Je n’ai jamais compté le nombre de concerts de Pierre Lapointe que tu as vu ma blonde, on pourra tomber des nues, c’est surement plus nombreux que tous les shows de tous les artistes réunis que j’ai pu applaudir jusqu’à mes 25 ans.
Toi, tu étais là depuis le début, tu as connu le faux dandy insupportable vêtu d’un costume cravate … mais pieds nus et qui souvent, trop souvent il prenait ses musiciens et son public de haut. Tu as rencontré ce gentleman qui priait la foule d’acclamer son talent et sa beauté … Tu as fait le tour du Québec à la recherche de cette magie sonore, de cet espoir qui t’a aidé à colorier ton arc-en-ciel noir, tu as un peu raconté ton livre à travers quelques chansons au pays des fleurs de la transe, vomi tes cicatrices en acceptant tes fantômes … tout en musique.
Le fou n’est pas l’homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison…
La mécanique de ton coeur a été à nouveau brisé, ça t’avait transformé en monstre de tristesse, en bombe humaine. La fuite, on connaissait ça, on était un peu les champions de ce sport… vas-y mets un peu de musique et laisse ton esprit s’évader. Tu respirais tes 21 ans et tu préférais te croire morte, super-puissante en crachant ces médicaments « briseurs de délires … et de rêves ». Tu te croyais déjà morte Océane en pensant que tout le monde s’en foutait que tu crèves. Le réveil était chaque fois violent, tu n’avais pas besoin de cet hôpital pour te sentir en vie… Quelques neuroleptiques que tu vomisses comme une réalité brûlante, tu avais cette envie de faire le chemin à l’envers, de te retrouver dans l’irréel parce que c’était plus marrant et ça te protégeait contre les humains, tu retrouvais -beaucoup trop- souvent tes fantômes aux larmes glacées … c’était ta manière de te jeter dans le vide même si tu avais le vertige de la vie.
Montréal t’empêchait de t’ennuyer, tu enchaînais les concerts embarquant avec toi à chaque live l’espoir absolu … qui t’arrachait le coeur. Ne jamais s’étouffer dans cette médiocre vie qu’on a essayé de t’imposer, tu as choisi celle de la fête, de la drogue, de la dope comme cette stupide jeunesse moderne, c’était mieux que Woodstock et les rave-party les plus orgasmiques, mieux que la liberté de Bukowski qu’on dévorait, connards insouciants qu’on était.
Tu reprenais souvent cette citation en pouffant de rire « Choisir son avenir, choisir la vie. Pourquoi je ferais une chose pareille ? J’ai choisi de pas choisir la vie, j’ai choisi autre chose. Les raisons ? Y’a pas de raison. On n’a pas besoin de raison quand on a l’héroïne. » en ajoutant « …et la musique ! ».
Ce gars-là va marquer l’histoire de la chanson québécoise, j’en suis convaincue !
C’est ce que tu m’avais dit Océane après avoir vu le schtroumpf poète populaire et dépressif au théâtre Corona à Montréal en 2005 (ou 2006, ne m’en veux pas ma blonde, les souvenirs font un peu défaut ces temps-ci). Je ne me souviens plus du nombre de concerts qui ont précédé celui-là mais ça t’avait bien marqué … Les fantômes qui ré-apparaissaient au milieu du show, le retour à la case départ, le délire, la fuite et la musique. Elle a été toujours présente cette douce mélodie, ces Étoile étiolée et ce grand sourire qui se figeait sur ton visage quand tu répondais « J’habite au columbarium » à chaque fois qu’on te demandait ton adresse. Allez montons le son de nos rêves pour oublier qui nous sommes !
Un nouvel album était annoncé, la joie t’envahissait et c’était de ces moments aussi ridicule qu’agréable où tu croyais à l’impossible. Tu détestais noël mais celui de 2005 avait un goût différent … Un noël sans pluie où on retrouvait la belle plume de Pierre Lapointe et cette douce chanson interprétée par une vingtaine d’artistes de la maison de disque Audiogram.
