En dehors des paillettes artificielles pour en imposer, loin de l’arrogance
de ceux qui savent tout, François Bayrou avance ses pions avec quelques mesures de bon sens.
Le candidat centriste François Bayrou était l’invité de "Parole de candidat" sur TF1, ce lundi 20 février 2012. Il a inauguré cette
nouvelle émission hebdomadaire pour la campagne présidentielle animée par Laurence Ferrari où il a répondu pendant une heure dix aux questions de téléspectateurs et pendant une demi-heure à
celles des journalistes invités.
Globalement, François Bayrou a été assez à l’aise dans cet exercice (bien plus qu’Eva Joly qui l’a suivi ensuite), un peu trop d’ailleurs car parfois avec une main dans la poche. Ce qui marque,
c’est en effet que depuis qu’il a déclaré sa candidature en décembre, François Bayrou semble très serein,
très optimiste tant sur les chances du pays à se redresser que sur les siennes propres à conquérir la magistrature suprême.
Ce genre d’émission (en vogue aussi en 2007) n’est pas très adapté pour donner une vision politique puisqu’il
s’agissait surtout de répondre à beaucoup de points particuliers abordés par les personnes qui l’ont interrogé.
J’ai fait une petite liste de ses propos.
Entreprises : François Bayrou a rappelé le colossal déficit du commerce extérieur, plus de 70 milliards d’euros, qui est de la richesse qui a
quitté la France. Côté amusant, pour bien insister, il traduit en bon littéraire par soixante-dix mille millions d’euros, alors que pour moi, les milliards sont déjà largement assez parlants.
Immigration : À un homme qui allait se faire naturaliser français dans quelques jours et qui a expliqué le véritable parcours du combattant pour
renouveler sa carte de séjour (dans les faits, obligation de passer la nuit à attendre dehors devant les administrations), ce qui est à la fois absurde et stupide, François Bayrou trouvait cela
scandaleux et surtout inutilement humiliant. Ce qui est étrange, c’est que la gauche ne semble pas plus scandalisée que la droite par ces procédures démentes pour le renouvellement de la carte de
séjour.
Discriminations : François Bayrou a proposé la création d’un Ministère de l’Égalité qui lutterait contre les discriminations de toutes sortes, origine
ethnique, sexe, etc.
Agriculture : François Bayrou a été très convaincant car il a rappelé qu’il a été lui-même exploitant à l’âge de 20 ans lorsque son père est mort
d’un accident du travail. Regrettant que les agriculteurs, de moins en moins nombreux, ne sont plus écoutés car ils ne représentent plus un poids électoral, il a remarqué que les paysans ont un
temps de travail très long sans avoir de vacances et que les exploitations étant de plus en plus étendues, leur solitude est de plus en plus grande et ne se compenserait pas par de seules
considérations financières.
Produire français : Point essentiel dans son programme, là aussi très convaincant, c’est de regarder l’intérêt de produire français. Il a cité trois
exemples éloquents.
Le premier concerne la lingerie féminine dont le prix est d’environ cinquante euros. Une pièce est fabriquée
en dix minutes. En France, le coût salarial est d’environ 20 euros par heure alors que dans certains pays étrangers, il pourrait être réduit à 5 euros. Au total, la délocalisation de la
production ferait gagner seulement 2,5 euros sur le coût de fabrication, ce qui est faible par rapport au prix (5%). François Bayrou a estimé qu’il ne serait pas déraisonnable de préférer
produire français et d’augmenter le prix de 2,5 euros.
Le deuxième exemple est la carte vitale que la Sécurité sociale fait produire… en Inde ! Le coût d’une
carte est de 20 centimes, si bien que la délocalisation de sa fabrication fait gagner seulement 5 centimes. Or, avec une telle délocalisation, la Sécurité sociale renforce le chômage et perd
toutes les charges sociales des salaires qu’elle empêche par sa décision, ce qui est absurde.
