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Article : Stratégie, tactique et arts martiaux

Par Julien Peltier
Stratégie, tactique et arts martiaux
Le commun des combattants

A genou sur le tatami ou debout face à son adversaire, le pratiquant martial intéressé à l’histoire militaire est frappé d’emblée par les traits communs qui unissent toutes les formes de combat. Stratégie, tactique, ascendant psychologique, recherche du choc ou du déséquilibre, dessinent les grandes lignes d’un vocabulaire qui embrasse, de toute éternité, chaque instant où les hommes se sont mesurés physiquement les uns aux autres, la seule variable notoire se situant dans la différence d’échelle. Tentative de brève synthèse.


« Evitez de lancer une attaque frontale contre une position établie depuis longtemps ; cherchez au contraire à la tourner par un mouvement de flanc, de telle manière qu'un côté plus vulnérable soit exposé au choc ». L’on pourrait placer cette édifiante formule dans la bouche d’un senseï de judo ou d’aïkido. Il n’en est rien, la phrase est de Basil H. Lidell Hart*, le grand théoricien britannique du XX° siècle, infatigable promoteur de l’approche indirecte. A l’instar de Morihei Ueshiba et de ses disciples, le stratège ne préconise pas un coup direct sur la position stable d’une armée déployée ou d’un adversaire solidement campé sur ses pieds, mais une manœuvre visant à rechercher la rupture d’équilibre qui conduira à la chute.
Une autre analogie flagrante rapproche les disciplines martiales fondées sur la recherche du déséquilibre et la technique de la guérilla, également désignée sous le vocable de « guerre asymétrique ». Sun Tsu**, le génie antique de la stratégie asiatique, en élabore les fondements, qui serviront de modèle à son lointain compatriote, Mao Tsé-Tung, mais aussi aux mouvements insurrectionnels de la résistance française, cubaine ou vietnamienne. Que nous enseignent-ils ? Qu’il convient d’adopter une méthode de repli lorsque l’ennemi détient une force supérieure, de sorte à diluer les effets de sa puissance, notamment en l’incitant à disperser ses forces. Une fois celles-ci amoindries, tel le judoka ou l’aïkidoka, l’adepte de la guérilla table sur l’impatience de son adversaire, poussé à porter un coup décisif mal assuré sur ses arrières, pour retourner la situation à son avantage. Il fait alors appel à des notions de tactique élémentaire afin de déterminer le point faible du dispositif adverse pour y concentrer ses moyens. Ainsi Alexandre à Gaugamèles, ou Bonaparte à de nombreuses reprises, agissent, à la mesure de leurs moyens très supérieurs, de la même manière que Miyamoto Musashi*** lors de son célèbre duel à Ichijoji. Alexandre et ses redoutables « hétaires », par une manœuvre de flanc, étendent les formations du perse Darius, avant de faire volte-face puis de lancer une contre-offensive fulgurante sur le centre tenu par le souverain mésopotamien, maillon-clé du front qui se disloque devant l’assaut. Musashi procède de même en se plaçant en embuscade face aux disciples, supérieurs en nombre, de la maison Yoshioka, avant de déchaîner toute sa force sur leur jeune seigneur, parvenant à vaincre lui aussi.


À gauche, peinture de Lebrun "La Bataille d'Arbelles" (ou Gaugamèles) - 1669. À droite, extrait du film, "Duel à Ichijoji"
Vous avez dit « art » ?
« Art martial », « art de la guerre », les deux disciplines semblent bien avoir été regardées, depuis l’antiquité, comme des formes artistiques. En dépit des controverses et des considérations morales, il est incontestable qu’elles font appel à une certaine forme de créativité, à la quête du mouvement juste et précis, enfin qu’elles s’enrichissent par l’expérience de la pratique. Des grecs anciens à Musashi en passant par les calligraphes chinois, Thibault de Champagne et Toyotomi Hideyori, les exemples abondent des chefs de guerre et grands combattants qui furent aussi versés dans les arts poétiques ou picturaux. Le concept de « voie », chère aux cultures d’Asie, embrassant ces différentes expressions du corps et de l’esprit au sein d’un même creuset.
Revenons à nouveau sur les principes tactiques et stratégiques, tels ceux du « choc » et du « feu ». Qu’il s’agisse d’une pluie de flèches, de projectiles divers, ou bien encore d’une préparation d’artillerie, l’usage du feu a pour but d’éclaircir les rangs adverses, d’affaiblir sa détermination, afin de le préparer au choc qui emportera la décision. Il est en cela tout à fait comparable à la série de frappes successives qui précède le coup décisif dans la pratique martiale indonésienne du pencak-silat, et dans une moindre mesure au karaté. La méthode s’apparente également à la première coupe en vigueur dans le iaido, elle aussi suivie d’une seconde coupe à visée définitive.
Au travers de ces quelques exemples, nécessairement partiels, nous avons pu mesurer à quels points la grammaire martiale s’identifie aux notions déterminantes de stratégie et de tactique. De ces bases, nous pouvons déduire des similitudes entre les comportements et choix des chefs militaires à la tête d’armées se faisant face ou de deux combattants individuels, qu’il appartient à chaque pratiquant martial d’approfondir s’il le souhaite. Laissons le mot de la fin à Bonaparte, qui résumera notre pensée : « On se bat à coups de canon comme on se bat à coups de poings »****.
Ujisato
* « Stratégie », Basil H. Liddell Hart, Tempus
** « L’Art de la Guerre », Sun Tsu, Champs-Flammarion
*** « Le Traité des Cinq Roues », Miyamoto Musashi, Spiritualités vivantes-Albin Michel
**** « Comment faire la Guerre », Napoléon Bonaparte, maximes compilées chez Mille-et-une-Nuits
Cette modeste bibliographie ne saurait, naturellement, avoir de valeur exhaustive. Nous recommandons au lecteur d’approfondir ses recherches par la pratique martiale d’une part, mais aussi en compulsant l’abondante littéraire stratégique et ses grands auteurs, de toutes époques et cultures.


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