Non, je pense ici aux morceaux préexistants qu’un cinéaste va utiliser en guise d’illustration ou d’évocation.
Plus un film, en effet, sans sa B.O. tendance, sans le sticker sur l’affiche nous précisant qu’il y aura dans la bande-son des morceaux de tel ou tel groupe (cf Paris de Cédric Klapisch – un habitué du scénario-compil depuis Le péril jeune – ou Juno récemment). Le rock et la pop ont, depuis longtemps, infiltré le cinéma comme ils l’ont fait dans la publicité. Ce n’est pas un scoop.
Pourtant. Pourtant, certaines images, certaines séquences, résonneraient différemment sans ces notes, ces mélodies, qui leur sont associées… Récemment, par exemple, Philippe Ramos a fait une bien belle utilisation de morceaux pop dans Capitaine Achab (ici), convoquant Tim Buckley ou Mazzy Star sans que jamais l’anachronisme ne soit exhibé et revendiqué comme le fit la sotte Sofia Coppola pour Marie-Antoinette. Récemment, l’ouverture de La nuit nous appartient de James Gray, au son du Heart of Glass de Blondie, me fit ce genre de forte impression. Mais il existe bien d’autres exemples tout aussi – sinon plus – marquants. Petite liste subjective ne demandant qu’à être complétée par vos soins
- Modern Love de David Bowie dans Mauvais sang de Leos Carax
En matière de mouvement et d’énergie rock, oserais-je dire qu’on n’a jamais fait mieux que cette course éperdue de Denis Lavant ?
Mettre un disque, se poser, l’écouter. Geste aussi rare au cinéma qu’il est fréquent dans nos vies. Fétiche du 45 tours, saute du microsillon, dépression du trentenaire ânonnant un spleen adolescent sans cesse revisité. La plus belle scène du cinéma français en 2006 ?
- America de Simon & Garfunkel dans Presque célèbre de Cameron Crowe
Mettre un disque, suite. Une ballade sublime pour une fin de séquence fétichiste que tous les amateurs de vinyles et de rock seventies sauront apprécier à sa juste valeur… Quand s'achève cette vidéo, c'est un disque des Who que le garçon posera sur la platine...
- Baba O’Riley des Who dans Summer of Sam de Spike Lee
Mettre un disque, troisième prise. La chanson est utilisée deux fois dans le film, une première fois ici, dans un montage-clip assez putassier, avouons-le, puis, la deuxième fois – de façon beaucoup plus nuancée – pour la mort injuste du punk joué par Adrien Brody.
- Kool Thing de Sonic Youth dans Simple Men de Hal Hartley
"I can’t stand the quiet !". Le riff, off, s’intensifie. Le film s’arrête, pause arbitraire dans la narration. Pourtant, le disque commence. Let’s Dance !
- Tiny Dancer d’Elton John dans Presque célèbre de Cameron Crowe
L’intérêt de cette séquence, c’est de rappeler que, dans les années 70, Elton John composa des chansons fantastiques, mais c’est surtout le glissement s’opérant avec le changement de statut narratif de la chanson. D’abord off – bêtement illustrative – puis bientôt écoutée par les protagonistes dans le car de tournée et débouchant enfin, quand entrent basse et batterie, sur un karaoké jubilatoire.
- Across 110th Street de Bobby Womack dans la sequence d’ouverture de Jackie Brown de Quentin Tarantino
Tarantino pourrait bien évidemment figurer plusieurs fois dans cette liste… Mais ne serait-il pas, comme Scorsese, sur une mauvaise pente, les morceaux rares qu’il déniche désormais devenant ingrédients fades d’une "Tarantino’s Touch" tutoyant son propre académisme ?
- Where is My Mind des Pixies dans la séquence finale de Fight Club de David Fincher
On pense ce qu’on veut du film et de ses ambiguïtés, mais cette irruption de la guitare et du cri de Franck Black sur ces images explosives procure le même genre de frissons que le plan final de Lost Highway de David Lynch syncopé par le I’m Deranged de Bowie …
- The End des Doors dans la séquence d’ouverture d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola
Bonus Tracks
- Needle in the Hay d’Elliott Smith dans La famille Tenenbaum de Wes Anderson
Séquence mémorable – prophétique ? – dont j’avais déjà parlé ici…
Et puis, comme je ne pardonnerai jamais à Stephen Daldry d’avoir popularisé et galvaudé Cosmic Dancer ou Children of the Revolution de T. Rex pour son fade Billy Elliott, une comparaison éloquente entre deux extraits de films pas si éloignés que ça… : ici et là.
Eh ouais, c’est pareil…