Difficile de résumer en quelques lignes l’itinéraire brillant de celui que Maurice Clavel aimait à désigner affectueusement comme un «grand bourgeois de gauche» (comme le rappelle François Dosse dans l’excellente biographie qu’il a consacrée dernièrement à Pierre Nora). Un chemin tel un sillon qui irrigue un demi-siècle de vie intellectuelle française. Universitaire reconnu, l’historien Pierre Nora est avant tout un aventurier de l’édition. De la collection «Archives» chez Julliard à la «Bibliothèque des sciences humaines» chez Gallimard, en passant par la revue «Le Débat» qu’il a fondée à l’aube des années 1980 et qu’il dirige toujours, l’Académicien a vu passer entre ses mains les manuscrits des plus grands plumes de spécialistes de l’histoire et des sciences humaines : Michel Foucault, Emile Benveniste, François Furet, Emmanuel Le Roy Ladurie ou encore Claude Lévi-Strauss.
Un choix comme une évidence
Plus près du grand public, la création de la série «Les Lieux de Mémoire» (Gallimard), qui explore de manière très riche les nouvelles formes de l’histoire et de l’identité de la nation – les grands «dadas» de Nora. On l’a vu aussi récemment monter au créneau, menant la fronde des intellectuels contre l’idée du Président Nicolas Sarkozy d’une Maison de l’Histoire de France : «Cette Maison, on ne sait pas plus quoi y mettre que pourquoi on la fait» («Le Monde» du 11/11/2010). Et puis, Pierre Nora passe depuis peu devant le rideau, lui qui vient de faire paraître «Historien public», une collection passionnante de ses interventions, manifestes et prises de position qui ont jalonné son parcours. C’est pour ce livre que cette éminence grise de l’intelligentsia française se voit aujourd’hui distinguée par le Prix Montaigne. Mais pas seulement. «C’est en fait à toute l’oeuvre de Pierre Nora que nous rendons hommage par ce prix, souligne Jacques Rigaud, le président du jury de personnalités bordelaises et nationales chargées de désigner le lauréat. Une oeuvre originale et la démarche singulière d’un “historien collectif” qui, par leur niveau, leur qualité et leur ampleur, méritait cette distinction.» Un choix qui est apparu à ses membres comme une évidence : «Le Prix Montaigne a été créé il y a 10 ans par la Ville de Bordeaux et l’Académie des Vins de Bordeaux pour couronner des ouvrages qui illustrent pour notre temps la liberté d’esprit et l’humanisme sans frontières qui furent ceux de Michel de Montaigne. Parmi les noms qui s’offraient à nous, celui de Pierre Nora était le plus intéressant. Tant pour son travail sur les lieux de mémoire – dont Bordeaux et l’Aquitaine sont chargés, pensez aux traces laissées par Montaigne, Montesquieu, Mauriac... – que pour son travail d’éditeur et d’historien qui a donné des clés de lecture de l’histoire de la Nation française valable pour tous les temps.» Le Prix sera remis officiellement à Pierre Nora le 30 mars dans le cadre de l’Escale du livre, en présence des anciens lauréats. • SLJ
à lire : Pierre Nora, «Historien public», Gallimard, 537 p., 23,50€. François Dosse, «Pierre Nora, Homo historicus», Librairie académique Perrin, 657 p., 27€