A Lille, certains ont cru que Sarkozy avait l'éloge du travail. En fait, il cherchait s'est livré à un réquisitoire violent mais indirect contre l'assurance sociale.
Pauvres annonces
Nicolas Sarkozy a raison de penser qu'une élection n'est jamais perdue ni gagnée d'avance. Il a confié, mercredi, qu'il se savait « face à un mur ». Et il a décidé d'y aller « crescendo ». Son problème est qu'il peine à trouver quelque chose de crédible à promettre. Après sa droitisation extrême depuis 15 jours, il a dû rassurer les quelques centristes de l'UMP ou du Nouveau Centre.
A Lille, il endossa son costume de candidat... de 2007. Le ton était là, l'attitude presque spontanée, quelques phrases pouvaient faire mouche. Certains arguments, en 2007, auraient pu faire mouche. Mais nous étions en 2012, et Sarkozy était le candidat sortant. L'ensemble sonna donc creux, terriblement creux.
Environ 10.000 militants UMP s'étaient rassemblés. « Il y avait beaucoup de monde, et ça, c'est un signe que Nicolas Sarkozy était attendu » commenta Nathalie Koscisuko-Morizet, sa porte parole. Effetcivement, beaucoup de ministres en exercice s'étaient rendus sur place (Xavier Bertrand, François Baroin, Nora Berra, Marie-Anne Montchamp). Ils écoutèrent, 45 minutes durant, Sarkozy défendre le Travail. Pour un président du chômage, la démarche était osée. Il revendiqua ses annonces de la veille sur la prime pour l'emploi ou le travail forcé des bénéficiaires du RSA. «En créant le RSA nous avons choisi l’incitation au travail contre l’assistance », mais c'était insuffisant: s'il est réélu, il imposera 7 heures de travail hebdomadaire aux bénéficiaires du RSA. Cela ne sert à rien sauf à instiller le doute: ces RSAistes seraient-ils des fainéants ?
Dérapage narcissique
A Lille, Nicolas Sarkozy développa en fait son axe principal de campagne: il est la France. Il l'a déjà sauvé ( « Que serait-il resté de l'Europe si nous ne nous étions pas battus pour sauver l'euro? »). Le candidat sortant, auto-proclamé candidat du Peuple, a conclu son intervention par son désormais habituel « Aidez-moi, aidez la France». Un slogan bien narcissique qui confirmait nos soupçons, il n'avait pas changé. L'homme se confond avec la France.
« Vous êtes le peuple de France. La France a besoin de vous. J'ai besoin de vous.»Ses opposants, et François Hollande, seraient-ils donc l'incarnation de l'anti-France ? L'accusation résonnait en creux. « Eux ils parlent à des castes, moi je veux parler à des êtres humains ». Quelle caricature. Sarkozy veut que l'électeur oublie le bilan. « On va sans doute dire que je tiens des propos forts à l'égard de mon adversaire (...). Mes chers amis, toute critique n'est pas une attaque personnelle».
La fausse éloge du travail
« Je veux être le porte-parole de cette France qui veut vivre de son travail ».
Sous son quinquennat, le nombre de demandeurs d'emploi a cru de un million en 5 ans. L'an passé, le chômage s'est encore envolé dans toutes les catégories . Parmi les 5,2 millions de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi, on en comptait 2,8 millions sans aucune activité (catégorie A), en hausse de +130.000 sur un an et 1,40 million en activité partielle et contrainte. On sait aussi que la défiscalisation des heures supplémentaires a été un fiasco budgétaire et économique (effet d'aubaine pour les entreprises et frein à l'embauche).
Pourtant, à Lille, Sarkozy avait de grands mots pour faire l'éloge de « la France qui travaille ».
Je me sens proche de tous ces Français qui aiment leur travail, qui aiment leur métier, qui aiment leurs entreprises.Une charge contre la Sécu...
Un pays ne peut pas vivre sans agriculture, sans industrie, parce que lorsque la production s’en va tout le reste finit par partir aussi.
Il ne faut pas opposer le travail à la vie parce que le travail c’est le moyen d’être libre et c’est la condition de la solidarité.
Se croyait-il en 2007 ? Pas tout à fait. Son éloge forcée du travail avait deux objectifs: agiter un nouvel épouvantail, « l'assistanat »; et faire accepter l'idée qu'il faut progressivement supprimer la Sécurité Sociale. Parler d'austérité n'est pas vendeur.
Pour masquer la potion, le candidat sortant préférait revendiquer la hausse du salaire net: après les charges patronales, voici qu'il veut aussi réduire les charges sociales. Mais qui va donc payer la Sécurité sociale ?
« Je veux réduire la différence entre le salaire brut et le salaire net en diminuant les charges que payent les salariés »
S'il baisse les charges sociales, il faudra bien augmenter les impôts (ce qui revient à fiscaliser l'assurance sociale, comme avec la TVA sociale - mais Sarkozy n'en parle pas) ou réduire les prestations sociales. Le candidat sortant a une jolie formule: « Je veux que le travail paye plus que l'assistanat ».
C'est la nouvelle thèse de la Droite décomplexée. « C'est une crise de la suprématie accordée à la spéculation et à la rente sur le travail, c'est une crise de la priorité accordée à l'assistanat sur le travail ». Comme Laurent Wauquiez il y a près d'un an, le Monarque devenu candidat laboure un argument si cher à la fameuse « Droite sociale »: contre les abus d'en haut, et les abus d'en bas.
Après avoir tenté de nous convaincre que « s'enrichir, c'était bien », le sarkozysme a du procéder à un léger aggiornamento: il s'agit désormais d'opposer les pauvres aux plus pauvres. Poser sur un pied d'égalité les abus des uns et des autres est d'une tartufferie incroyable. On sait que les plus fortunés sont les principaux bénéficiaires de milliards d'euros de défiscalisation depuis 2002, l'argument donne des frissons. Et depuis 2007, les réductions de prestations sociales (maladie, familiale, etc) ont été nombreuses.
Sans jamais oser le dire explicitement, Nicolas Sarkozy voulait faire comprendre à son auditoire que les « assistés » étaient la cause de nos malheurs du moment ou, à défaut, un obstacle au redressement national.
Il ne lui reste plus qu'à l'avouer.
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