Rédiger un livre lorsqu’on est candidat à une élection présidentielle est un passage obligé, un tribut versé au monde de l’écrit, une forme de survivance de la lointaine époque où le chef devait avoir des lettres. Cet exercice convenu donne rarement autre chose qu’un pensum et une succession de banalités. Qui se souvient d’un seul de ces ouvrages depuis 1965 ? Pourtant, on doit reconnaître que François Hollande s’est surpassé dans la platitude de l’exercice ! La lecture de son texte est ennuyeuse et n’ajoute que peu à ses déclarations récentes. Elle présente toutefois un intérêt : en décortiquant son opus, on identifie la technique qu’il a choisi pour s’emparer de l’Elysée. Prêts pour une explication de texte ? C’est parti !
1 - D’abord, François Hollande tente de conjurer les réserves que la grisaille de son parcours politique pourrait susciter dans une élection où le peuple est censé élire un monarque républicain. Il cède à la mode du «storytelling» et cherche à coller à l’archétype du leader : les épreuves l’ont durci mais elles l’ont rendu proche du peuple. Son livre a un but : « Pour que les Français me fassent confiance, ils doivent davantage me connaître » ; fait-il inscrire sur la dernière de couverture. En réalité, on ne sait pas à quelle épreuve il fait référence. François Hollande a perdu une seule élection menée à titre personnel : la législative de 1993. Mais c’était lors d’une déroute générale de la gauche. Son échec lors des municipales de Tulle en 1995 ne le concernait qu’à titre de co-listier. On a vu bien pire en matière d’avanies politiques ! Haut fonctionnaire ou bureaucrate du parti socialiste, Hollande n’a jamais été vraiment sur la touche ou dans une adversité mordante.
François Hollande entreprend ensuite de cocher la case : «homme de gauche dès son plus jeune âge», un autre point de passage obligé dans sa quête élyséenne. Cela commence par une petite manipulation cocasse à propos des dates de ses études à HEC et à l’ENA. En bon socialiste, il entreprend, explique-t-il, de servir l’Etat en entrant à l’ENA. Mais «comme je voulais comprendre les réalités économiques, j’ai complété cette formation par un diplôme d’HEC». Sauf que ... HEC vient avant l’ENA et qu’il n’y aurait aucune honte à avouer que le privé le tentait sans doute davantage à 20 ans. Quant à l’idée que les réalités économiques s’apprennent plus dans une école de commerce que dans une école de service public, mieux vaut que ses électeurs ne se demandent pas trop ce qu’elle sous-entend ! Si les fonctionnaires sont moins au fait de ces réalités, il faudra se demander pourquoi.
François Hollande a beau, dans des formules alambiquées, expliquer qu’à l’âge de 10 ans à peine (!), il était sensible au caractère effronté de la candidature de Mitterrand contre De Gaulle ou qu’«à 17 ans, à Epinay, il a aspiré très tôt à prendre sa place dans le socialisme», ses engagements étaient aussi précoces qu’intérieurs. C’est plus classiquement par la voie du cabinet ministériel qu’il a entamé sa carrière, en 1981, à 26 ans. Bref, l’itinéraire classique d’un jeune homme ambitieux, hésitant même un temps entre privé et public.
Inutile de trop s’attacher à déconstruire ce personnage fabriqué pour la galerie : on se ferait accuser de méchanceté face à un homme si consensuel. Amusons-nous quand même de son sacrifice à l’imagerie rurale et à la vérité terrienne. On apprend en effet, en page 17 de son ouvrage, que sa traversée du désert fut celle du plateau de Millevaches. C’est grâce à ce lieu qu’il a tenu le coup. François Hollande tente de renouer avec la grande tradition du président-paysan, fiction popularisée aussi bien par De Gaulle que Giscard, Mitterrand ou Chirac. Il a compris qu’une part de la détestation de Sarkozy tient à son côté «hors-sol», issu du monde urbain de Neuilly sur Seine. Hollande ne commet pas cette erreur là : il a tâté le cul des vaches corréziennes, qu’on se le dise.
