Chaque élection nationale – et chaque élection présidentielle en particulier – est l’occasion de voir apparaître de nouvelles tendances dans le traitement de l’information et le journalisme. Qui ne se rappelle pas de Benoît Duquesne pourchassant à moto dans les rues de Paris un Jacques Chirac fraichement élu, en 1995 ? L’élection 2002, elle, vit la grande mode des reportages sur les agressions de personnes âgées et les violences urbaines. En 2007, les émissions « face aux Français » firent leur entrée – remarquée – dans le monde politico-médiatique. Quelles vont donc être les nouveautés de 2012 ?
Même s’il est encore un peu tôt pour se prononcer de manière définitive, on peut déjà établir quelques hypothèses. Les « pure players » et leur information connectée aux réseaux sociaux. Twitter, où sont présents journalistes et responsables politiques pour une communication moins aseptisée et plus aiguisée. Et enfin le journalisme d’opinement, nouvelle méthode audacieuse introduite sur le terrain, qui pourrait bien révolutionner l’interview politique.
Le journalisme d’opinement – à ne surtout pas confondre avec le journalisme d’opinion – est nommé ainsi en référence à l’expression « opiner du bonnet », ou donner son assentiment. Il consiste à délibérément employer les mots et le point de vue de la personne que l’on interviewe, pour mieux la mettre en confiance, et donc ultérieurement pouvoir lui soutirer des informations.
Une très belle démonstration de cette technique redoutable a été faite lors de l’inauguration du Salon de l’Agriculture par Valérie Astruc, journaliste affectée au suivi de l’Elysée. Alors que le cortège présidentiel déambule dans le salon, entourant fermement le président pour l’empêcher d’insulter les passants, la journaliste jaillit et interroge le nouveau candidat : que pense-t-il de François Hollande qui « se gargarise » d’être très présent également à ce rendez-vous incontournable de l’agriculture ?
On remarquera et appréciera l’habileté du terme utilisé. Un journaliste lambda, s’attachant encore au culte ringard de l’objectivité, ou simplement non formé à la méthode du journalisme d’opinement, aurait employé un mot neutre, sans coloration particulière. “Que pensez-vous de François Hollande qui se félicite d’ / se fait fort d’ / affirme / déclare être très présent au Salon de l’Agriculture ?” Une question ainsi formulée n’aurait rien provoqué chez le président. Au contraire, la question de Valérie Astruc, en faisant mine d’adopter le point de vue présidentiel en utilisant un terme dépréciatif, sert de tremplin à Nicolas Sarkozy pour attaquer François Hollande. La satisfaction est d’ailleurs immédiatement perceptible sur le visage du candidat de l’UMP. En répétant très régulièrement cette opération, la journaliste peut espérer, au bout de quelques années, obtenir une confidence inédite de la part de son interviewé de prestige.
A mesure qu’il se popularise, on entend dire beaucoup de sottises sur le journalisme d’opinement. Certains affirment ainsi qu’il ne serait ni nouveau, ni français, et qu’il aurait été importé de Russie, de Chine, ou de certains pays du Maghreb. Il est vrai que c’est une forme de journalisme qui a eu des prédécesseurs, mais bien de chez nous, et parmi eux un certain Jean-Pierre Pernault, ou les pionniers de l’ORTF. Avis aux déclinistes et pessimistes en tous genres : notre pays est encore plein de ressources !
Romain Pigenel