"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 juin 2010), que la société civile immobilière (SCI) Le Point Rond a donné à bail commercial pour une durée de 9 ans à la société en nom collectif Tudor Inn (la SNC), un immeuble, par acte du 24 mars 1993 qui comportait un pacte de préférence au terme duquel la SNC disposait d'un droit de préférence en cas de cession de l'immeuble, le bailleur étant tenu d'informer le preneur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de son intention de vendre ; que l'immeuble a été vendu à la société à responsabilité limitée Cabinet Richard Thum le 15 mai 1997, puis par celle-ci à la société civile immobilière Les Cigales par acte du 10 mai 2001 ; que la SNC, soutenant n'avoir appris l'existence de ces cessions qu'à l'occasion d'une procédure d'expertise l'opposant à son bailleur, a assigné la SCI Le Point Rond, la société Cabinet Richard Thum et la SCI Les Cigales pour faire constater que les deux ventes successives avaient été réalisées en fraude de ses droits, faire annuler en conséquence lesdites cessions, constater que par courrier du 9 décembre 2005 elle avait indiqué entendre acquérir au prix de la première cession soit 198 183,72 €, constater que la vente était parfaite, condamner la SCI Le Point Rond à régulariser cette vente par acte authentique et condamner la SCI Le Point Rond et la société Cabinet Richard Thum au remboursement des loyers versés depuis le 15 mai 1997 ; que par ordonnance du 4 mars 2010 le premier président de la cour d'appel a arrêté l'exécution provisoire du jugement et, faisant application de l'article 917, alinéa 2, du code de procédure civile, a fixé l'affaire pour être plaidée à bref délai devant la cour ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SNC fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que soient déclarées irrecevables les demandes et moyens contenus dans les conclusions des sociétés le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales postérieures à son assignation devant le premier président de la cour d'appel statuant en référé, alors, selon le moyen :
1°/ que l'appelant qui saisit le premier président par assignation en référé d'une requête en suspension de l'exécution provisoire et demande également à ce dernier d'user du pouvoir qui lui est conféré par l'article 917 alinéa 2 du code de procédure civile pour fixer un jour auquel l'affaire sera appelée par priorité, doit veiller à ce que cette assignation contienne les conclusions sur le fond et vise les pièces justificatives à l'appui de ses prétentions et moyens ; que les prétentions et moyens nouveaux contenus dans des conclusions postérieures sont irrecevables ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tandis que l'obligation pour les sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales de faire valoir leurs conclusions au fond dans l'assignation en référé devant le premier président de la cour d'appel qui contenait la requête en fixation de l'affaire par priorité à un jour déterminé n'était pas destinée à permettre au premier président de statuer au fond, mais à faire en sorte que l'affaire soit en état d'être plaidée par priorité au jour qui serait fixé, la cour d'appel a violé les articles 917 et 918 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en affirmant, en tout état de cause, que les demandes des sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales n'étaient pas nouvelles, sans constater que ces demandes avaient été formées, avec les moyens à leur appui, dans l'assignation en référé du 15 décembre 2009 qui contenait la requête en fixation de l'affaire par priorité à un jour déterminé et qui devait ainsi contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 917 et 918 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que c'était dans l'assignation saisissant le premier président d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire que les sociétés le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales avaient également demandé que l'appel qu'elles avaient interjeté soit évoqué par priorité à une proche audience conformément à l'article 917, alinéa 2, du code de procédure civile, la cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs que l'article 918 du même code n'était pas applicable à la cause ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la SNC fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'elle ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté ;
