appréhender le prix de cession en sauvegarde, certains Mandataires judiciaires se prévalent de l’article L 626-1 du Code de commerce et plus particulièrement de son 2ème alinéa :
« Ce plan de sauvegarde comporte, s’il y a lieu, l’arrêt, l’adjonction ou la cession d’une ou de plusieurs activités.
Les cessions faites en application du présent article sont soumises aux dispositions de la section 1 du chapitre 2 du titre 4.
Le Mandataire judiciaire exerce les fonctions confiées au liquidateur par ces dispositions… »
Les dispositions de la section 1 du chapitre 2 du titre 4 font référence à la cession en liquidation judiciaire et selon certains Mandataires judiciaires c’est toute la procédure de liquidation judiciaire qui s’applique et notamment le versement du prix de cession entre les mains du Mandataire judiciaire à charge pour lui de répartir ce dividende exceptionnel entre les créanciers de l’entreprise en sauvegarde en fonction de leur rang.
Néanmoins l’analyse littérale de l’article L 626-1 alinéa 2 sur le traitement des cessions d’activités en plan de sauvegarde incite à la prudence car il fait référence exclusivement aux dispositions de la section 1 du chapitre 2 du titre 4.
- Le titre 4 c’est ‘’la liquidation judiciaire’’
- Le chapitre 2 c’est ‘’la réalisation de l’actif’’
- La section 1 c’est ‘’la cession de l’entreprise’’
Est totalement écarté le chapitre 3 ‘’apurement du passif’’ comprenant :
- Section 1 du règlement des créanciers
- Section 2 de la clôture d’opérations de liquidation judiciaire.
Or, seule l’application du chapitre 3 section 1 permettrait l’appréhension par le Mandataire judiciaire du prix de cession et sa répartition entre les créanciers.
Cela signifie que seules les règles de procédure de la cession d’entreprise sous liquidation judiciaire de l’article L 642-1 à L 642-17 s’appliquent.
Ainsi cette lecture extensive par certains Mandataires judiciaires de l’article L 626-1 s’oppose au champ d’application strictement fixé par le législateur sur la cession d’activités en procédure de sauvegarde strictement circonscrit à la procédure spécifique sous liquidation judiciaire de vente des actifs (chapitre II) et non à la procédure sous liquidation judiciaire d’apurement du passif (chapitre III)
- 2. L’esprit du législateur
Le rapport de la commission des lois du Sénat établi par le Sénateur Jean-Jacques HYEST sur le projet de loi de sauvegarde de 2005 précise sur les cessions partielles d’activités en plan de sauvegarde :
« …Soit la continuation de l’entreprise, assortie d’une cession partielle d’activité. La cession de certaines branches d’activité du débiteur peut en effet contribuer à son rétablissement financier et économique, en lui permettant de se séparer d’activités qui pourraient avoir un caractère déficitaire mais intéresseraient néanmoins d’autres acteurs économiques, ou qui dégageraient des bénéfices mais dont la vente à un prix intéressant pourrait apporter à l’entreprise les capitaux dont elle a besoin pour poursuivre son exploitation ».[1]
Ainsi le dirigeant d’une entreprise en sauvegarde qui prend seul l’initiative d’une cession partielle d’activité a un besoin impérieux d’appréhender dans les caisses de l’entreprise ces fonds tirés de la vente pour poursuivre son exploitation sous plan de sauvegarde, sinon pourquoi vendre des actifs !
3. Sur la position doctrinale
Comme l’explique le professeur Pierre-Michel Le CORRE, en cas de plan de cession partielle accompagnant un plan de redressement,[2] « Les créanciers chirographaires ne pourront rien percevoir sur le prix de cession, ce qui revient à dire que, sous réserve du jeu de la quote-part du prix de cession permettant l’exercice des droits de préférence des créanciers inscrits sur les biens cédés, le prix de cession restera à disposition du débiteur, pour assurer la poursuite de son activité, dans les conditions du plan de continuation ou de redressement partiel dont il bénéficie ». Il en déduit que les créanciers n’ont aucune vocation à appréhender le prix subsistant après désintéressement des créanciers inscrits et qu’ils ne pourront être payés que selon les dispositions et les délais du plan.