Le troisième exemple a trait à une entreprise près d’Alençon qui fabrique des cars et qui s’est retrouvée
retenue pour la dernière sélection dans un département du Sud-Ouest. Finalement, c’est une entreprise chinoise qui a été choisie. Perte d’emplois, pertes fiscales et sociales.
François Bayrou en est ainsi venu à vouloir imposer quelques règles plus claires pour les marchés publics,
qu’il est nécessaire de favoriser les entreprises françaises car leur développement apporterait des ressources publiques supplémentaires (c’est le principe du Small Business Act).
Emploi : François Bayrou a proposé aux deux millions et demi d’entreprises de moins de cinquante employés la possibilité de recruter un
chômeur ou un jeune pendant deux ans sans aucune charge (il avait proposé deux emplois en 2007 mais la situation financière ne le permet plus). Cela donnerait un appel d’air chez les artisans,
commerçants etc.
Santé : Le constat que certaines personnes ne puissent plus se soigner (en particulier les dents et les yeux) est alarmant. François Bayrou
a proposé de calquer au niveau national la mutuelle complémentaire obligatoire en Alsace-Moselle qui est bénéficiaire car il n’y a pas beaucoup de frais de gestion.
Pensions et retraites : François Bayrou a été convaincant en citant sa mère qui vient de disparaître et dont la pension de retraite était très faible (680
euros). Il a d’abord donné un satisfecit au gouvernement pour avoir augmenté de 25% le minimum vieillesse mais il a suggéré de l’augmenter encore sans pour autant atteindre le SMIC.
Perte d’autonomie et dépendance :
Les familles doivent payer environ 1 200 euros chaque mois en cas de perte d’autonomie d’un de leur proche. Ces
coûts doivent être collectifs. François Bayrou a envisagé un financement par moitié : l’une payée par une assurance obligatoire à partir d’un certain âge (par des mutuelles pour éviter des
enjeux d’intérêt privé) et l’autre payée par la solidarité nationale.
Sécurité dans les quartiers difficiles :
François Bayrou a évoqué une mesure là aussi très concrète : qu’un représentant de l’État, chargé de représenter
l’autorité de l’État et de coordonner tous les services de l’État, que l’on pourrait nommer sous-préfet, soit présent dans chacun de la centaine de quartiers sensibles et qu’il habite dans ce
quartier, comme les habitants, pour qu’il se rende compte de lui-même de la vie réelle et qu’il cultive le vivre ensemble.
Famille : François Bayrou a refusé le manichéisme pour ou contre l’adoption des enfants par des couples homosexuels. Ce qu’il veut, c’est
l’intérêt des enfants. Celui-ci commande de savoir ce qu’il adviendrait si le parent biologique mourrait. Pour lui, il serait nécessaire d’imaginer un statut de beau-parent qui pourrait avoir la
charge de l’enfant en cas de disparition du parent biologique.
Scrutin aux élections législatives :
François Bayrou a proposé de réduire de 30% le nombre de députés, leur donner plus de pouvoir et que cela coûte moins
cher, dont un quart serait désigné à la proportionnelle. C’est-à-dire 400 députés, 300 élus au scrutin majoritaire classique, 100 élus à la proportionnelle avec un seuil de 5% et avec aussi un
condition de majorité. Si les groupes majoritaires n’ont pas la majorité absolue avec les élus au scrutin majoritaire (comme ce fut le cas en juin 1988), alors parmi les 100 élus au scrutin
proportionnel, les groupes majoritaires auraient une partie de ces sièges pour atteindre la majorité absolue et le reste serait distribuée à la proportionnelle.