Beaucoup d’artistes du label et d’artisans de la musique Québécoise : Bïa, Michel Rivard, Pierre Flynn, Monica Freire, Mara Tremblay, Ily Morgane, Marc Déry, Yves Desrosiers, Paul Kunigis, Yves Marchand, Oceane et Karkwa ainsi que… Lhasa. Notre belle Lhasa…
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Elle n’était pas mal du tout cette année 2005, tu venais de passer un été incroyable où avec ta pseudo liberté et ta fausse joie à reflets rouges tu avais assisté à quelques dates de Pierre Lapointe. Les FrancoFolies de Montréal, le spectacle Pépiphonique, Albin de la Simone, Mara Tremblay et cette reprise de Jacques Brel, un vrai rêve bouleversant et dans ces moments-là, la musique écrasait toutes tes angoisses, tous tes démons.
De nouvelles chansons te faisaient briller les yeux, Au 27-100 rue des partances, Nous n’irons pas, l’instrumentale 25-1-14-14 ou Tu ne peux rien faire avec Albin de La Simone …
S’il m’arrive d’être dur
de mauvais poil ou tendu
éloigne toi c’est néfaste
attend la fin de l’orage
tu ne peux rien faire
S’il m’arrive de me plaindre
de mes douloureuses règles
si les spasmes me font geindre
vomir et pleurer ma mère
tu ne peux rien faire
C’était un peu cela, « on » ne pouvait rien faire, juste profiter du temps qui restait… Mais c’était le temps des verres bus et de l’ivresse pour oublier qu’on était encore en vie, le temps de l’art et de la sensibilité, de ta fragilité et des oiseaux qui bâillaient à six heures du matin, le temps de nos lettres destinées aux fantômes sourds et qu’on finissait par jeter au feu, le temps où on était heureux. Ces temps où tu rêvais d’être Marie Eiffel … Une bonne claque cette chanson, n’est-ce pas ma blonde ?
Je me rappelle de ton coup de téléphone me réveillant de mon rêve rouge, « Il a tout raflé bordel !!!« . Pierre Lapointe, qui était l’archi-favori au Gala de l’ADISQ avec 13 nominations, avait fini par remporter 6 Félix et toi ma blonde tu venais de perde un sourire dans tes nuages invisibles.
Dans La forêt des mal-aimés, Au pays des fleurs de la transe …
Le nouvel album de Pierre Lapointe était enfin dans les bacs et, sans grande surprise, numéro un des ventes au Canada ! Une fable tragique où tu as rencontré l’amour, la mort, les regrets … mais surtout l’amour. J’avais espéré aussi un peu d’espoir dans cette forêt si sombre, même si tout (ou presque) se résumait dans Deux par deux rassemblés
Non ce n’est sûrement pas de briller
Qui nous empêchera de tomber
Non, ce n’est sûrement pas de tomber
Qui nous empêchera de rêver
…
Une fois deux par deux rassemblés
Nous partirons le point levé,
Jamais la peur d’être blessé
N’empêchera nos coeurs de crier
On était tous les deux d’accord sur un point, Deux par deux rassemblés et Tous les visages étaient des vrais chef-d’oeuvres, les plus grandes réussites de Pierre Lapointe. N’empêche, on avait longtemps analysé Qu’en est-il de la chance ?, décortiqué cette guitare au son distorsionné et saccagé qui claque, les violons disco qui te faisaient piquer un fou rire impossible à contenir, sans oublier ce coté pop … qui nous irritait au début mais qu’on a fini par adopter.
Les joies d’aimer, la difficulté d’aimer, le désir d’aimer, les regrets et les remords d’avoir fui l’amour, … toi tu connaissais ça … et nous voilà au pays des fleurs de la transe avec ce manipulateur d’émotions. Du coup, les rêves se sont mis à rejaillir de notre profond coma, ces fameux rêves qui s’étaient évaporés, qui s’étaient éloignés de nous. Au menu, c’était musique et évasion, pas de neuroleptique ma blonde, que de la musique rien que la musique en s’aventurant dans les sentiers de l’amour, au coeur de la forêt des mal-aimés.