Dans le même sens, le professeur François-Xavier LUCAS qui estime que « Le caractère volontaire de toutes les réalisations d’actifs décidées par le débiteur est une caractéristique essentielle qui impose de considérer que, dans tous les cas où une cession intervient dans le cadre d’un plan de sauvegarde, le prix doit être remis au débiteur après désintéressement des créanciers inscrits ». Cette analyse me parait la seule acceptable dès lors que, comme certains n’ont pas manqué de souligner, en cas de plan de cession partielle,[3] « la cession s’insère dans une procédure générale qui tend à la continuation de l’entreprise. (…) Le prix de cession est versé dans l’actif du débiteur pour être affecté au maintien de l’exploitation. Les créanciers sont payés en tenant compte des délais et remises arrêtés par le plan ».
La position doctrinale semble donc unanime en faveur de la restitution du prix de cession entre les mains du débiteur.
4. L’apport de l’article L 626-23 du Code de commerce
L’article L 626-23 du Code de commerce stipule :
« En cas de cession partielle d’actifs, le prix est versé au débiteur sous réserve de l’application de l’article L 626-22 ».
Contrairement à l’article L 626-22 qui parle de vente ‘’d’un bien’’ grevé, l’article L 626-23 parle d’une cession partielle ‘’d’actifs’’.
Cette distinction est fondamentale car elle existait déjà dans les articles 78 et 79 de la loi de 1985.
Par cession partielle « d’actifs » et non de « bien » il faut entendre la cession d’un ensemble d’actifs d’exploitation pouvant constituer une branche d’activité autonome.
Pour preuve, le député Monsieur Xavier DE ROUX à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi de sauvegarde qui s’exprime dans son rapport en ces termes :
« La notion de « cession partielle d’actifs » utilisée par l’article L 626-20 renvoie aux nouveaux articles L 626-1, sous la mention de « cession de certaines activités », en principe plus larges et incluant les cessions visées ici, et L 626-6 sous celle de « cession partielle », mais également, le cas échéant, aux ventes de biens isolés, prévus ou non par le plan, avec autorisation du juge-commissaire en application de l’article L.622-7.[4]
Pour sa part l’article L 626-22 fait référence à la vente de bien grevé pour lequel une quote part du prix de cession dudit bien est versé au compte de la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS et le créancier bénéficiaire de cette sûreté est payé sur le prix après le paiement du superprivilège des AGS.
C’est le seul article dans le chapitre sur la procédure de sauvegarde qui dispose que le prix est versé au débiteur.
5. Sur la preuve a contrario de l’article R 631-42 du Code de commerce
Le législateur dans la loi de sauvegarde a donné la primauté à la procédure de sauvegarde dont la majeure partie des articles s’applique aussi à la procédure de redressement judiciaire par renvoi systématique, sauf exception.
Ainsi depuis 2005, la procédure de référence n’est plus le redressement judiciaire (procédure de référence dans la loi de 1985) mais la procédure de sauvegarde.
Or l’article R 631-42 qui s’applique exclusivement en redressement judiciaire stipule que :
« Lorsque la cession totale ou partielle de l’entreprise a été ordonnée par le Tribunal en application de l’article L 631-22 le Mandataire judiciaire reçoit le prix de cession nonobstant la passation des actes par l’Administrateur …
Lorsque le débiteur bénéficie d’un plan de redressement, le Mandataire judiciaire remet le prix au Commissaire à l’exécution du plan.
Lorsque le débiteur est soumis à une liquidation judiciaire, le Mandataire judiciaire conserve le prix en sa qualité de Liquidateur ou le remet au Liquidateur désigné par le Tribunal. »
Cela signifie clairement qu’en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le législateur a organisé la remise du prix de cession partiel ou total de l’entreprise soit entre les mains du Commissaire à l’exécution dans le cadre du plan de redressement, soit entre les mains du Liquidateur dans le cadre de la liquidation judiciaire.
Tout Mandataire judiciaire souhaitant appréhender la totalité du prix de cession, ne pourra le faire que si le débiteur est soumis à une liquidation judiciaire.
Or il est constaté que le législateur n’a pas prévu d’incorporer l’article R 631-22 dans les articles du décret de la procédure de sauvegarde mais uniquement dans le décret sur la procédure de redressement judiciaire. (R 631 XX)
A contrario cela signifie que le législateur n’a pas voulu organiser la remise des fonds de la vente de la cession d’activité entre les mains du Commissaire à l’exécution du plan ou du Mandataire judiciaire et a écarté le principe même de remise des fonds à une personne autre que le dirigeant dans la procédure de sauvegarde.
