Réveil brutal d’une nuit sans rêve. Je prend à peine le temps d’un café. Je me poste devant l’écran et j’attend un peu. Il y a la tension de cette attente, les formes fusent, les sensations. Il n’y a aucun concept, seulement des formes ou plutôt des silhouettes et des manières de faire, des solutions techniques ou des problèmes techniques. Certaines de ces images resteront des images à peine définies, d’autres passeront en réalisation. La discrimination entre les deux est affaire de temps, les silhouettes incubent, évoluent, périssent ou naissent. Certaines sont simplement abstraites, d”autres stupides ou irréalisables et doivent rester des désirs inachevés pour produire d’autres désirs. Il y a un chemin sinueux, complexe et troué entre tous ces désirs fait de lacunes. Depuis des années, je suis resté attentif à ce monde là, entre la nuit et le jour, quand le matin est encore nocturne et que toutes les sensations semblent flotter encore sous les draps dérobés. Il y a les noms de ceux qu’on a connu, ce qu’on doit faire dans la journée, les craintes et les tensions, bref tout ce qui sera oublié avec moi, cette “vie intérieure” dont la narration est si difficile, si commune et infime. Il n’y a presque rien à raconter de ce moment et c’est pourtant par lui que les images viennent et s’évanouissent. Il y a bien sûr de la subjectivité mais ouverte sur le monde, sur les événements, c’est-à-dire sur tout ce que je n’ai pas vécu. C’est peut être justement ce point de balance entre ce que je vis et ce que je ne vis pas, c’est-à-dire le possible et c’est pourquoi c’est un projet qui prend cette forme qui n’est jamais métaphorique. Il y faut bien sûr de la singularité, mais ce n’est pas une expression subjective, la projection hors de soi de soi. Ça commence par une introjection du monde en soi. La question est celle de la perception, c’est-à-dire de la lisière entre le monde et soi, le moment si difficile à saisir, est-ce même possible?, ou les variations du monde s’articulent aux variations de la sensation interne. La peau comme une marge de sa vie. Percevoir et se sentir comme du dehors, le paradoxe du sens intime. Il y a une joie étrangement sereine au coeur de cette tension et de cette attente car je sais que jour après jour des images, des sons, des dispositifs sont produits qui entreront en circulation avec d’autres mondes, expositions ou lieux privés. Le froid s’accumule encore un peu dehors. Derrière les rideaux, il y a ce salon, une porte suivie d’un couloir, long et étroit, une autre porte, fermée elle, la chambre dans laquelle elle dort encore, perdue dans sa nuit.