Avril 2006, Pierre Lapointe était annoncé pour deux dates parisiennes … on avait décidé de ne plus se « parler » pendant quelques temps, de peur que l’envie soit plus forte que notre vieille promesse et que tu finisses par prendre le premier avion pour Paris. On s’était promis de ne jamais se « rencontrer », hélas on a tenu notre stupide promesse…
Je regrette aujourd’hui de ne pas t’avoir « mieux » connu, même si notre relation ambiguë était fusionnelle. Je regrette de ne pas avoir profiter pleinement de l’amitié que tu m’offrais, d’avoir voulu me protéger de tes délires, d’avoir fuit l’aventure (et de t’avoir fuit ma cinglée qui m’avait fait l’honneur d’une place dans ton coeur cassé). Je regrette de n’avoir pas lu ta lettre après ta première crise, ton premier plongeon dans l’enfer, de n’avoir pas pu comprendre ton univers étrange peuplé de tes fantômes aussi séduisants que dérangeants.
Everything is fine
Tu rêvais d’un monde meilleur comme Laure Waridel, mais comme les héros du film Everything is fine (Tout est parfait), tu étais une jeune excessive et impulsive, fragile et invincible, lucide et inconsciente, tragique et idéaliste, rêveuse et suicidaire.
Un petit (dernier) tour aux Francofolies de Montréal, aux spectacles colorés de Pierre Lapointe, tu tentais en vain de souder tes rêves à la réalité qui te faisait si peur, l’émotion forte t’était interdite et pourtant tu la défiais tous les jours. Tu savais qu’elle ne faisait que bousculer ce qui était caché en toi, tous ces démons avec qui tu dansais. La musique te mettait dans un état second mais te permettait de vivre, de rire, d’avoir l’air « heureuse », de même faire rire les autres (alors que tu détestais les gens, chapeau ma belle cinglée !). Tu te devais de fuir la passion et pourtant tu l’as côtoyé, on la côtoyé pendant des années.
Je sentais que le temps des adieux n’était pas très loin, que tu n’en pouvais plus de la maladie, de la folie, des crises à répétitions, de la seringue usée cachée sous ton lit avec tes vieux disques des Smith, ce groupe que tu m’as fait découvrir, et leur chanson qui me hante aujourd’hui : I Know It’s Over … Not tonight, my love.
Océane, je n’ai jamais compris ta passion pour Pierre Lapointe, comment ça t’a donné envie de vivre encore quelques années de plus … parce que si je me rappelais de notre rencontre, tu avais déjà l’envie d’en finir à 16 ans, avec ce couteau qui voulait t’entailler. Tu disais souvent que tu étais une sorte de Jane Cooney Baker… On savait tous les deux comment ça allait finir.
Les rasoirs font mal
Les rivières vous trempent
Les acides font que dalle
Les drogues donnent des crampes
Les nœuds sont coulants
Les flingues sont bouillants
Le gaz sent mauvais
Autant vivre c’est plus gai !
J’aurai rêvé que tu prononces ces mots, mais hélas … On t’avait volé ta vie, tu as préféré ma belle cinglée de choisir ta propre mort. Tu sais, ta belle poésie m’a toujours mis la larme à l’oeil, tes fantômes m’ont toujours ému, ta passion m’a toujours ouverte les portes de l’évasion et ton amitié m’était précieuse…
Je rêve souvent de remonter le temps et de t’empêcher de faire ta dernière danse en ce matin du 13 octobre 2006. Je t’aurai évité de gigoter en dansant ta dernière danse où tu te balançais de gauche à droite, cette danse bizarre où on reste suspendu par une corde entre ciel et terre… à seulement 22 ans .
Dis-moi ma blonde, qu’est-ce qu’il y a là-haut ? Du rêve ? Du rien ? Du vide ? … Je croise souvent ton fantôme aux concerts de Pierre Lapointe. Tu vas être vraiment étonner, j’en suis à mon 26 ème concert … et beaucoup de fois c’est juste pour te revoir petite fille laide. C’est pathos mais j’entrepose souvent les larmes et les souvenirs au détour de quelques chansons.
Je comprends ta passion aujourd’hui, je réalise l’importance qu’elle avait. Tu sais Océane, je comprends vraiment même si … je n’accepte toujours pas ton voyage.