Post sociale-démocratie : laisser agir la philanthropie privée

Publié le 24 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Par quoi remplacer la redistribution publique qui ne fait plus face à ses engagements ? Qui, autre que l’État tutélaire, pourrait prendre le relai ? Au cœur de la crise qui secoue l’Europe, il nous faut redorer le blason du don et du leg volontaire.

Par Jean-Pierre Chamoux, Président de l’Institut Turgot

Dans un essai paru en fin 1981, Pierre Rosanvallon annonçait « La crise de l’État-Providence ». En réalité, il n’en était rien : l’État-Providence subissait seulement une poussée de croissance ; l’histoire des années Mitterrand l’a prouvé ! Mais, sous la plume d’un homme connu pour son engagement à gauche, ce titre était provocateur pour le régime socialiste qui ressentait les premiers effets de ses largesses électorales.

Aujourd’hui, la crise étant consommée, il est temps de revenir sur l’argumentation de cet ouvrage et de lui opposer une vision libérale de la Providence !

Peu de temps après la victoire de l’union socialo-communiste, en mai 1981, des difficultés politiques et financières secouaient le nouveau gouvernement. Rosanvallon, avec un peu d’avance sur la maturation ultérieure des phénomènes sociaux et politiques, posait une question que, pour notre part, nous ressentions depuis longtemps et qui est aujourd’hui d’actualité :

L’État-Providence peut-il rester… l’unique agent de la solidarité sociale ?

Tout en portant son estocade, il poursuivait un peu peu plus loin :

la perspective libérale… ignore cette dimension du problème… Elle se contente d’opposer les vertus du marché aux rigidités de l’État redistributeur.

Il sentait, avec un peu d’avance sur ses collègues, que la redistribution finirait par épuiser un jour l’État ; il proposait donc de prolonger l’État-Providence par un tissu de solidarités sociales décentralisées qu’il qualifiait comme une « post-social démocratie » ; il suggérait, et il a continué de le faire sous des formes complémentaires depuis lors, non pas de restreindre la redistribution politique dont il constatait la saturation, mais de la transférer à des échelons territoriaux, en-deçà de l’État dont il imaginait, à juste titre, qu’il ne pourrait pas éternellement prendre en charge la société entière sans se détruire lui-même !

Trente années ont passé depuis cet essai ; la crise se développe avec une rapidité et une force qui en a surpris beaucoup mais qui ne devrait pas étonner : car, si prendre pour redistribuer ne crée aucune richesse, cela en consomme au contraire d’autant plus que le prélèvement est plus grand ; ce qui arrive aujourd’hui à l’État français, à l’État grec ou à l’État portugais est bien, effectivement, la concrétisation de la menace imaginée par Rosanvallon en 1981 ; cette menace est si pressante qu’elle risque d’étouffer la société, un risque bien plus réel qu’en 1981 !

Confrontée à la menace d’un raz de marée, la démocratie distributive devrait abandonner ses réflexes démagogiques ; malheureusement, elle nie tout simplement le risque, comme dans les années 1930 au moment de la « Grande dépression » ; à quelques exceptions près, les gouvernements européens sont englués dans la poursuite de solutions aussi complexes qu’inefficaces pour tenter d’échapper à la crise, tandis que la faillite grecque (et quelques autres) est manifeste !

Soyons clair : notre État-Providence est en butée ; Rosanvallon renvoyait la redistribution à l’utopie auto-gestionnaire et à la décentralisation dont les moyens, en France, viennent surtout de l’État ! Or cet État est en dépôt de bilan ! Le consensus mou qui rassemble les démo-chrétiens, les réformistes, une grande partie des néo-gaullistes et des sarkozistes affirme que l’État peut encore élargir ses largesses ! Ce consensus est trompeur car, aujourd’hui, la solidarité instrumentée par l’État et par ses démantèlements est condamnée à faillir !

Se pose dès lors la vraie question politique : par quoi remplacer la redistribution publique qui ne fait plus face à ses engagements ? Qui, autre que l’État tutélaire, pourrait prendre le relai ?

En d’autres termes : au delà des oppositions entre droite et gauche, que Rosanvallon et d’autres s’efforcent d’entretenir, la très grande majorité des politiques français continue d’affirmer la capacité distributrice de la puissance publique ; les uns comme les autres affirment que, sans l’État, nul ne peut répartir la richesse ni diffuser le bien-être ; tous semblent également persuadés de l’impuissance des personnes ou des institutions privées à poursuivre autre chose qu’une quête égoïste !

Mais tous se trompent, intoxiqués qu’ils sont, sans doute, par leur propre discours ! Ils affirment, comme Rosanvallon :

le scénario libéral… implique automatiquement un retour en arrière… il est lié à un déficit de légitimité… même si sa force d’attraction sur les classes moyennes n’est pas négligeable… ce scénario n’aurait de sens que… au détriment exclusif de la minorité la plus démunie de la population.

Je crois utile de prouver que cette affirmation est inexacte ; d’illustrer, notamment par des exemples nombreux et variés, que la générosité philanthropique est une source sure et durable de redistribution ; d’associer cette forme de générosité altruiste aux phénomènes économiques qui les rendent possibles, qui sont des mécanismes de marché et d’échange ; de rappeler la variété et le caractère foisonnant des innombrables fondations privées que dotent, à travers le monde, tant d’hommes d’affaires et de personnalités soucieuses d’entretenir, au-delà de leur mort, le bienfait d’une éducation, d’une formation professionnelle ou d’une création artistique auxquelles ils dévouent leur fortune ! De faire le compte de ces bienfaits et de leur effet sur le développement humain, par exemple en Inde ou en Corée où des universités privées sont mieux dotées et plus efficaces que les universités d’État !

Je résume : au cœur de la crise qui secoue l’Europe – et qui fait aussi souffrir l’Amérique – il nous faut redorer le blason du don et du leg volontaire, rendre son rôle social à la liberté de doter, contredire les affirmations trompeuses que je viens de citer et en prouver la partialité : les donateurs publics s’épuisent, sans compter qu’il sont soumis à un marché politique qui oriente leur action vers des buts politiques parfaitement égoïstes, ceux de la conquête des voix.

Les donateurs privés, au contraire, sont divers, multiples et concurrents les uns des autres ; si l’un s’épuise d’autres prennent le relais ; si l’un dit blanc, l’autre dira noir ; si l’un est chrétien, l’autre sera musulman etc. Cette diversité, qui est celle de la vie même, est la meilleure garantie contre les aléas du futur que les politiques publiques ont bien du mal à contrer : nous en avons un exemple criant avec la crise qui nous frappe depuis trois ans, crise que les politiques s’avèrent incapables de conjurer car c’est leur propre prodigalité qui en est, en réalité, la cause profonde !

Le don privé est durable ; il est décentralisé ; lui seul peut être vraiment altruiste car il agit ! Il faut donc lui ouvrir l’avenir et le laisser agir librement !

C’est l’un des thèmes que des institutions comme la notre s’efforcent d’introduire dans le débat public.

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