qu'en se contentant de relever que la société Tudor Inn avait eu connaissance des ventes successives de l'immeuble sur lequel elle bénéficiait d'un droit de préférence, qu'elle était restée passive face à cette situation pendant une certaine période et qu'elle avait payé les loyers aux sociétés Cabinet Richard Thum et Les Cigales qui avaient successivement acquis l'immeuble, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une manifestation claire et non équivoque de la société Tudor Inn de renoncer au bénéfice du pacte de préférence stipulé à son profit dans le contrat de bail du 24 mars 1993 pour contester les ventes conclues en fraude de ce droit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, au motif impropre que le pacte de préférence n'était plus valable lors de la vente du 10 mai 2001, le bail du 24 mars 1993 prévoyant ce droit ayant expiré au 31 août 2000, sans rechercher si, en tout état de cause, lors de la vente initiale du 15 mai 1997 par laquelle la société Le Point Rond avait méconnu le pacte de préférence en fraude des droits de la société Tudor Inn le bail du 24 mars 1993 était toujours en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la SNC avait eu connaissance des ventes et de leurs conditions financières dans le mois qui avait suivi leur réalisation, pour la première cession en 2000, lors d'une instance en référé l'ayant opposée à sa bailleresse, et pour la seconde cession, en 2002, au cours de la procédure de fixation du loyer du bail renouvelé, qu'elle avait effectué les paiements des loyers au nouveau propriétaire dès le mois qui avait suivi chacune des cessions, sans la moindre protestation, et qu'elle n'avait pas non plus manifesté de protestation, ni exprimé la volonté d'invoquer le pacte de préférence lors du congé avec offre de renouvellement du bail délivré par le nouveau propriétaire, la cour d'appel, qui a pu déduire de ces seuls motifs que ces actes s'analysait en une renonciation tacite, certaine et non équivoque de la locataire à se prévaloir du pacte de préférence, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Tudor Inn et Yvon X... et Jean-Philippe Y..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Tudor Inn et Yvon X... et Jean-Philippe Y..., ès qualités, à payer aux sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales la somme globale de 2 500 € ; rejette la demande des sociétés Tudor Inn et Yvon X... et Jean-Philippe Y..., ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils pour les sociétés Tudor inn, Yvon X... et Jean-Philippe Y..., ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Tudor Inn de sa demande tendant à ce que soient déclarés irrecevables les demandes et moyens contenus dans les conclusions des sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales postérieures à l'assignation de la société Tudor Inn devant le premier président de la cour d'appel statuant en référé ;
AUX MOTIFS QUE par assignation du 15 décembre 2009, les sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales ont saisi le premier président pour obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire ; que dans cette assignation elles demandaient également que l'appel interjeté soit évoqué par priorité à une prochaine audience de la cour d'appel, conformément à l'article 917 alinéa 2 du Code de procédure civile ; que le premier président a fait droit à ces demandes ; que l'arrêt de la Cour de cassation invoqué par la société Tudor Inn (Civ. 2ème, 7 déc. 2000) pour soutenir que les sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales ne sont pas recevables à soumettre à la cour d'appel des prétentions ou moyens non inclus dans l'assignation en référé, a été rendu au visa de l'article 788 alinéa 4 du Code de procédure civile alors applicable, devenu article 811 relatif à la passerelle entre le juge des référés et le tribunal de grande instance ; que l'argument est inopérant devant la cour d'appel dans le cadre d'une procédure à jour fixe ordonnée par le premier président statuant sur une demande d'arrêt de l'exécution provisoire sans, par définition, aborder le fond du litige ; qu'au demeurant, les demandes des sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales ne sont pas nouvelles et que les dispositions des articles 917 et 918 du Code de procédure civile ne dérogent pas à celles des articles 122 et 123 selon lesquelles les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause ;
