Pour aller voir les marchés flottants, il vaut se lever tôt. À 4h30 ce matin, nous ouvrons donc péniblement les yeux. Mukani, notre guide, vient nous chercher à 5h.
Sur le chemin qui nous mène au bateau, il nous explique un tas de choses. L’histoire de Banjarmasin, sa population, son évolution, son économie… Une vraie encyclopédie ! A 5h du matin évidemment, c’est un peu dur d’encaisser tous ces chiffres, mais je suis ravie de voir qu’il prend son rôle de guide très au sérieux et qu’il en connaît un rayon.
Le trajet en canoë à moteur dure une petite heure. C’est le lever du soleil, les rives du fleuve Martapura s’éveillent tout doucement, la lumière est très jolie.
Il faut partir tôt pour arriver au marché en même temps que les vendeurs et les acheteurs. De cette façon, on se retrouve au milieu de leurs bateaux, et on vit le marché de l’intérieur. Surtout que la taille de notre bateau nous le permet. Nous avons vu des gros bateaux rester à l’extérieur du cercle, contraints d’observer de loin.
Nous arrivons à 6h30 au marché de Lok Baintan. Les premières barques sont déjà là, essentiellement dirigées par des femmes qui parcourent chaque matin plusieurs kilomètres pour venir jusqu’ici, à la force de leurs petits bras tout frêles. Car souvent, elles ne sont plus toutes jeunes ces petites bonnes femmes !
La peau burinée, les yeux plissés, le sourire parfois édenté, coiffées d’un fichu ou d’un chapeau pointu, elles pilotent leurs petites barques avec agilité, pour proposer leurs produits. Oranges vertes, bananes, citrons verts, noix de cocos, feuilles de bananier, crevettes, poissons, poulets… Il y a aussi quelques hommes bien sûr.
Ce moment est d’une beauté extrême. Il y a d’abord la lumière : le soleil de début de matinée se reflète sur le fleuve et semble raviver toutes les couleurs. Et puis, les couleurs justement : celles des fruits et légumes, mais aussi celle des vêtements, fichus et chapeaux, celle des barques, du fleuve, et de la végétation alentours. Ça donne un patchwork multicolore très lumineux.
La beauté de ces femmes est saisissante aussi. Pas forcément pour leur physique, mais pour ce qui se dégage d’elles. Quelque chose qui tient au courage, à la volonté et à l’humilité. Certaines nous regardent curieusement, d’autres nous lancent de larges sourires. Elles ont les yeux qui brillent.
Et puis il y a une grande sérénité dans ce lieu, qui participe aussi à la beauté dont je parle. Je m’attendais à une sorte de marché à la criée, comme ceux qu’on connaît bien en France : « Qui veut mes beaux poissons ? J’vous fais un bon prix madame pour ces 2 dernières barquettes de fraise ! ». Ici, tout se passe presque en silence : les acheteurs palpent les produits, demandent le prix, négocient un peu, concluent ou non l’affaire, puis se dirigent vers une autre barque. Les petits canoës en bois s’entremêlent tranquillement.
En France, un tel principe me semble impossible. Tout le monde se ruerait pour passer le premier, d’autres pesteraient après l’idiot qui a osé rayer la coque de leur bateau. La vraie foire d’empoigne !
Nous restons là environ une heure, au beau milieu de cette magnifique beauté, complètement intégrés à la vie du marché. Pendant que Jean-François prend des photos, et que je regarde béatement toutes ces femmes, Mukani nous raconte les marchés flottants.
Il nous offre même quelques beignets de patate douce, qu’une petite bonne femme fait frire sous le auvent de sa barque. C’est délicieux !
Sur le chemin du retour, la vie s’active sur les bords du fleuve. Certains font la lessive ou étendent le linge, d’autres se douchent, les enfants font les fous. La vie est essentiellement tournée autour de l’eau. Les baraques en bois et toit de tôle sont posées sur pilotis, entre les arbres et le fleuve.
Il se dégage une atmosphère paisible et heureuse, même si je sais bien que les gens qui habitent ici vivent chichement. Ils n’en ont pas moins le sourire aux lèvres et le bonjour facile. Qu’ils soient devant leur maison ou sur un bateau, nombre d’entre eux nous saluent avec de grands signes, en nous montrant toutes leurs dents !
De retour à l’hôtel, on demande à Mukani s’il y a moyen de changer des euros un dimanche, vu que les banques sont fermées. Il appelle quelqu’un qui nous propose un taux peu satisfaisant. Mukani nous arrange alors l’affaire. Il nous propose de faire la transaction avec un de ses riches amis chinois (tiens, comme à Pangkalanbun, les Chinois font du change ici), qui nous fait un taux à 12 000 Rp. D’un coup de mobylette, Mukani va chercher nos rupiahs et revient dix minutes plus tard avec 3,6 millions, contre lesquels nous lui donnons 300€.
Avant de prendre congé, nous lui expliquons que le trek à Loksado est trop cher pour nous, que nous allons essayer de nous débrouiller tout seuls sur place, et que nous partons cet après-midi même pour Kandangan.
Mukani n’est pas vexé, il comprend bien. Il est déjà content qu’on ait fait appel à lui pour le marché. Et on suppose qu’il va se prendre une commission au passage sur la petite opération de change.
On discute alors de sa condition. Il nous explique sa difficulté à trouver des clients, et à quel point c’est une fierté pour lui de subvenir aux besoins de sa famille. Pour entrer en contact avec les clients, il a passé un deal avec l’hôtel SAS. Dès qu’un touriste se pointe, l’hôtel lui passe un coup de fil, et quelques minutes plus tard, il débarque et propose ses services. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé devant nous à la réception hier. Sur une virée au marché flottant qu’il nous vend 300 000 RP (24€), l’hôtel récupère 50 000. Mukani pense qu’il trouverait plus de clients s’il avait un site web, mais il n’a pour l’instant pas les moyens de le financer. Son discours n’est pas du tout misérabiliste, il nous explique simplement sa situation.
Nous lui proposons de le recommander sur Internet dès notre retour en France, sur des sites comme TripAdvisor ou autres, et sur ce blog. Il est tout content et nous laisse son adresse e-mail.
Il me rédige avec plaisir un mot de remerciement pour la famille qui nous a offert le dîner hier soir et nous propose de le contacter si jamais on a besoin de quoi que ce soit. Nous nous disons au revoir chaleureusement, Mukani nous serre la main puis nous prend fraternellement dans ses bras.
⊕ Infos pratiques
Visite des marchés flottants en bateau : 4h, 300 000 Rp pour deux personnes.
Guide : Mukani / +62 813 5150 0500 (portable) / [email protected]