Notre président vient à nouveau d’enfourcher un de ses thèmes favoris, celui du travail dominical. Et, à ceux qui s’insurgent contre cette atteinte aux libertés individuelles, il oppose cet argument définitif : seuls travailleront les volontaires.
La notion de volontaire n’a aucun sens dans le cadre du travail. Un salarié vend son travail à son employeur tout comme ce dernier achète le travail du salarié. Mais, contrairement aux apparences, ces deux rôles ne sont pas symétriques. Ces dernières décennies nous ont en effet abondamment démontré que, si un employeur peut sans trop de difficultés se passer d’un salarié, il est beaucoup plus malaisé à un salarié de retrouver un employeur lorsqu’il a perdu le sien.
Une autre différence encore beaucoup plus radicale est qu’un employeur peut toujours virer un salarié tandis que le contraire est totalement hors de la portée du salarié. Sans fort heureusement avoir eu à subir ce type d’inconvénient, j’ai personnellement constaté l’inexistence du volontariat pour les salariés.
Il y a presque vingt ans, la multinationale qui m’employait connut des difficultés. Elle proposa à ses quelque vingt mille employés une offre de participation volontaire au redressement de l’entreprise. Ceci consistait à renoncer à un treizième mois, payé chaque année depuis des lustres. La conception du volontariat m’avait alors semblé un peu singulière. D’ordinaire, et en particulier à l’armée, le lieutenant s’écrie : « les volontaires, sortez des rangs ! ». Ici, ce fut le contraire. Tous étaient considérés comme volontaires et il appartenait aux réfractaires de signifier leur refus de l’offre par une lettre recommandée avec accusé de réception.
Seuls 5% d’entre nous utilisèrent cette possibilité. La quasi-totalité, dont votre serviteur, se trouvèrent implicitement volontaires. Depuis plusieurs années, les augmentations générales ne suivaient plus la hausse de l’indice des prix, avant de disparaître. Puis, les augmentations individuelles, dites au mérite, s’espacèrent. Ce qui m’avait conduit à ne pas refuser l’offre fut le raisonnement suivant : que ferait ultérieurement un responsable d’unité ne disposant que d’un montant limité pour accorder des augmentations individuelles ? Choisirait-il des bons sujets ayant accepté l’offre ou bien des mécréants l’ayant refusé. ?
J’avais vu juste. Lorsque fut institué un système de bonus, les réfractaires en furent exclus. Mais je m’étais trompé en ignorant un autre principe : il n’était nul besoin d’augmenter des salariés ayant dépassé la cinquantaine. S’ils étaient mécontents, la porte était à leur disposition. Mieux que le slogan stupide : «Travaillez plus pour gagner plus », ce qui est bien le moins que l’on puisse faire en pareil cas, j’ai connu le « Travaillez pareil pour gagner moins ».
Je vous le certifie, quiconque prétend qu’un salarié puisse réellement être volontaire est un ignorant, un imbécile ou un menteur.