Départ à 9h pour Negara. Nous grimpons à neuf dans une petite Ford Capri. On est serrés là-dedans, mais le trajet ne devrait pas durer plus d’une heure.
Et puis la promiscuité crée des liens. Notre voisin engage la conversation en nous demandant si l’on parle indonésien. Réponse habituelle : « Sedikit, sedikit » (« Un petit peu »). S’ensuit alors une longue série de questions réponses, et on se donne du mal pour tenir la route avec notre petit guide de conversation. Une question qui revient souvent : « Vous êtes de quelle religion ? ». Presque partout, on nous interroge à ce sujet. Apparemment, c’est une pratique courante ici, la religion n’est pas un sujet tabou.
L’autre question récurrente : « Est-ce que c’est votre mari / votre femme ? ». Là en général, on répond oui, c’est plus simple. Allez expliquer que vous vivez ensemble depuis dix ans mais que vous n’êtes pas mariés… Et dans la foulée évidemment : « Vous avez des enfants ? ». Bon là on ne peut pas vraiment mentir. Mais le bahasa est plus optimiste que le français. On répond rarement un « non » franc. À la place, on utilise « pas encore » (belum) ; ça laisse la place à l’éventualité, et ça passe beaucoup mieux !
Nous arrivons à Negara, petit village entièrement sur pilotis, au bord de la rivière du même nom. Les locaux nous voient sortir de la voiture et s’approchent avec curiosité. Ils nous parlent à toute allure, nous observent, nous prennent en photo avec leurs portables. On a l’impression d’être des stars de cinéma !
Nous avons rendez-vous avec Wardi, un boatman recommandé à Banjarmasin par Guntur. Nous le savons, Wardi ne parle pas un mot d’anglais, il va falloir assurer ! Il nous attend devant la mosquée. Nous ne savons pas à quoi il ressemble, du coup, lorsqu’un homme s’approche de nous en souriant, nous lui demandons « Vous êtes Wardi ? ». Il nous répond oui. Nous échangeons quelques phrases au sujet du bateau et des buffles, et quand l’homme commence à se renseigner autour de lui sur les buffles, nous comprenons que ce n’est pas Wardi ! Gros malentendu… Mais pourquoi a-t-il répondu oui lorsque je lui ai posé la question ? Bon, je me suis peut-être mal exprimée…
Nous prenons congé poliment et rejoignons Wardi un peu plus loin, qui nous attend devant son bateau. Cette fois c’est bien lui. Nous grimpons à bord de sa longue barque en bois à moteur couverte d’un auvent. Wardi n’est pas très bavard, mais vu que l’ambassadeur lui a expliqué ce qu’on voulait, on suppose qu’il sait où il nous emmène.
Nous naviguons le long des maisons sur pilotis. Cette rivière ressemble à une rue, où les bateaux à moteur et les simples barques remplacent les voitures. Le décor est un peu le même que sur le fleuve Martapura à Banjarmasin (voir l’article Banjarmasin et ses marchés flottants) : la vie s’organise autour de l’eau. Devant les maisons en bois, des petites guitounes servent de toilettes. Les femmes s’affairent dehors, les enfants jouent, les gens sont parfois simplement assis là à regarder les bateaux passer. La vie semble paisible ici.
Wardi nous conduit au bout d’un bras de la rivière, puis semble nous indiquer qu’il fait demi-tour. On a pourtant l’impression que là où on se trouve, on n’est pas loin des marais où les buffles viennent paître. Confiants, nous acquiesçons de la tête. Lorsqu’on arrive à l’autre extrémité, Wardi nous fait bifurquer sur un autre bras de rivière, en nous lâchant à nouveau une phrase qui semble nous indiquer quelle direction il prend.
Pendant deux heures, nous visitons les différents canaux de Negara, en faisant des va-et-vient. Puis retour au point de départ, Wardi nous dépose, content de lui. Grosse incompréhension de notre côté… « Di mana kerbau ? Kami mau lihat kerbau. » (« Où sont les buffles ? Nous voulons voir les buffles »). Wardi se lance dans une explication qui nous échappe totalement… On se sent un peu bêtes, impuissants ! On sait pourtant qu’il ne cherche pas à nous arnaquer, sinon Guntur ne nous l’aurait pas conseillé. Devant notre incompréhension, Wardi se met à parler plus lentement, en insistant sur le mot « après-midi ». Il est midi, peut-être que les buffles ne sont visibles que l’après-midi ? Dans le doute, nous passons un rapide coup de fil à Guntur, pour lui demander de faire l’interprète.
