Le manuscrit du livre de Joël Dicker, Les derniers jours de nos pères, a reçu le 8 décembre 2010 le Prix des écrivains genevois, qui s'intéresse aux livres à paraître. Il vient d'être coédité par les Editions de Fallois et L'Age d'homme.
Ce livre nous raconte l'histoire de la branche F du Special Operations Executive, SOE, pendant la Seconde guerre mondiale. Créé en 1940 par Winston Churchill, après la déroute de Dunkerque, ce service d'opérations spéciales, menées dans les pays occupés par l'Allemagne nazie, sera dissous en 1946, n'ayant plus de raison d'être.
La branche F est composée de volontaires français qui seront de véritables agents secrets britanniques au service de sa Gracieuse Majesté. Il s'agira, derrière les lignes ennemies, de mener en France, comme d'autres branches, et comme dans d'autres pays, des opérations de sabotages, d'attentats, de propagande, de renseignement, de formation de réseaux, en liaison avec les organisations de résistance locales.
Ces Français n'ont rien à avoir avec les Français libres de Londres. A la fin de la guerre, d'ailleurs, d'âpres négociations permettront à ces agents français du SOE de ne pas être considérés "comme des traîtres à la nation pour avoir collaboré avec une puissance étrangère" :
"Ils pourraient soit retourner à la vie civile sans être inquiétés, soit intégrer l'armée française à un grade identique à celui obtenu dans le service."
Après leur recrutement les stagiaires, dont le roman raconte l'histoire, vont subir une sélection sévère dans quatre écoles différentes sans savoir quelle sera leur contribution à l'effort de guerre, à l'issue de cette formation éprouvante. Ils vont endurcir leurs corps à Wanborough, se mesurer à l'art de la guerre à Lochailort, sauter en parachute à Ringway, apprendre à évoluer en France dans le plus grand secret à Beaulieu.
A l'issue de ces quatre étapes, de vingt-et-un stagiaires qu'ils sont au départ, ils ne seront plus finalement que onze à être retenus. Entre-temps leurs corps et leurs esprits tout couturés auront changé. Les épreuves les auront rapprochés. Ils seront devenus amis après s'être parfois violemment frottés. La seule femme du groupe, Laura, ne sera pas la moins combative, à sa manière. Quand il s'agit de poser une bombe, l'auteur nous dit qu'elle a "l'attentat élégant"...
Au moins deux d'entre eux, Paul-Emile, Pal de son nom de guerre, et Key, sont partis à la guerre après avoir mal embrassé leurs pères, avec, dans les yeux, la lumière du courage des fils qui font le désespoir des pères. Au plus fort de leur aguerrissement ils regrettent cet abandon. Ils se sentent vides. N'ont-ils pas "déjà vécu les derniers jours de leurs pères" ?
Pourquoi sont-ils tous prêts à donner leur vie, sous les balles ou la torture ?
"Pour que les Hommes restent des Hommes."
Pour devenir des Hommes, ils vont donc apprendre à tuer. Vont-ils rester des Hommes ? En effet le plus grand péril des Hommes
n'est-ce pas les Hommes eux-mêmes ? Ne doit-on pas se méfier de tout le monde ? Y compris de soi-même ? Dans les moments de désespoir n'a-t-on pas l'impression "qu'il n'y a personne à sauver, que tout le monde se haïra toujours" ?
Joël Dicker nous raconte Aimé, Gros, Frank, Faron, Claude, Key, Stanislas, Denis et Jos. Il nous raconte également Pal et Laura, qui vont s'aimer entre deux séparations de plusieurs mois. Il ne nous cache ni leurs forces, ni leurs faiblesses. Il nous les fait aimer tels quels. Nous souffrons avec eux quand ils déchoient. Nous nous réjouissons quand ils se subliment.
Certains d'entre eux ne reviendront pas de leurs missions, d'autres survivront après avoir commis parfois des actes qui les mordront toujours. Il leur faudra ne pas renoncer, tenir bon, continuer à vivre vaille que vaille. Il leur faudra accepter que la vie continue après le désastre de l'humanité, qu'après les derniers jours des pères viendront "les jours d'avenir et de perpétuation". Il leur faudra accepter de devenir pères eux-mêmes.
Un des personnages du roman dit :
"On ne peut pas écrire ce que l'on n'a pas vécu."
Ce livre est la preuve du contraire. C'est d'autant plus vrai qu'il n'est pas manichéen.
Francis Richard