Il y a quelques points communs entre Michaux et Prévert : leur inventivité, leur côté subversif, leur drôlerie, et leur place marginale par rapport au surréalisme. Mais, alors que certains poèmes de Prévert apparaissent maintenant un peu datés, ceux de Michaux n’ont absolument pas vieilli. Michaux est plus cérébral, plus philosophe que Prévert. Et plus cruel aussi.
La Vie dans les plis est un recueil composé de cinq parties de longueurs inégales et, à mon sens, de qualités un peu inégales aussi, bien que le tout forme un très bel ensemble.
La partie qui me semble la plus géniale est la première : Liberté d’action (une quarantaine de pages) qui explore le thème de la violence – mais pas de la violence réelle : de celle que nous infligeons en pensée à ceux qui nous dérangent.
Ces poèmes ont un côté surréaliste dans leur idée de départ mais la façon dont ils se développent est rigoureusement structurée et logique, ce qui est très réjouissant pour le lecteur.
Sous leurs airs de purs fantasmes, ces poèmes disent des choses profondes sur la réalité.
Voici les premières lignes de quelques uns d’entre eux, qui donneront un aperçu de leur ton :
- C’est dans la vie de famille, comme il fallait s’y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à gifles.
- J’ai aussi ma fronde à hommes. On peut les lancer loin, très loin.
- Dès qu’on oublie ce que sont les hommes, on se laisse aller à leur vouloir du bien.
- ” Faut-il punaiser les bébés ?” m’écrit J.O. Non je ne répondrai pas à cette question insidieuse.
Un de ces poèmes, La philosophie par le meurtre, m’a semblé être un clin d’œil (ironique ?) aux surréalistes quand ils disaient que l’acte surréaliste le plus simple consiste à descendre dans la rue avec un revolver et à tirer au hasard dans la foule : ici Michaux fend la foule à grands coups de faux.
La deuxième partie de ce recueil, Apparitions, (une soixantaine de pages) explore surtout les sensations douloureuses, et est donc très axée sur le corps : piqûres, brûlures, arrachements divers, transpercements, éventration, … sont passés minutieusement en revue – et ne laissent pas le lecteur insensible.
Dans cette partie mon poème préféré est celui ou l’auteur essaye vainement d’apprendre à marcher à une statue et se retrouve, à force de persévérance, paralysé.
Un autre excellent poème est De la difficulté à revenir en arrière : une sensation étrange que chacun a déjà éprouvée.
La troisième partie, Portrait des meidosems, est à la fois la plus longue et sans doute la moins bonne. Les meidosems sont des créatures filandreuses et élastiques qui peuvent se déformer à volonté et qui sont soumises aux attaques de divers ennemis.
On peut y voir par moments un parallèle avec la condition humaine mais, dans l’ensemble, le rapprochement n’est pas si évident.
Toute cette partie sur les meidosems me fait penser à des tableaux de Miro, voire au dessin animé des années 60 Les Shadoks (mais en moins drôle) et me laisse assez perplexe.
La quatrième partie, Lieux inexprimables, accorde une assez grande place aux paysages, et ressemble souvent à des récits de cauchemars : très sombres, et pas très structurés. Plusieurs passages m’ont évoqué le Rimbaud d’Une Saison en enfer.
La cinquième partie, Vieillesse de Pollagoras, est très courte (seulement quatre poèmes) et dit des choses très émouvantes sur la vieillesse. Ces poèmes m’ont paru très beaux, et d’un esprit plus classique que le reste du recueil.
Bref, je recommande la lecture de ce recueil à tous ceux qui aiment la poésie. Et peut-être aussi à ceux qui ne l’aiment pas car ils pourraient découvrir des raisons de l’aimer.