C’est bien ça. Pour aller voir les buffles qui rentrent des pâturages, il faut partir de Negara vers 15h30, de façon à être aux étables sur le lac vers 17h. Wardi propose de nous retrouver plus tard et de nous y emmener. C’est un peu bizarre, l’ambassadeur qui s’est occupé de réserver les services de Wardi avait pourtant bien précisé qu’on voulait voir les buffles… Tant pis, nous allons visiter Negara, dans la chaleur écrasante de la mi-journée. Et vue la taille du village, il va falloir tuer le temps.
Le mieux à faire : se poser quelque part pour boire un verre. On avait grignoté un peu sur le bateau, ne sachant pas à quelle heure notre excursion se terminerait. Du coup, on n’a pas vraiment faim. En déambulant dans les ruelles de Negara à la recherche d’un warung (petit resto de rue), tout le monde nous salue en souriant. On finit par approcher un groupe de femmes et d’enfants pour demander notre chemin.
On nous propose spontanément de nous conduire au warung situé un peu plus loin. Nous voilà donc escortés ! Non contents de nous avoir accompagnés, les femmes et leurs enfants restent là, et nous regardent avec curiosité, en souriant. Installés sur les bancs du warung, nous assistons pendant presque deux heures au défilé des villageois. Visiblement, ils se sont passé le mot ! On nous pose des questions, on nous prend en photo des dizaines de fois, les enfants sont comme des fous, ils se pressent autour de nous. Je me rappelle ce petit garçon qui m’a même offert des sucettes à plusieurs reprises.
La conversation est limitée, mais comme d’habitude, on se débrouille avec notre petit bouquin. C’est assez facile de demander aux enfants comment ils s’appellent, quel âge ils ont, s’ils vont à l’école… Et aux adultes ce qu’ils font dans la vie, leur religion (on sait maintenant que c’est une question qui se pose).
Nous avons même été invités chez une famille. Un des hommes venu voir les « bule » (occidentaux, prononcez « boulé ») du jour nous explique qu’il fabrique des sabres, et qu’il aimerait nous les montrer. Je réponds gentiment qu’on veut bien les voir, mais qu’on ne va pas lui en acheter. « Pas de problème » me répond-il, « mais venez au moins les voir et voir ma maison ».
Je ne sais pas pourquoi on a dit oui. Sans doute parce que parfois le voyage nous apprend à baisser la garde, à vivre les opportunités quand elles se présentent, à être moins méfiants, comme l’Occident nous l’enseigne si bien. Faire confiance à un inconnu, accueillir la surprise sans suspicion. Parce que le monde entier n’est pas là pour nous arnaquer ou profiter de nous. Je ne dis pas que c’est vrai partout ni qu’il faut faire confiance à n’importe qui, mais il y a des moments où cela va de soi. Particulièrement dans des régions peu exposées au tourisme.
Et puis cet homme porte la gentillesse sur lui. On sent que ça lui ferait vraiment plaisir. Effectivement, au moment où l’on accepte, un sourire de satisfaction éclaire son visage, et il nous conduit fièrement chez lui, de l’autre côté de la rue, sur la rivière.
Il nous accueille avec ses enfants dans la pièce principale. Le mobilier est simple : il n’y en a pas ! De simples nattes sur le sol, et beaucoup de photos et posters religieux aux murs. Nous sommes invités à nous asseoir par terre pour déguster le thé qu’il vient de préparer, et les petits biscuits qui l’accompagnent. Nous passons une petite heure à discuter, notre hôte nous montre les sabres et couteaux qu’il fait à la main, puis nous présente son épouse, enceinte de six mois. Voilà un sujet de conversation qui figure dans notre guide, chouette ! Nous parlons aussi religion, métier, maison… Je finis par demander les toilettes : de simples WC turcs posés derrière une porte en bois, et qui se jettent directement dans la rivière. Visiblement, le tout-à-l’égout, ça n’existe pas ici. Ni même l’eau courante.
On finit par dire au revoir à nos gentils hôtes, après la traditionnelle photo de groupe, sans oublier de les remercier du fond du cœur pour leur hospitalité. Nous avons été touchés par leur invitation, et eux ont visiblement apprécié que nous l’ayons acceptée. Le problème, c’est que dire « Merci pour votre hospitalité » en indonésien est très compliqué. À chaque fois qu’on veut se servir de cette phrase, on doit rouvrir notre guide de conversation, et on galère à prononcer le truc. Ca fait d’ailleurs souvent bien rigoler nos interlocuteurs !
⊕ Infos pratiques
Voiture Kandangan -> Negara : 1h, 20 000 Rp / personne
Visite des canaux et des marais (buffles d’eau) en bateau : 4h, 300 000 Rp
Voiture (charter) Negara -> Kandangan : 1h, 80 000 Rp