Après la couleur rouge qui fut le thème de l'accrochage qui occupa deux ans durant la Grande galerie du Musée des Arts décoratifs(voir série de billets en août 2009), et une exposition thématique consacrée à l’animal dont je n'ai eu le temps que de faire une brève allusion dans un billet de février 2011 avec une photo absolument mystère d'une paire d’assiettes pour qui ne l'avait pas visitée voilà un nouvel accrochage particulièrement réussi.
Le thème choisi est suffisamment vaste et il est traité dans un sens très large pour être illustré en piochant dans les nombreuses collections du Musée qui présente des sections dédiées au mobilier, aux bijoux, aux jouets, à la publicité ... Ce serait la littérature qui aurait la première donné l'idée d'imaginer un trompe-l’œil en racontant un concours de réalisme entre deux peintres. Pline le Jeune relate que les grains de raisin du tableau du gagnant auraient été picorés par des oiseaux qui n'auraient pas su faire la différence entre le vrai et le faux.
C'est surtout à l'époque de la Renaissance italienne que le principe connait ses plus grandes gloires, avec un second âge d'or au XVIII° avec le baroque nordique et germanique. Quand on sait combien la hauteur sous plafond était un signe de réussite sociale on comprend que certains aient cherché à créer l'illusion, ce qui était avantageux sur le plan économique, même si le plus souvent, le trompe-l'oeil s'affiche en temps que tel, visant en premier la prouesse artistique. On le constate avec cette huile sur toile composant un Dessus-de-porte les saisons, France, vers 1745, d'après les bas-reliefs, les Quatre saisons sculptés par Bouchardon pour la fontaine de la rue de Grenelle à Paris.
Mais l'exemple le plus représentatif sera à cet égard un objet personnel, une armoire surréaliste et onirique en bois peint verni de Marcel Jean(1900-1993), ami proche de Magritte (première photo du billet).
Conçu pour attirer le regard, le trompe-l’œil apporte une troisième dimension dans la deuxième. Les matières jouent parfois un rôle particulier. L'artiste a utilisé des lapis-lazuli et de l'or pour mieux donner l'illusion d'un trio de dés posés sur les 7 de trèfle et de pique et sur l'as de pique, alors que le plateau de la table imite à merveille la feutrine sur laquelle on aurait disposé un jeu de cartes. Monsieur Strasser inventera le strass pour remplacer les diamants, ce qui fut fort utile pour les familles désargentées.
Paul Dyonissopoulos, dit Pavlos, emploie lui des papiers massicotés, qu'il plie et colle pour présenter sous plexiglass une série de Chemises-cravates.
On constate beaucoup d'applications avantageuses avec un mur peint en faux marbre, ou un sol recouvert de linoléum (littéralement huile de lin en latin), une invention qui permet au XIX° de faire de belles économies car un parquet de chêne est comparativement hors de prix.
Plus tard avec le Formica, trouvé par hasard en recherchant un isolant de conduites électriques à base de mica, et qui aujourd'hui serait plébiscité en permettant de préserver les arbres tropicaux. Solide, hygiénique, économique, cette matière a investi les cuisines des années 60 et cela pendant une trentaine d'années.
Le but est parfois de copier dans un souci éducatif. C'est dans cet esprit qu'au XIX° siècle les grands musées se sont échangés des moulages de trésors réalisés grâce aux progrès de la galvanoplastie dont la maison Christofle deviendra orfèvre en la matière ...
Quand l'amélioration des systèmes de chauffage autorise de remplacer les boiseries par du papier-peint les fabricants s'évertueront à créer l'illusion avec virtuosité, sans souci cette fois de réduire les dépenses. Ce sera aussi le cas avec les meubles en papier mâché que l’on croirait en ébène et qui sont disposés dans cette soit-disant Period room . Ici le décor est fictif, composé d’éléments provenant des périodes diverses allant du XIXe siècle avec des papiers peints en guise de draperie ou de trophées de chasse, ou encore des stickers contemporains plastifiés pour évoquer une cheminée ou une double porte haussmannienne.
On imitera aussi la porcelaine ou les matières naturelles avec virtuosité dans un jeu de va-et-vient entre vrai et faux, sans chercher à duper, mais bel et bien à surprendre. Ainsi cette série de Croutes, modèles créés en 1900 par Adolphe Lamarre (1837-1922) à partir d'un moulage sur vif, Mehun-sur-Yèvre, manufacture de Pillivuyt, 1920-1940, porcelaine émaillée (collection particulière) pour le moins appétissante.Les tables s'orneront aussi dans les années 50-60 de diverses imitations de bambous, ou de pailles tressées.
Le domaine de la mode est également dignement représenté. Il suffit de se souvenir des perruques (accessoire masculin à l'origine), faux-culs, chapeaux (une femme ne serait pas sortie "en cheveux" au XIX°) et autres accessoires, souvent fleuris.Mais aussi, plus récemment du premier pull trompe-l’œil d'Elsa Schiaparelli qui imagina un sweater jacquard en 1928, un principe dont Sonia Rykiel fera sa spécialité.
Coco Chanel eut l'idée d'employer la broderie pour imiter le bijou et on peut voir au deuxième étage de la grande galerie de belles réalisations des ateliers Lesage. Les temps changent mais les illusions demeurent. Ce sont les faux tatouages qui font fureur aujourd'hui. Avec les progrès du numérique les prouesses semblent sans limites car le trompe l’œil n'est rien d'autre qu'un savant jeu d lumières et d'ombres, les plus difficiles étaient les réalisations en noir et blanc.
Pour en savoir davantage je vous oriente vers le site du Musée. Vous avez jusqu'au 15 novembre 2013 pour voir ... et revoir cette exposition. N'attendez tout de même pas trop longtemps !
Et si vous êtes passionné par les illusions d'optique et que vous avez envie de confronter vos représentations je vous recommande le site de Walter Wick, un photographe de génie qui compose des tableaux où l’œil se perd avec bonheur.