«Pendant quatre jours et quatre nuits, on entendait comme des bruits de vaisselle cassée»
Josée Massé est horticultrice au Jardin botanique de Montréal. En octobre 1997, elle et son conjoint font l’acquisition d’une maison et d’un terrain à Saint-Pie (située aux abords de Saint-Hyacinthe), au cœur du funeste Triangle noir de la Montérégie, si touché par le «black out» électrique consécutif au verglas. Leur habitation, qui donne sur la rivière Noire, est cernée par huit beaux grands arbres - érables rouges, érables à Giguère, épinettes, bouleaux - le tout dominé par un majestueux peuplier deltoïde dont la couronne ondulait au vent au bout de ses 30 mètres.
À partir du 5 janvier 1998 – début de la tempête - et pendant les quatre jours et quatre nuits qui suivent, le couple aura eu du mal à vivre et à dormir, c’est le moins que l’on puisse dire. «On entendait continuellement comme un bruit de vaisselle cassée, se rappelle Josée Massé; c’était les branches des arbres, emportées par le poids immense du verglas, qui tombaient à fréquence régulière.»
Au pire de la crise, ce fut comme si le paysage tout entier s’était effondré autour d’eux: dans l’aventure, quatre des huit arbres matures qui ornaient depuis des décennies sa résidence rurale seront emportés. Mais curieusement, pas tous en même temps, le verglas pouvant faire des morts à rebours…
Chronique d’une mort annoncée
«J’en ai d’abord perdu deux sur le coup, qui ont été complètement fauchés, fendus dans la fourche», dit-elle. Il fallait s’y attendre: par manque d’émondage éclairé durant leur croissance, ces arbres avaient formé une ramure déséquilibrée, qui les rendait vulnérables. Quelque deux ou trois ans plus tard, un 3e arbre est devenu la proie de polyspores (champignons en forme de galette qui envahissent agressivement l’écorce). «Le verglas l’avait fragilisé, et rendu vulnérable à la maladie: il a fallu l’abattre, dit l’horticultrice.»
Comble de malchance, l’immense peuplier deltoïde d’une trentaine de mètres, qu’on pensait épargné, devra être abattu dans les prochaines semaines. Autre séquelle, à long terme, du verglas? «Je ne peux pas en être absolument certaine, confie la jeune femme, car l’arbre était déjà creux en son centre.»
Comment s’était-il comporté durant le verglas? «Il avait effectivement perdu d’assez grosses branches, mais pas au point de nous amener à le couper. Visuellement, il était assez bien et continuait, année après année, à produire des feuilles. Mais malgré tout, du fait d’un certain déséquilibre dans sa couronne, on avait fait un gros travail d’émondage il y a trois ans (qui avait diminué de 10 mètres environ sa hauteur), car notre voisin immédiat craignait qu’il ne s’effondre sur son garage, si un nouveau verglas survenait.»
Il y a deux ans, sa santé a soudainement périclité. «Il a commencé à perdre son écorce et le phénomène ne s’est jamais résorbé: l’arbre est donc en train de s’éteindre. Il sera mis à terre avant la fin de l’hiver.» Peut-on parler ici d’un exemple de choc post-traumatique «végétal»?
«Dans certains cas oui, mais pas dans le cas des peupliers deltoïdes, c’est certain, dit Bruno Boulet, pathologiste forestier au ministère des Ressources naturelles à Québec. D’abord parce que ces arbres sont très sensibles à la carie des racines, et la description que sa propriétaire en fait se rapproche de ça. Ensuite, il faut savoir que chaque arbre a une durée de vie limitée; pour les peupliers deltoïdes, c’est entre 30 et 110 ans, dépendant des conditions du sol, etc. Il est fort probable que l’arbre avait atteint la fin de sa vie.»
«N’empêche que je vois encore plein d’effets du verglas, quand je marche dans les forêts des alentours, confie l’horticultrice dont l’œil est rompu à ce genre de choses. Les arbres en général sont moins beaux, il y a une esthétique de la forêt qui a été emportée dans la tempête, et qui n’est pas encore revenue. Qu’importe: je n’ai pas cessé, depuis 10 ans, de replanter arbre après arbre …» Pour la suite du monde, aurait dit Pierre Perrault.