Commentaire personnel
sur cette proposition : Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, je suis contre le principe du scrutin proportionnel même si le dispositif proposé ici
évite le risque d’ingouvernabilité (qui serait fatal en temps de crise). Ma principale objection reste qu’il y aurait deux sortes de députés (inégalité d’origine), certains élus dans une
circonscription par des électeurs et d’autres quasiment désignés par les partis (les têtes de liste étant assurées d’être élues) et capables de ne rendre aucun compte (qui connaît ses députés
européens ?). Au moins, on peut considérer que François Bayrou est sincère dans cette proposition, au contraire des deux grands partis UMP et PS.
Autre critique personnelle sur la réduction du nombre de députés qui me paraît d’autant plus démagogique
qu’il est employé l’argument du coût de la vie parlementaire (la démocratie a un coût et ce fut déjà l’objet de débats très passionnels au début du XXe siècle). Au contraire, le nombre
actuel de députés se justifierait d’autant plus qu’on voudrait leur donner du pouvoir. Il est temps de pouvoir créer de nombreuses commissions d’enquête pour que le Parlement puisse remplir sa
seconde mission, le contrôle de l’Exécutif, parallèlement à sa mission législative.
Bipolarisation : François Bayrou a fustigé la « sarkhollandisation » du débat
médiatique en reprenant une formule du film "La vie est un long fleuve tranquille" ; « Lundi, c’est Sarkozy ; mardi, c’est Hollande ;
mercredi, c’est Sarkozy ; jeudi, c’est Hollande etc. ».
Majorité centrale : La critique habituelle à la candidature de François Bayrou, c’est : avec quelle majorité gouvernera-t-il ? C’est Michel
Field qui a posé la question. François Bayrou a alors répété que s’il était élu, c’est qu’il y aurait eu un courant majoritaire en sa faveur et que les élections législatives le traduiraient
forcément. Valéry Giscard d’Estaing, d’ailleurs, n’était pas issu d’un grand parti majoritaire.
Union nationale : Jacques Delors est la personne qui a le plus inspiré François Bayrou. Il a regretté son renoncement en 1995 où un grand rassemblement aurait pu déjà se construire. Il se veut son héritier (clin d’œil à François Hollande, ancien patron des clubs deloristes) ainsi que celui de Michel Rocard (qui a fortement critiqué le programme de François Hollande), Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre.
État impartial : Réagissant sur l’invraisemblable rumeur donnant Jean-Louis Borloo à la tête de Véolia, François Bayrou a profondément critiqué la transhumance des hauts fonctionnaires qui, aujourd’hui, quittent Nicolas Sarkozy pour aller
vers François Hollande. Il a demandé que les fonctionnaires ne soient plus soumis aux partis.
Réduction de déficit structurel :
François Bayrou a présenté deux mesures importantes. La première est de créer une haute autorité de lutte contre la
fraude qui devrait faire rentrer 20 milliards d’euros (Le Royaume-Uni a récupéré ainsi 48 milliards de livres). La seconde est le ZAV, zéro augmentation en valeur ; en maintenant les
différents budgets de l’État en valeur constante, le déficit peut être réduit de 50 milliards d’euros sur cinq ans en raison de la croissance.
Pragmatisme et humilité
Au total, l’émission empêche une certaine lisibilité de la vision d’ensemble des candidats (à mon grand
étonnement et regret, l’Europe n’a pas été un sujet abordé).
Cependant, ce qui était remarquable ce soir-là, c’est que le candidat François Bayrou, très à l’aise, a une
position humble qui paraît très en phase avec la crise économique actuelle (au contraire des grands meetings très coûteux, que ce soit au Bourget le 22 janvier 2012 ou à Marseille le 19 février
2012), et a préconisé des solutions concrètes, pragmatiques, sans idéologie et sans arrogance.
À part sa position sur la proportionnelle (tous les candidats la proposent désormais), je souscris à toutes
ses propositions qui visent à garder la raison dans le juste équilibre des dépenses publiques et des incitations à la croissance.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (21 février
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’État impartial.
Les naufrageurs, dehors !
Le rassemblement des Français.
Les surprises de
2012.
L’union
nationale.
La
proportionnelle et François Bayrou.