Emmanuel Rivière : « Hollande, Sarkozy et le peuple »

Publié le 24 février 2012 par Cahier

 

Délits d’Opinion : TNS SOFRES interroge régulièrement les Français sur les qualités perçues des candidats. Vous venez de sortir la dernière étude. Entre les deux principaux prétendants, qui sort gagnant ?

Emmanuel Rivière : Le comparatif est clairement favorable à François Hollande. A travers notre questionnaire, 7 dimensions sont testées. Nicolas Sarkozy ne l’emporte que sur 1 d’entre elle : « la capacité à prendre des décisions ». Il fait jeu égal sur le volontarisme. Sur tous les autres aspects, François Hollande est clairement devant. Sur les items « sympathique, chaleureux », « inspire confiance », le candidat PS est très bien noté. Il semble qu’il ait créé une relation avec les Français. Ces dimensions ne sont pas seulement cosmétiques : elles ont été un avantage pour Jacques Chirac, successivement face à Edouard Balladur ou Lionel Jospin.

Autre avantage pour François Hollande : ses points de force correspondent à des lacunes perçues de Nicolas Sarkozy. Seul un Français sur trois trouve que Nicolas Sarkozy « inspire confiance » ou « comprend les problèmes des français ». A contrario, là où le Président sortant est fort, François Hollande ne s’en tire pas trop mal : 60% des gens estiment aussi le candidat socialiste « capable de prendre des décisions ». Ainsi, sur les dimensions relationnelles et dans la proximité avec les français, François Hollande l’emporte. Et sur le leadership et la capacité à prendre des décisions, le Président Sarkozy est devant, sans que François Hollande ne soit pour autant discrédité.

Nicolas Sarkozy peut-il redresser la barre sur ces traits d’images ?

Emmanuel Rivière : Du côté de Nicolas Sarkozy, on peut penser qu’il n’y a plus guère d’illusions concernant cette « bataille d’image ». Ce qui n’empêche pas d’attaquer l’image d’honnêteté et de sincérité de François Hollande en disant qu’il « ment du matin au soir ». Le camp du Président Sortant fait un pari : que les capacités à gouverner, à prendre des décisions, et sur lesquelles Nicolas Sarkozy a un avantage, finiront par peser dans les circonstances particulières que nous vivons. C’est un pari risqué : penser que la raison va prendre le dessus sur le cœur. Il n’est pas si évident que les élections présidentielles se jouent d’abord sur ces leviers rationnels. Si cette stratégie peut fonctionner auprès du centre – et l’on observe d’ailleurs un mouvement chez les électeurs centristes en faveur du candidat UMP-, il semble que les électeurs du FN demeurent assez hermétiques. Si les indicateurs ne bougent pas significativement, cela risque de devenir très compliqué. Le « parler peuple » fonctionnait en 2007. Quand Nicolas Sarkozy parlait, les électeurs des catégories populaires tentées par le Front National pouvaient avoir l’impression de s’entendre eux-mêmes. Cette proximité fait défaut aujourd’hui. Et il n’est pas sûr qu’un discours de raison permette de corriger e tir.

Le candidat Sarkozy a-t-il bénéficié d’un effet « lancement de campagne » ?

Emmanuel Rivière : quand on regarde ce qui s’est passé lors des élections précédentes, il serait tout aussi faux de nier des « effets lancement de campagne », que de les surestimer. Quand je regarde notre enquête effectuée après l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, les lignes n’évoluent pas franchement. On note néanmoins une progression sur la capacité à rassembler au-delà de son camp. Et notamment auprès des sympathisants du Modem. Le candidat profite de l’image donnée d’un Président qui accomplit sa tâche jusqu’au bout, et qui se veut responsable face aux déficits. En revanche, les effets de la droitisation de la campagne n’ont pas forcément produit tous leurs effets au moment de notre enquête.

