Un roman édifiant sur l’ère stalinienne.
La femme magnifiée
Marek Halter est l’écrivain des femmes juives. Ses héroïnes sont des amazones intrépides et lumineuses, mains de fer dans des gants de velours, empoignant à bras le corps les causes les plus désespérées avec une ferveur qui ne faillit jamais. Mais Marina n’est pas juive: elle embrasse cette religion pour sauver sa peau et devient un membre à part entière d’une communauté souvent décrite comme hermétique aux individus qui ne portent pas en eux des siècles de judaïsme. Durant la seconde guerre mondiale, se faire passer pour juive a sauvé la vie de Marina. Beau message plein d’optimisme et d’espoir sur une religion à laquelle il n’a pas fait toujours bon appartenir.
Une histoire d’amour omniprésente…
Pourtant, cette image de la femme magnifiée est dévalorisée par l’histoire d’amour fade et terriblement banale. Le fil rouge, fondamental au genre romanesque, aurait mérité un traitement allégé. Les romances de Marina ne parviennent pas à soutenir l’intérêt du lecteur tout au long des 400 pages du récit : sans originalité, pleines de clichés – la Russe qui tombe amoureuse de l’espion américain -, elles font pâle figure face aux événements passionnants que vivent les protagonistes, et qui semblent passer au second plan sous l’effet d’un manque de hiérarchie dans la structure narratrice.
… au détriment d’un contexte historique et politique pourtant fascinant
Si la scène culturelle russe de l’entre-deux guerre bénéficie d’un traitement intéressant, ce n’est pas le cas du Birobidjan, état juif autonome en URSS, préexistant à l’Etat d’Israël, dont la langue officielle était le Yiddish. Cet aspect aurait mérité un développement autrement plus documenté que les informations accessoires disséminées au fil des pages. Quant à McCarthy, sa chasse aux sorcières se résume à une liste d’acteurs hollywoodiens supposément communistes et à ses interventions au cours du procès de notre héroïne, dûment soutenues par Nixon. Quelques miettes d’espionnage façon CIA et NKVD, un soupçon de deuxième guerre mondiale et une apparition d’un Staline caricatural complètent le tableau: tous les éléments étaient réunis pour faire de L’inconnue de Birobidjan une fresque captivante sur la Russie de l’entre-deux guerres.
Au final, si le roman foisonne de thématiques historiques, politiques, sociologiques et religieuses fascinantes, elles sont survolées et abordées de façon tellement anecdotiques que le lecteur novice se prend à douter de leur véracité – on ne découvre qu’en fin de lecture l’annexe qui fait la lumière sur les personnages et les événements relatés dans le livre. Brouillon, voulant aborder trop de thèmes, Marek Halter ne signe pas avec L’inconnue de Birobidjan son meilleur roman mais continue néanmoins de nous faire explorer la culture juive avec succès.
JE VOUS LE CONSEILLE SI…
… vous êtres intrigué(e) par cette évocation du Birobidjan. Qui a encore connaissance de cet Oblast, état autonome Russe créé par Staline en 1928, qui a jeté les fondements du premier état juif du XXe siècle?
EXTRAITS :
Lors de son procès, Marina relate les circonstances de la mort de la deuxième épouse de Staline, qui se serait suicidée alors que le dirigeant communiste passait la nuit avec l’héroïne. L’occasion d’une leçon d’humilité pour McCarthy:
Il y eut un silence embarrassé avant que McCarthy demande :
- Mais vous, Miss… vous n’aviez pas de remords?
Elle ne répondit pas tout de suite. Un demi-sourire, amer et las, glissa sur ses lèvres sèches :
- Vous voulez savoir si j’avais honte? Si je me sentais souillée, si j’avais l’impression d’avoir agi comme une putain? C’est ça?
Les pommettes de McCarthy rosirent. Une mauvaise grimace s’étala sous son nez cassé.
- J’avais dix-neuf ans, monsieur. J’apprenais la vie dans un pays où depuis des années on mourait ou on disparaissait dans un coin de Sibérie pour un rien. C’était ça aussi, la révolution bolchevique. “Vivre dans un monde nouveau, c’est gravir une paroi de glace avec des ongles d’enfant”, a écrit un poète de chez nous. Il s’appelait Maïakovski. Staline disait qu’il l’aimait beaucoup. Maïakovski s’est suicidé.
Le Birobidjan, état juif autonome ou goulag géant au service de Staline?
[...] Staline est plus malin qu’Hitler. Il a compris que les morts ne servent à rien. C’est inutile, un mort. Même un mort juif. Les cadavres ne charrient pas le charbon dans les mines et ne cousent pas d’uniformes. Et pourquoi n’exterminer que les juifs quand tous les vivants peuvent être coupables de vivre? Staline ne réduit pas les êtres en cendres et ne les transforme pas en savon. Il use. Il use les corps, l’intelligence, la volonté, l’amour…
VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :
Le club des incorrigibles optimistes,
de Jean-Michel Guenassia
Le dernier procès,
de Nicolas Bourcier
Un superbe roman mettant en scène des réfugiés communistes Des prisonniers Russes au service des nazis
Merci à Livraddict, pour l’organisation des partenariats qui permettent de faire de belles découvertes, et aux Editions Robert Laffont pour m’avoir gracieusement envoyé ce livre.