Enfin Libre © La Boîte à bulles - 2011
« Dans un futur proche, l’économie a continué à dériver sans révolution fondamentale du système en place, l’empreinte culturelle asiatique s’est accentuée, l’écologie s’est structurée de sorte qu’elle est entrée au cœur des entreprises ; l’universalité et la mondialisation sont omniprésentes. C’est ce moment que choisit l’humanité, et nous sommes donc bien dans un conte, pour se mettre d’accord. Tout le monde va alors effectuer un fabuleux retour à la terre dans la joie et la bonne humeur !
Mais en parallèle, des mouvements sont lancés et se poursuivent, la langue universelle arrive, alors même qu’elle n’est plus utile, le protectionnisme de l’humain se poursuit, alors que les dangers environnementaux diminuent, et surtout comme souvent, ceux qui ne suivent pas le mouvement sont marginalisés.
À travers une famille, suivie de génération en génération, on verra des êtres parfois pantois, parfois moqueurs, parfois leaders et parfois absents de tous ces mouvements, et surtout le lecteur lui-même pourra, face à ce qu’il faut bien considérer comme une caricature destinée à secouer, se poser quelques nouvelles questions… » (synopsis éditeur).
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Enfin libre, c’est un duo d’auteurs : Philippe Renaut est scénariste, David Barou est graphiste. Ils sévissent depuis plusieurs années et ont pour objectif « la recherche graphique expérimentale. Ses projets passés comme futurs tentent de renouveler les habitudes de lecture de Bande Dessinée soit par une réalisation sur support original, soit par la création d’univers particuliers » (propos issus de leur site).
Cela nous amène souvent à produire des travaux dont la lecture est inhabituelle, de la BD sous contrainte en quelques sortes mais avec des contraintes légères, qui viennent modeler l’histoire sans la vider de son sens.
Leur collaboration a déjà donné lieu à plusieurs albums. Domptez la page d’accueil de leur site et découvrez un espace ludique avec quelques petites perles comme cette animation sur le thème de la case ou cette BD en transparence. Sur certains projets, leur approche me fait penser à celle de l’OuBaPo.
D’ailleurs, Grumf pourrait s’inscrire dans ce mouvement car je serais tentée de dire qu’on est face à une construction palindromique du scénario : le premier point d’ancrage du palindrome serait ce futur proche décrit en début d’album et le second se situant approximativement au moment où l’homme préhistorique a découvert le feu. Arrivé au terme de l’album, on pourrait relire les chapitres en sens inverse. Le fait que l’album soit dépourvu de transitions renforce l’idée que la lecture est possible dans les deux sens (chapitre par chapitre et non case par case).
Ensuite, imaginez que l’on construise le toit d’une maison avant ses fondations (je prends volontairement le contre-pied du visuel de couverture). Tout le monde en conviendra que ce procédé est illogique… à l’instar du postulat de l’album. Car ici, grâce aux générations successives d’une même famille, le lecteur est amené à découvrir un futur qui me semble cauchemardesque. Les thèmes nous sont familiers (résoudre les problèmes de gaspillages d’énergie, de pollution de la planète et de poussée de l’individualisme) mais leur traitement est fantaisiste.
La première moitié de l’album explore une solution possible (??) et inédite et le ton employé pour développer cette idée est loufoque et agréable. Cependant, à la moitié de l’album, la narration devient grotesque et le ton est sur-joué. Si j’ai su en accepter un temps l’idée et imaginer comment une société peut progressivement parvenir à se dépouiller de son aspect civilisé pour se rapprocher au maximum de l’état de nature… passé un certain cap, j’ai trouvé que la caricature s’enlisait dans l’absurde.
De plus, la révolution sauvage à laquelle nous assistons s’accompagne d’une réforme du langage utilisé par les personnages. Le lecteur assiste à la naissance d’une langue universelle (le Goethe : Grand Œuvre des Traducteurs Herméneutes) qui s’appuie sur des concepts (un “mot” unique pour exprimer un champ sémantique ; le sens d’une expression variera donc en fonction du contexte dans lequel se trouvent les interlocuteurs). Ainsi, plus on avance dans la lecture, plus les phylactères sont succincts…
… et le graphisme suit le même chemin. La couleur disparaît peu à peu, les fonds de case sont moins détaillés, les contours de cases initialement très nets seront peu à peu dessinés à la main avant de disparaître totalement… On va à l’épure jusqu’à l’excès puisque les dernières planches sont justes croquées.
Une lecture que je partage avec Mango et les lecteurs du mercredi
Si l’idée de départ de ce scénario me plaît, je trouve que la farce excessive porte préjudice à l’ensemble de l’album. Je m’en suis amusée au début, mais l’humour ayant laissé la place à l’absurde puis au grotesque… j’ai fini par me lasser. Son dénouement est malheureusement prévisible et pathétique…
Étrange et déroutante lecture ! L’idée que l’évolution humaine passe par la régression technologique est inhabituelle. Cela perturbe l’ordre des choses pourtant, la réflexion impulsée par cet album est intéressante… de quels actes écocitoyens serais-je capable face à de tels extrémismes ?
Pour mieux appréhender la démarche de ces auteurs, je vous laisse en bonus les liens vers deux de leurs interviews : une interview de Enfin Libre réalisée en 2008 (pour le site bdtheque) et une interview accordée à Julien Falgas en 2005.
Grumf
Catégorie "Gros mot"
Éditeur : La Boîte à bulles
Collection : Hors champ
Dessinateur / Scénariste : Enfin Libre
Dépôt légal : octobre 2011
ISBN : 978-2-84953-137-2
Bulles bulles bulles…
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