Par rapport à la même enquête conduite en novembre, les derniers résultats demeurent stables pour François Hollande, hormis l’item « comprend bien les problèmes des Français », qui progresse significativement. Mais la situation est différente pour lui : il avait beaucoup progressé entre juin et novembre, à la faveur de la primaire. En janvier, le candidat socialiste a davantage passé un test auprès des commentateurs, journalistes qu’envers la grande opinion qui n’a fait que confirmer son point de vue globalement favorable.

Comment analysez-vous les styles de campagne adoptés ?

Emmanuel Rivière : Il y a clairement deux postures : une stratégie offensive chez Nicolas Sarkozy, qui a fortement remobilisé ses troupes. Et du côté de la gauche, on entend un discours de refus de l’affrontement direct, qui prétend se situer au dessus des querelles. Si elles se confirment et s’affirment ces deux postures vont être confrontées à l’état d’esprit des Français. Selon que le peuple aspire à plus de réconciliation, d’apaisement ou au contraire souhaite de l’énergie et exige une demande de corrections, notamment dans des comportements jugés non acceptables, un des deux candidats sera favorisé.

En 2007 on avait une promesse d’efficacité et de volonté contre une promesse de concertation et consultative. L’idée participative a échoué face à la détermination de Sarkozy. Si le climat est comme en 2007, ce dernier peut également l’emporter. Si le peuple est d’abord en quête de réconciliation, c’est plus risqué pour lui. Un certain nombre de signaux laissent à penser que le climat aujourd’hui n’est plus le même qu’en 2007.

François Hollande vient de publier « Changer de destin ». Emmanuelle Mignon peaufine l’ouvrage de Nicolas Sarkozy. Un livre peut-il encore changer la donne ?

Emmanuel Rivière : Dans le brouhaha actuel où une information chasse l’autre, je ne crois pas qu’un livre puisse changer grand chose. C’est un passage obligé, un rituel comme le salon de l’agriculture. Celui qu’avait publié Nicolas Sarkozy pour la campagne de 2007 avait eu un impact, car il avait été publié très en amont. De la même manière, Jacques Chirac, en publiant en deux temps « une nouvelle France » dès 1994, puis « la France pour tous » qui deviendra son slogan, dans une stratégie de long terme qui constituait une pierre angulaire de son repositionnement. Cela correspondait à une prise de hauteur. C’était aussi une manière d’occuper le terrain dans un contexte compliqué en tant que candidat naturel concurrencé par Edouard Balladur.

Enfin, François Bayrou a-t-il mangé son pain blanc ?

Emmanuel Rivière  : Il dispose en théorie d’un contexte favorable : un électorat de centre-droit qui veut éviter de voter pour Nicolas Sarkozy au premier tour. Et par ailleurs une droitisation de la campagne qui pourrait lui ouvrir un peu d’espace. Un point fait obstacle : l’histoire se répète rarement. A la suite de son exploit de 2007, il a beaucoup déçu, notamment dans une stratégie très personnelle.

Nous avons effectué un sondage pour Dimanche + sur les candidats pour lesquels les français ne pourraient certainement pas voter. Etonnement, alors que son positionnement devrait l’amener à occuper la meilleure place, il est situé entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. François Bayrou a amélioré son image, mais les questions sur son aptitude à gouverner 2007 demeurent : avec qui mène t-il les rênes du pouvoir ? Que peut-il faire concrètement de différent face à la crise ?

Au final, parmi les trois protagonistes qui ont tant fait envie en 2007, Ségolène Royal a été sanctionnée par son élimination lors des primaires primaires. Malgré un net redressement de son image François Bayrou semble parti pour échouer au premier tour. La logique se poursuivra-t-elle jusqu’à sanctionner Nicolas Sarkozy au second tour ? C’est ce que mesurent pour l’instant les sondages. Tout se passe comme si l’opinion voulait faire payer aux trois vedettes de 2007 les déceptions qu’elles ont suscitées au cours du quinquennat.

Propos recueillis par Matthieu Chaigne