Cette explication trouve son origine dans le fait que le législateur ne considère pas la cession partielle d’activité en plan de sauvegarde comme une liquidation judiciaire dont les règles doivent être respectées depuis ‘’A’’ jusqu’à ‘’Z’’ mais comme une cession d’activité dans le cadre d’un plan de sauvegarde c’est-à-dire d’un plan de continuation de l’exploitation et non d’une liquidation globale.
6. Sur le choix du dépositaire du prix de cession
Une querelle “de clocher” semble opposer les Administrateurs judicaires aux Mandataires judiciaires quant au choix du dépositaire final du prix de cession, certains choisissant le Commissaire à l’exécution du plan d’autre le Mandataire judiciaire, les textes n’apportant aucune clarté en la matière.
De plus dans la pratique l’Administrateur judiciaire ou le Mandataire judiciaire peuvent être choisis en qualité de Commissaire à l’exécution du plan par le Tribunal.
L’article L 626-1 alinéa 3 du Code de commerce stipule :
« Le Mandataire judiciaire exerce les fonctions confiées au Liquidateur par ces dispositions ».
D’un autre côté :
L’article R 626-36 relatif à l’article L 626-22 du Code de commerce dispose que :
« Le Commissaire à l’exécution du plan répartit le prix entre les créanciers (ceux bénéficiant de sûreté), effectue le paiement et procède à la radiation des inscriptions »
Selon le Professeur François-Xavier LUCAS interrogé sur cette question, le législateur a choisi le Mandataire judiciaire pour recevoir les fonds du prix de cession partielle sous procédure de sauvegarde en vertu de l’article L 626-1 alinéa 3 du Code de commerce et non le Commissaire à l’exécution du plan.
Selon lui, la raison de ce choix est dictée par le fait que le règlement des créanciers relève de la mission du Mandataire judiciaire plus tôt que celle de l’Administrateur judiciaire avec le désintéressement prioritaire des créanciers munis de sûretés sur les actifs cédés relevant de l’article L 626-22 du Code de commerce
Mais en l’absence de cession d’actifs grevés de privilèges relevant de l’article L 626-22 du Code de commerce, peut-on envisager que le prix soit remis en totalité au débiteur soit par le Mandataire judiciaire soit par l’Administrateur judiciaire ?
La réponse est positive car faute de règle permettant de réserver au prix un sort différent, ce prix de cession n’appartient qu’au débiteur redevenu’’ in bonis’’ qui appréhendera la totalité du prix en l’absence de cession d’actifs grevés de sûretés ou privilèges spéciaux relevant de l’article L 626-22 du Code de commerce.
Quant au choix du dépositaire des fonds entre l’Administrateur judiciaire et le Mandataire judiciaire, la pratique en redressement judiciaire depuis plus de 20 ans veut que l’Administrateur judiciaire reçoive en premier lieu le prix de cession des mains du (ou des) candidat(s) repreneur(s) dans l’attente de la signature des actes de cession définitifs.
En conclusions, l’analyse littérale de l’article L 626-1 du Code de commerce, la doctrine ainsi que l’esprit du législateur nous conduisent à soutenir la thèse que le solde du prix après désintéressement des créanciers inscrits, doit être remis par le Mandataire judiciaire au débiteur redevenu ‘’in bonis’’ du fait de l’adoption du plan, ou par l’Administrateur judiciaire.[5]
- Rapport du Sénateur Monsieur Jean-Jacques HYEST à la Commission des lois du Sénat sur le projet de la loi de sauvegarde, page 267 [↩]
- P.M. Le CORRE, droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2009 n° 553-34 [↩]
- RIPERT et ROBLOT, Droit commercial, tome 2, 17ème édit 2004, LGDJ n° 3203 [↩]
- Rapport du Député Monsieur Xavier de ROUX à la Commission des lois de l’Assemblée Nationale sur le projet de loi de sauvegarde, page 305. [↩]
- Décision en ce sens du TC d’AVIGNON 1er août 2011 (PS GYMA [↩]