Avec sa nouvelle loterie instantanée : «2012 année de richesse» la Française des jeux qui a surperformé l’année dernière invite les Français à conjurer la crise par une prophétie autoréalisatrice de la même veine que la tautologie probabiliste vertueuse qu’elle a déjà utilisée dans ses publicités: «100 % des gagnants ont tenté leur chance».
Après avoir surperformé en 2011 (+8,5% à 11,4 milliards €) (1) la Française des jeux (FDJ) - qui vient d’être confortée dans son monopole par le Conseil d’Etat (2) - est optimiste pour la nouvelle année et tient à le faire savoir. Après «2010 année en or», «2011 année de rêve», l’opérateur historique a lancé en début d’année une nouvelle loterie instantanée nommée «2012 année de richesse.» Malgré ou à cause de la récession annoncée dans la zone Euro, notamment pour la France qui vient de perdre son triple A, l’opérateur historique prend à contre-pied tous les cassandres de mauvaise augure pour faire rêver les français à un avenir meilleur et les faire «parier» sur «une sortie de crise». Certes, personne n’est dupe sur cette stratégie marketing positive. Ce jeu et son nom visent à conjurer le sort par une sorte de prophétie auto réalisatrice. Mais dans une période ou les crises économiques et ses soubresauts se succèdent de manière lassante et répétitive, la symbolique est forte, le clin d’œil ironique fait mouche.
Déclencher un cercle ludique vertueux
Après avoir lancé «Cash 500 000 euros» et ses relookage successifs qui répondait au «besoin de liquide & de cash» des Français en période de marasme, tout en exploitant la symbolique de l’Amérique (3), la FDJ continue «d’exploiter» positivement la crise. L’opérateur national souhaite déclencher un cercle vertueux dans le comportement ludique des français et les invite à ne plus broyer du noir mais à voir l’avenir en rose. Illusion chimérique de l’espérance ludique, méthode Coué adaptée à la praxis ludique dans un environnement morose? Chacun appréciera selon ses convictions et sa relation avec les jeux d’argent.
Comme pour la plupart des gratteux (4) le principe est simple. Il faut gratter chacun des 12 mois de l’année. Si vous découvrez deux symboles identiques, vous remportez le gain associé. Il existe une case «bonus» qui permet de multiplier ses gains par le nombre découvert. Plus de 22 millions de tickets seront mis en vente, mais il n’y aura pas de réimpression pour ce «jeu éphémère» qui coûte 3 euros. Attention cependant à la date de péremption. Si vous gagnez, vous n’aurez que 30 jours pour toucher vos gains à compter de la date de clôture publiée au Journal Officiel - auquel tous les français ne sont pas abonnés - mais disponible aussi heureusement sur le site fdj.fr.
La roue de la fortune représente les alternances du sort, la chance et la malchance
Le symbolique des couleurs apparaît forte mais ambivalente. Si les couleurs dominantes du carton à gratter sont «le jaune or» synonyme de richesse, «le rouge» (signal du danger qui incite à la vigilance) apparait fortement. Autant dire que si «la roue» qu’il faut gratter 12 fois est synonyme de fortune - la célèbre «roue de la fortune» attribut de la Déesse Fortuna (5) - , elle représente aussi les alternances du sort - la chance et la malchance – et est donc porteuse d’inquiétude. De la même manière, curieusement, la présence «d’Euros dorés» qui partent dans tous les sens comme dans une explosion, peut symboliser «l’éclatement tant redouté de la zone Euro», qui pourrait entrainer la fin de la monnaie unique. Heureusement la présence du mot «gain» - douze fois - est plus rassurante. Elle souligne que si ce jeu ne permet pas de «devenir riche», il autorise de nombreux gains intermédiaires confortables et un coquet pactole à 50 000 euros, «toujours bon à prendre par les temps qui courent».
Espèrance mathématique & espérance ludique
Malheureusement consumérisme ludique oblige, le tableau des lots imprimé au verso ramènent le joueur à la réalité du Taux De Redistribution (TDR) et à celle de «l’espérance mathématique» de toucher tel ou tel gain : Pour 1 500 000 tickets:
- 215 000 lots de 6 euros
- 75 000 de 9 euros
- 25 000 de 15 euros
- 10 000 de 20 euros
- 2000 de 50 euros
- 3000 de 100 euros
- 20 de 1000 euros
- 2 lots de 50 000 euros
Mais «l’espérance ludique et le plaisir du jeu réapparaissent quand le joueur gratte la roue et « dévoile » les multiples symboles. Traditionnels, les symboles associés à la chance et à la superstition ( trèfle à 4 feuilles, fer à cheval, étoile) sont bien là mais minoritaires. Il en va de même pour ceux associés à la richesse : diamant, billet de banque, bague, collier de perle. A l’inverse les symboles synonymes de vacances et de farniente (parasol, tong, Soleil, cocktail, appareil photo, hamac, transat, palmier), de voyage (valise, avion), d’achat petit ou grand (télévision, maison, voiture), de loisirs (note de musique, guitare) sont majoritaires et omniprésents; ensemble soulignant que ce jeu ne permet pas changer de vie mais permet de « se faire plaisir » ou de faire plaisir à une personne de son entourage…en cas de gain.
Trois vendredi 13 en 2012
En final bien entendu, impossible de dire si les vœux de l’opérateur de Boulogne se réaliseront macro économiquement en 2012. La surinterprétation subjective que nous venons d’effectuer ne doit pas nous faire oublier que ce n’est qu’un jeu, que «les temps sont durs», que les probabilités de «perdre» à ce jeu sont fortes, comme l’indique le tableau des gains. Mais c’est le principe de base des jeux d’argent que tous les joueurs acceptent quand ils s’engagent dans la «petite aventure ludique» des jeux de grattage. Difficile de dire si les joueurs vont gagner de l’argent en jouant à ce jeu, une chose est certaine, 2012 sera certainement «une année de richesse»… pour la société dirigée par Christophe Blanchard Dignac, qui bénéficiera de «trois semaines de la chance», c’est à dire de trois vendredi 13.
Notes
- «Jackpot à 11,4 milliards d’euros de CA pour la FDJ», dépêche AFP du 3/1/2012
- «Le Conseil d’Etat conforte le monopole de la FDJ», dépêche AFP du 4/1/2012
- JP Martignoni : «CASH» : la Française des jeux lance une nouvelle formule de son jeu de grattage Cash 500 000 euros , un jeu au nom évocateur sur la thématique de l’Argent Liquide et de l’Amérique mais sur fond de crise économique (3 pages, novembre 2011)
- C’est la charmante terminologie utilisée par nos cousins et amis du Québec pour nommer les jeux de grattage
- Fortuna est une divinité allégorique du hasard, de la chance. Son nom dérive du latin fors qui signifie «sort». Elle est identifiée à la Tyché grecque. Elle représente le destin avec toutes ces inconnues et ces incertitudes. Ses attributs principaux sont la roue, la sphère, le gouvernail, la proue de navire et la très célèbre «corne d'abondance».
© JP Martignoni , Lyon, France, février 2012,199