Pour les professionnels de l’indignation, les vicissitudes d’un peuple ne valent que dans la mesure où, et pour autant que, on puisse les imputer, de près ou de loin, à raison ou à tort, à Israël ou aux États-Unis.
Par Fabio Rafael Fiallo
Qu’il est assourdissant, le silence des Indignés et autres champions des causes humanitaires, sur ce qui se passe depuis des mois en Syrie ! Aucune grand-messe de protestation, comme celles que l’on voyait surgir de partout contre la guerre d’Irak. Pas non plus de flottille, comme celles qui ont tenté de franchir le blocus maritime de Gaza qu’Israël s’est vu obligé d’imposer pour empêcher le Hamas de faire entrer des armes destinées à des attaques terroristes. Bachar al-Assad, lui, peut tuer des milliers d’hommes, femmes et enfants, torturer à sa guise, aller chercher des blessés dans les hôpitaux pour les mutiler ou les achever, sans que des Indignés éminents ne prennent d’initiative pour mobiliser l’opinion.Quand on pense au tollé qu’avait provoqué l’opération Plomb durci lancée par Israël fin 2008 sur la bande de Gaza après avoir essuyé des milliers de missiles envoyés par le Hamas, et l’on voit maintenant l’absence de réaction massive contre la boucherie que mène le régime syrien contre son propre peuple, on ne peut qu’être sidéré par le deux poids, deux mesures de l’indignation facile. Quand on pense, en plus, qu’Israël prenait toutes les précautions possibles pour cibler les responsables d’attentats terroristes qui avaient installé leurs postes de commandement et leurs plateformes de tir au milieu ou dans les sous-sols d’écoles, d’hôpitaux et d’immeubles d’habitation afin de causer le maximum de pertes civiles lors de l’inévitable riposte d’Israël, alors que les troupes syriennes pilonnent sans ménagement des villes entières, tirent sur des civiles désarmés ou même vont les chercher maison par maison, voire dans les hôpitaux, et que cela n’émeuve guère ou n’émeuve point nos bonnes consciences, il faut conclure qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’Indignation.
Il aura fallu attendre novembre 2011, et donc des milliers de morts et de tortures, pour que l’Indigné en chef, c’est-à-dire Stéphane Hessel, se décide finalement à condamner la répression en Syrie pendant un événement public. Et cela, Hessel ne le fait pas dans le cadre d’un rassemblement consacré à soutenir le peuple syrien. Non, sa tardive prise de position intervient par ricochet, en réponse à une question qui lui fut formulée à Genève lors d’une soirée organisée par l’association « Enfants de Gaza » et dont l’objectif essentiel était de permettre à Hessel de renouveler ses attaques diffamatoires contre Israël et de faire la promotion d’une version convenablement revue et augmentée de son opuscule – une version qui incorpore à la va-vite une référence (aurait-il pu s’en dérober ?) au malheur syrien.
Avouons que comme service minimum à l’égard des Syriens, Hessel et ses Indignés n’auraient pas pu faire moins, ni plus tard.
Silence radio, également, à l’égard du peuple cubain, envers qui la solidarité est une denrée inexistante, car ses souffrances ne cadrent pas avec les visées antiaméricaines des donneurs de leçons de morale tout à la gauche acquis. Les habitants de l’île rouge peuvent vivre muselés des décennies durant, un demi-million d’entre eux ayant connu (cf. l’ONG Freedom House) les prisons et les chambres de torture du régime castriste, les dissidents y peuvent crever dans des geôles immondes ou subir des emprisonnements répétés, les morts par grève de la faim peuvent se succéder, sans que cela ne suscite ne serait-ce qu’un début de mobilisation des donneurs de leçons de morale.
Et quand les « Dames en Blanc », ces braves femmes qui sortent habillées en leur couleur éponyme dans les rues de La Havane et de province pour secouer les consciences et crier leur soif de liberté, et que des sbires du régime viennent systématiquement à leur encontre pour cracher sur elles, les gifler, les tabasser, alors la multitude des protestataires qui pullulent dans ce monde ne trouve ni raison ni intérêt pour exprimer le moindre dégoût.
Pour les professionnels de l’indignation, les vicissitudes d’un peuple ne valent que dans la mesure où, et pour autant que, on puisse les imputer, de près ou de loin, à raison ou à tort, à Israël ou aux États-Unis.
Les Indignés de toutes sortes ont pris la relève des pacifistes des années 80, qui organisaient des manifestations faramineuses contre les missiles américains Pershing déployés en Europe occidentale, mais jamais contre les SS-20 soviétiques installés de l’autre côté du Rideau de fer.
Et de même que les Polonais, les Tchèques, les Hongrois ou les Allemands de l’Est, maintenant débarrassés du joug soviétique, ne doivent rien, strictement rien, aux pacifistes d’hier, ainsi les Syriens et les Cubains – comme d’ailleurs les Libyens – n’auront demain aucune dette de gratitude à solder envers les Indignés d’aujourd’hui.