1°/ ALORS QUE l'appelant qui saisit le premier président par assignation en référé d'une requête en suspension de l'exécution provisoire et demande également à ce dernier d'user du pouvoir qui lui est conféré par l'article 917 alinéa 2 du Code de procédure civile pour fixer un jour auquel l'affaire sera appelée par priorité, doit veiller à ce que cette assignation contienne les conclusions sur le fond et vise les pièces justificatives à l'appui de ses prétentions et moyens ; que les prétentions et moyens nouveaux contenus dans des conclusions postérieures sont irrecevables ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tandis que l'obligation pour les sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales de faire valoir leurs conclusions au fond dans l'assignation en référé devant le premier président de la cour d'appel qui contenait la requête en fixation de l'affaire par priorité à un jour déterminé n'était pas destinée à permettre au premier président de statuer au fond, mais à faire en sorte que l'affaire soit en état d'être plaidée par priorité au jour qui serait fixé, la cour d'appel a violé les articles 917 et 918 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QU' en affirmant, en tout état de cause, que les demandes des sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales n'étaient pas nouvelles, sans constater que ces demandes avaient été formées, avec les moyens à leur appui, dans l'assignation en référé du 15 décembre 2009 qui contenait la requête en fixation de l'affaire par priorité à un jour déterminé et qui devait ainsi contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 917 et 918 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN (SUBSIDIAIRE) DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Tudor Inn de ses demandes tendant au prononcé de la nullité des ventes de l'immeuble du 12 rue de la Vieille Comédie à Lille conclues les 15 mai 1997 et 10 mai 2001 en fraude de ses droits résultant du pacte de préférence contenu dans le contrat de bail du 24 mars 1993, à la substitution de la société Tudor Inn dans les droits de la société Cabinet Richard Thum, premier acquéreur de l'immeuble, au remboursement des loyers et charges payés à compter du 15 mai 1997 et à la condamnation in solidum des sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales au paiement de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE par lettre de juin 1997 l'agence Richard Thum a indiqué à la société Tudor Inn que, par acte du 15 mai 1997, elle avait acquis l'immeuble loué et lui a demandé de libeller le chèque pour le paiement du loyer à l'ordre de Cabinet Richard Thum ; que la société Tudor Inn conteste avoir reçu ce courrier mais son chèque du 25 juin 1997 a été libellé à l'ordre de Thum ; que la société Cabinet Richard Thum a adressé à la société Tudor Inn un congé avec offre de renouvellement de bail le 7 février 2000 pour le 31 août 2000 où il est indiqué que par acte authentique du 15 mai 1997 la SCI Le Point Rond a vendu l'immeuble à la société Cabinet Richard Thum ; que par assignation en référé de la société Tudor Inn du 5 octobre 2000 la société Cabinet Richard Thum rappelait qu'elle se trouvait aux droits de la SCI Le Point Rond suivant acte notarié, le titre de propriété figurant dans la liste des pièces annexées ; que dans les conclusions signifiées le 28 mars 2001 par la société Tudor Inn devant la cour d'appel statuant sur appel de l'ordonnance de référé du 16 janvier 2001 et les conclusions signifiées le 2 décembre 2002 par la société Tudor Inn dans une affaire l'opposant à la SCI Les Cigales qui sollicitait son expulsion, il était fait état de la vente du 15 mai 1997 ; que dans le mémoire adressé le 24 juin 2002 par la SCI Les Cigales à la société Tudor Inn aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé il était fait état de la vente du 15 mai 1997 et les actes de vente étaient mentionnés dans la liste des pièces ; que l'assignation en référé expertise délivrée par le gérant de la société Tudor Inn à la SCI Les Cigales fait état de la vente du 15 mai 1997 et de la propriété de l'immeuble par la SCI Les Cigales ; que cette dernière verse aux débats la copie de chèques pour paiement des loyers établis par la société Tudor Inn à l'ordre de la SCI Les Cigales ; que dans les divers actes de procédure, les deux parties ont fait l'une