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Le déjeuner de jambon.
Détail d’une peinture de Nicolas Lancret. XVIII ° siècle. Chantilly, musée Condé. Photo Giraudon
La sophistication de l’art culinaire atteint parfois un degré exagéré que n’apprécie pas Voltaire, lequel parle déjà de « Nouvelle Cuisine » : « J’avoue que mon estomac ne s’accommode point de la nouvelle cuisine. Je ne puis souffrir un ris de veau qui nage dans une sauce salée. Je ne puis manger d’un hachis composé de dinde, de lièvre et de lapin qu’on veut me faire prendre pour une seule viande. Je n’aime ni le pigeon à la crapaudine, ni le pain qui n’a pas de croûte. Quant aux cuisiniers, je ne saurais supporter l’essence du jambon, ni l’excès des nouilles, des champignons, du poivre et de la muscade, avec lesquels ils déguisent des mets très sains par eux-mêmes »
Dans les milieux bourgeois, le service demeure plantureux. Pierre Lacroix, dans » Le XVII° siècle cite le dîner que prend Madame Laurette de la Malbussière, chez un ancien banquier près de la Barrière Blanche, le 20 mai 1764 :
» Notre repas fut simple et frugal (sic) ; une bonne et franche soupe à la paysanne, sans jus, sans coulis avec de la laitue, des poireaux, de l’oseille ;un petit bouilli, du beurre frais, des raves, des côtelettes, une salade délicieuse, une tourte de pigeons, une de frangipane et des petits pois accommodés à la bourgeoise.
Pour dessert, nous eûmes des fraises à la crème, des échaudés, des confitures, des bonbons, des abricots séchés et pour finir, « coronat opus », on nous donna un café que le maître de maison alla faire lui-même ».
Rappelons que l’échaudé, cité plus haut, est une pâtisserie très ancienne, faite de pâte au beurre avec levain, parfumée à l’anis, découpée en couronnes pochées à l’eau bouillante, rafraîchies à l’eau froide, égouttées et séchées. Avant de les servir, on les cuit au four. Elles se conservent plusieurs jours ; suivant les régions on les nomme cornaux, cornuaux, colifichets, grumblettes ou simplement gâteaux à l’anis.
Les nieules, pâtisseries du même genre, additionnées de cendre de sarment de vigne, datent de la même époque, mais elles ont disparu en France après les guerres de Religion, car les nieuleurs étaient presque tous des protestants qui émigrèrent en Allemagne.
Le Festin.
Détail d’une peinture de l’École Flamande, XVII ° siècle. Morez, musée Jourdain. Photo Lauros-Giraudon.
Il existe à Paris un endroit dont la gastronomie mérite à l’époque un haut renom : c’est la Bastille ! Les prisonniers qui y sont enfermés sont presque tous des politiques ou des fils de famille qui ont démérité ou simplement déplu. Marmontel, le premier jour de son incarcération, se voit apporter un plat de fèves et de morue qu’il mange de bon appétit. Mais il s’agit la du dîner prévu pour son valet. Or le menu des hôtes de la Bastille comporte ce jour-là : potage, tranche de boeuf, cuisses de chapon, épinards, artichauts frits, poire, Vieux Bourgogne et café. Le menu change chaque jour et certains pensionnaires ont le droit de faire venir leur nourriture de chez eux. Le Marquis de Sade commande ainsi des saucisses truffées, des rognons de veau, des ailes de perdrix, des œufs frais et des légumes très tendres, des crèmes à la vanille et au chocolat, des confitures.
Lorsque les émeutiers du 14 juillet 1789 envahissent la Bastille, ils sont stupéfaits de trouver dans les réserves de la Maison du Roi les plus fines denrées ; le pauvre fou qu’ils « libèrent » détient soixante bouteilles de vin, trente de bière et quatre d’eau-de- vie !
Bien entendu, les prison de droit commun ne rappellent en rien ce régime : on y boit de l’eau, on y mange du pain noir et un brouet clair.
Allégorie du goût.
Peinture de l’École de Bruegel de Velours. XVI-XVII ° siècles. La Féré, musée Jeanne d’Aboville. Photo Lauros-Giraudon.
( à suivre)
Source : La Fabuleuse Histoire de la Cuisine Française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant
Gravures : Archives personnelles