En arrivant à la caisse, à mon « Une place pour La désintégration s’il vous plait », l’homme caché dans sa cabine me dit en désignant un panneau affiché sur sa vitre « Vous avez vu, on n’a pas de chauffage dans la salle 1 ». Ayant couru ces 45 dernières minutes pour arriver juste à l’heure à cette séance pour laquelle j’avais longuement hésité, je répondis sans sourciller « Ah. Ok » avant de m’enfoncer dans la salle. De toute façon, il fera moins froid que dehors, me dis-je. Les quelques personnes déjà installées dans la salle me semblaient même un peu ridicules, calées au fond de la salle sans avoir enlevé leurs manteaux.
Je tiquai par contre à l’instant où je mis un pied dans la salle, y reconnaissant immédiatement celle où j’avais (donc) vu un an et demi plus tôt Biutiful. Les spectateurs étaient rares, la séance sur le point de commencer, c’est bon, je ne devrais pas être trop dérangé pendant le film cette fois-ci. Peu avant que la salle ne s’éteigne, une grand-mère toussant s’installa le rang derrière moi pendant que sa petite-fille qui l’accompagnait, la vingtaine, lui disait que non, elle ne savait pas quand le téléfilm dans lequel elle venait de jouer allait passer et que de tout façon elle ne voulait pas que sa grand-mère le regarde car c’était trop mauvais, comme tous les téléfilms français.
Mais non, la toux de la grand-mère n’a pas perturbé ma séance. Ni finalement ce grand mec de près de 2 mètres qui alla s’installer au second rang au même niveau que moi, mais dont la grande taille cachait, malgré les 3 rangs d’écart, une sacrée portion du bas de l’écran (ouf, il se tassa vite !). Non, en revanche, ce qui me resta en travers de la gorge fut ce spectateur qui, arrivant en retard alors que le film était commencé depuis deux ou trois minutes, vint s’asseoir exactement devant moi, alors que le rang sur lequel il s’installa était aussi vide que le mien. Après avoir lâché un nom d’oiseau et avoir donné un petit coup bien senti dans son dossier pour lui faire comprendre qu’il avait quelqu’un juste derrière lui, j’analysais, devant sa flagrante indifférence, mes possibilités de repli. Si mon rang était vide, celui de derrière ne l’était pas. A ma gauche, la grand-mère toussant et sa petite-fille actrice. A ma droite, un couple arrivé en même temps que moi. Me décaler pour éviter le mec de devant reviendrait à leur imposer ma présence. M’y refusant, et constatant que le retardataire s’était tout de même suffisamment tassé dans son fauteuil pour que seule une mèche déborde sur l’écran, je décidai de rester à ma place.
Il faut bien préciser qu’avec sa pente ascendante, la salle 1 du St-Lazare Pasquier laisse peu de confort à une salle qui se remplit, les têtes devant soi devenant vite une ombre envahissante sur l’écran. Mais bon, il m’apparut que celle-ci serait finalement discrète. En revanche, une fois que mon attention pu enfin bien se recentrer sur le film, je me mis petit à petit à me souvenir du détail de l’absence de chauffage dans la salle. Car au fil des minutes, il apparaissait de plus en plus clair que j’allais sérieusement me cailler les miches, comme tous mes cospectateurs, devant La désintégration. Vite, faire de son manteau une couverture dans laquelle se blottir. Okay. C’est bon. Ca marche… quelques minutes. Car désormais ce sont les jambes qui commencent à dépérir. Je ne peux pas à la fois sérieusement me blottir dans mon manteau et me couvrir les gambettes. L’écharpe ! Je peux toujours me réchauffer les cuisses avec mon écharpe ! C’est parti ! Pas mal. Ca marche à peu près.
Mais bientôt ce sont les pieds, et là, les solutions sont épuisées. Mes pieds gèlent. Lentement, mais sûrement. Il ne manque plus que, de temps en temps, une remontée de tête devant moi, qui m’oblige à me redresser, et du coup à déplacer mes couvertures de fortune, et donc à me réinstaller correctement en replaçant bien mon manteau et mon écharpe pour maximiser mon chauffage brinquebalant. Quelle gymnastique !
Heureusement, comme la veille 10 hivers à Venise, La désintégration transcende aisément ce qui peut bien se produire dans la salle. Et cette exploration posée et pourtant explosive de cette jeunesse se laissant convaincre qu’elle n’a pas sa place dans la société française et dès lors manipuler vers un extrémisme implacable laisse une empreinte forte sur la rétine. J’en ai même oublié que j’aurais pu parfaire ma protection hivernale d’intérieur en sortant mon bonnet et mes gants. Je tâcherai d’y penser si je retourne au St-Lazare Pasquier dans les jours qui viennent.