et l'autre, référence aux ventes des 15 mai 1997 et 10 mai 2001 ; que les actes de vente ont été versé aux débats en 2000 et 2002 ; que la société Tudor Inn a payé ses loyers au nouveau propriétaire, la société Cabinet Richard Thum dès juin 1997 et à la SCI Les Cigales dès juin 2001 ; qu'elle ne peut donc prétendre qu'elle n'a eu connaissance des ventes qu'en 2005 ; que le 21 juillet 1994 la société Tudor Inn a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire ; qu'un plan de continuation a ensuite été arrêté par jugement du 11 mai 1995 ; qu'il lui imposait de régler des annuités de 106.911,78 € ; qu'il n'a pris fin qu'en mai 2003 ce qui explique qu'en 1997 et 2001 la société Tudor Inn ne s'est pas manifestée pour acquérir l'immeuble, faute d'être en mesure de le faire ; qu'il ressort de l'ensemble des éléments soumis que la société Tudor Inn a eu connaissance des deux ventes dans le mois qui a suivi leur réalisation, qu'elle a eu connaissance des conditions financières de la cession du 15 mai 1997 lorsqu'elle a reçu communication en 2000 des pièces de la procédure en référé introduite par assignation du 5 octobre 2000 et des conditions de la cession du 10 mai 2001 lorsqu'elle a reçu communication, en 2002, des pièces de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'elle ne s'est manifestée que par lettre du 9 décembre 2005 à l'occasion d'opérations d'expertise faisant apparaître une modification des facteurs locaux de commercialité entraînant un déplafonnement du loyer ; que si un locataire peut renoncer à se prévaloir d'un pacte de préférence lorsque le bailleur lui notifie les conditions de la vente, il peut également y renoncer lorsqu'il a connaissance de l'existence d'une vente intervenue sans notification préalable de l'intention de vendre ; que la renonciation n'est pas subordonnée à la réalisation de cette notification préalable ; que l'inaction prolongée de la société Tudor Inn pendant plusieurs années après avoir eu connaissance des ventes et de leurs conditions, alors qu'elle payait les loyers au nouveau propriétaire et n'a formulé aucune observation lors du congé avec offre de renouvellement du bail délivré par ce nouveau propriétaire, s'analyse en une renonciation tacite, certaine et non équivoque de la locataire à se prévaloir du pacte de préférence ; que de surcroît, c'est à bon droit que les sociétés Le Point Rond, Cabinet Richard Thum et Les Cigales soutiennent que le pacte de préférence s'est éteint à l'expiration du bail le 31 août 2000 et qu'il n'était donc plus applicable lors de la vente du 10 mai 2001, intervenue pendant la durée du bail renouvelé au 1er septembre 2000 ; qu'en effet le renouvellement du bail commercial entraîne la reconduction des clauses et conditions relatives aux rapports locatifs et non des conditions qui sont indépendantes de ces rapports ; qu'ainsi, le pacte de préférence inséré dans le bail commercial du 24 mars 1993 relatif à une vente « au cours du présent bail » constitue une convention distincte du bail et devient caduc à l'expiration de ce bail ;
1°/ ALORS QUE la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'elle ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté ; qu'en se contentant de relever que la société Tudor Inn avait eu connaissance des ventes successives de l'immeuble sur lequel elle bénéficiait d'un droit de préférence, qu'elle était restée passive face à cette situation pendant une certaine période et qu'elle avait payé les loyers aux sociétés Cabinet Richard Thum et Les Cigales qui avaient successivement acquis l'immeuble, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une manifestation claire et non équivoque de la société Tudor Inn de renoncer au bénéfice du pacte de préférence stipulé à son profit dans le contrat de bail du 24 mars 1993 pour contester les ventes conclues en fraude de ce droit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
2°/ ALORS QU' en statuant comme elle l'a fait, au motif impropre que le pacte de préférence n'était plus valable lors de la vente du 10 mai 2001, le bail du 24 mars 1993 prévoyant ce droit ayant expiré au 31 août 2000, sans rechercher si, en tout état de cause, lors de la vente initiale du 15 mai 1997 par laquelle la société Le Point Rond avait méconnu le pacte de préférence en fraude des droits de la société Tudor Inn le bail du 24 mars 1993 était toujours en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil."