Présentation de l’éditeur :
Le narrateur, Fosco Zaga, est un vieillard. Hors d’âge. Deux cents ans peut-être. Chargé d’amour, il ne peut pas mourir avant qu’un autre homme aime comme il a aimé, et prenne la relève. Tout a commencé en Russie, sous le règne de la Grande Catherine, où Giuseppe Zaga, le père, exerçait ses talents de magnétiseur, alchimiste, astrologue, et surtout guérisseur de la Grande Catherine. Sa jeune femme Teresina, moqueuse, espiègle, dont le naturel tranche dans cette tribu d’enchanteurs, est à peine plus âgée que Fosco. Et Fosco l’aime d’un amour infini qui l’oblige, deux siècles plus tard, à ressasser ses souvenirs, encore et toujours, pour empêcher Teresina de mourir réellement. Et elle ne meurt pas, comme si la plume de Fosco l’écrivain était parée de tout l’attirail d’illusionniste qu’il avait découvert, avec Teresina, dans un grenier magique de l’ancienne Russie. «Le livre fleure bon la Russie et l’Italie de Casanova.(…) On y trouve intimement mêlés la musique mozartienne de La Chartreuse et le petit violon juif lithuanien, la part slave de l’auteur. Tout ce que son art pouvait offrir de meilleur, de plus tendre et de plus fort contre l’invasion du réel. Quand Malraux lui écrivit pour lui dire qu’il ne pensait pas qu’on puisse encore faire un tel livre, il y trouva une preuve de sa réussite. Il venait de faire le roman de son obsession majeure : un roman plus fort que la vie, grâce à l’art.» (Paul Pavlowitch, L’homme que l’on croyait)
Merveilleux livre que ce livre de Romain Gary où il avance que l’homme a besoin de rêves, d’espoir et d’amour pour vivre ; la réalité ne suffit plus. «Les hommes, pour vivre et pour mourir, ont besoin d’autre chose que des rigueurs implacables de la réalité […]» (p.13). Gary, avec toute l’étendue de sa culture, joue les grands illusionnistes en « adaptant » l’Histoire pour donner plus de corps et de crédibilité/réalité à un récit foisonant bourré d’humour (par exemple, la Grande Catherine de Russie serait morte sur son « trône » à cause d’un problème de constipation). Il aborde : la commedia dell’arte, la culture russe et européenne, Freud, Catherine de Russie, le père de l’écrivain Pouchkine, l’enfance, l’amour, la révolte des cosaques, le siècle des lumières, l’âme slave, l’art, la littérature… Des passages lyriques de toutes beautés mais, comme souvent chez cet auteur, de nombreuses digressions alourdissent le roman. On sent l’homme marqué par son enfance, mais qui grâce à l’art, arrive à en faire un joyaux ; Romain Gary est un vrai saltimbanque.
« Sur ce point, mon père était formel. Instruit par l’expérience, Renato Zaga fuyait la vérité comme la peste. Il avait compris que le plus grand don qu’un artiste désireux de s’attirer les bonnes grâces du public pouvait faire à ce dernier c’était l’illusion, et non la vérité, car celle-ci a souvent de fort mauvaises façons, n’en fait qu’à sa tête et se soucie guère de plaire. […]» p.10
« Les juifs étaient accusés d’avoir introduit délibérément la peste en Russie pour faire mourir les chrétiens, alors qu’ils en étaient eux-mêmes préservés par leu sang impur. On les brûlait, on les lapidait, ou bien ont les tuait honnêtement, à coups de sabre. La rumeur courait d’un massacre général imminent, sur l’instigation de leur plus grand ennemi, le patriarche Guérassim. Il faut reconnaître que Catherine était fortement opposée à l’idée d’exterminer les Juifs, redoutant que le peuple, n’ayant plus personne à haïr vers le bas, ne se mît à haïr vers le haut. Ils étaient du reste bons pour le commerce. » p.162
«[…] Pourtant, au fond de la Russie, rien ne laissait présager le jour où les poètes et les enchanteurs feraient fonctionner le couperet de la guillotine, quand ils ne lui prêteraient pas eux-mêmes leurs têtes inspirées, dans le souci d’une œuvre bien bouclée. Mon père avait certes le pressentiment de l’avenir, mais il savait que le public pour ces idées nouvelles n’existait pas encore. Et il n’était pas homme à jouer devant les salles vides. » p.212
« Tout le monde, dans les auberges, parlait de femmes de la noblesse qui avaient été violées et qui étaient devenues folles. On remarquera, en étudiant l’histoire de la littérature, que toutes les femmes nobles violées se sentent obligées de devenir folles, cela fait partie des bonnes manières. » p.255
«[…] il cherchait à cacher son manque d’assurance sous cet excès d’autorité qui est toujours le dernier recours de la faiblesse. […]» p.316
«[…] Toute vie est faite de tours de passe-passe, il ne saurait y avoir de génie authentique hors de l’immortalité. La mort n’étant pas autre chose qu’un manque de véritable talent, nous voilà tous condamnés à l’illusionnisme et à des numéros d’imitation plus ou moins réussis. » p.317
«[…] Ce qui compte, aux heures de désespoir, ce n’est pas ce qui est vrai et ce qui est faux, mais ce qui aide à vivre. » p.350
«[…] L’amour, tu sais, ce dont il a le plus besoin, c’est l’imagination. Il faut que chacun invente l’autre avec toute son imagination, avec toutes ses forces et qu’il ne cède pas un pouce du terrain à la réalité ; alors, là, lorsque deux imaginations se rencontrent… Il n’y a rien de plus beau. » p.367
«[…] Tu t’arrangeras avec les souvenirs. Ils sont faits pour ça. Les souvenirs, c’est une chanson que l’on se chante quand on n’a plus de voix… » p.368
«[…] Je ne vieillerai jamais, lui annonçai-je. C’est très facile. Il suffit de l’encre, du papier, d’une plume et d’un cœur de saltimbanque. » p.374
Editions Gallimard / Folio - 374 pages
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