2 - Deuxième grande technique hollandaise de prise du pouvoir, l’endormissement par la palabre. « En bavardant ensemble, tout devient possible ! »
C’est une sorte d’hommage permanent à la démocratie participative chère à son ancienne compagne. A chaque fois qu’une difficulté se pose, qu’un problème doit être tranché, François Hollande dégaine l’arme fatale : celle de la discussion, de la table-ronde, de la recherche du consensus. Sur la question cruciale de l’Europe, où la France parvient de moins en moins à influencer les décisions, il commence curieusement par prendre la défense de la Commission (page 99), accusant Sarkozy d’avoir négligée cette institution pourtant éminemment bureaucratique. Hollande aurait également davantage tenu compte du Parlement. Mais il ne brusquerait pas les autres gouvernements pour autant, oh non ! Il «proposerait» que soit «collectivement mise en place une stratégie de sortie de la crise financière et que la Banque centrale prenne ses responsabilités (?)» Rien de tout cela n’a de sens précis : entre la politique de la planche à billets de Draghi, seule effective jusqu’à présent et la mise en place du Mécanisme européen de stabilité, sur lequel le parti socialiste s’est abstenu, les réalités européennes sont toutes éloignées des formules aussi elliptiques que consensuelles de Hollande.
Autre exemple : la défense de l’industrie et la politique économique, domaine où il entend faire preuve de volontarisme. Sur ce sujet, il renvoie dos-à-dos protectionnisme et libre-échange, disqualifie Sarkozy, mais aussi Bayrou et Mélenchon. Mais que propose-t-il ? «Fixer des objectifs de long terme pour nos filières d’excellence, engager un effort de recherche publique et privée pour les mettre en avant, mobiliser les financements pour les accompagner ... former les jeunes aux emplois de demain. Bref conclure un contrat pour l’industrie française.» Difficile de ne pas être d’accord. Mais encore plus difficile de dire ce que cela signifie concrètement ! Bah, tant qu’il est question de contrat, d’accord et de consensus ...
On pourrait continuer longtemps, parler des mains tendues à toutes et tous, aux électeurs du Front national comme à ceux d’un Mélenchon, qui «goûtait avec délectation sa qualité de sénateur de la République» (!), on en restera à cette formule qui colle au programme de Hollande comme un sparadrap aux semelles du capitaine Haddock, à propos d’Hadopi : «signer l’acte 2 de l’exception culturelle française». Cette succession de mots dénués de sens, qui prétend trancher entre les intérêts contradictoires des téléchargeurs en quête de gratuité et des titulaires de droits d’auteurs, n’est qu’une aimable tentative pour noyer un poisson dans l’eau trouble du jargon. Ce doit être cela, l’exception politique française ...
3 - Dans cette longue tentative pour n’effrayer personne et trouver le point d’équilibre du corps électoral en vue du second tour de l’élection présidentielle, François Hollande n’a qu’un ennemi et un adversaire.
L’ennemi, c’est la finance. Enfin ... c’est ce qu’on croyait jusqu’à ce que l’interview au Guardian ne vienne quelque peu contredire les développements du Bourget, repris dans ce livre qui a dû être mis sous presse avant l’entretien avec le journal anglais. Restera à Hollande, au minimum, à expliquer comment il fera boire un âne qui n’a pas soif et «prévaloir la production sur la finance et l’entreprise sur la banque», faisant mine d’ignorer que les activités de financement sont devenues des industries fortement employeuses de main d’oeuvre qualifiée ou non.
Passons maintenant à l’adversaire, le vrai sujet de cet ouvrage, même s’il est peu cité nommément : Nicolas Sarkozy. Sa barque est lourdement chargée, il fallait s’y attendre. Un peu trop lourdement même puisqu’on lui attribue 75 milliards d’euros annuels de «cadeaux fiscaux aux riches», montant que François Hollande a du, dans la confusion et la précipitation, rectifier à 75 milliards au total sur cinq ans, ce qui reste encore beaucoup trop si l’on en croit les pages Désintox de Libération lui-même ! Bah, peu importe. Car ce qui déplait chez le «candidat sortant» ce sont surtout ses «brutalités», ses «agitations», ses «abus», ses «transgressions» : ce qu’on lit à longueur de colonnes dans la presse de «gauche» depuis cinq ans et qui devrait suffire à ce que, crise économique aidant, le peuple lui coupe symboliquement la tête en mai prochain. En attendant que ces forces profondes fassent leur ouvrage, celui en papier de François Hollande fait surtout aujourd’hui office de remplissage.
En réalité, le candidat Hollande, depuis le début de sa campagne, donne l’impression, en bon technocrate, de se préparer à passer les épreuves de concours du président de la république : admissibilité en avril, admission en mai. Son livre au titre pompeux : «Changer de destin», est-il un clin d’oeil plus ou moins conscient à Mitterrand qui, en 1981, changea d’Estaing ? En tout cas, c’est une copie besogneuse qui ne vise qu’à obtenir la moyenne, sachant que l’autre concurrent sérieux a des handicaps très lourds et sera amené à prendre des risques périlleux pour lui-même.
Reste peut-être, quelque part, un facteur de surprise qui fait le sel de toute élection présidentielle ...
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