Il y a des périodes où je ne lis que la presse et d'autres où j'y ajoute les livres, ce que je fais en ce moment. Le dernier livre que j'ai lu est de Daniel Pennac , un auteur que j'apprécie. Le livre s'intitule "Journal d'un corps", éditions Gallimard. Il n'est ni difficile , ni rébarbatif. Vous suivez un homme tout au long de sa vie. Il ne parle ni de ses émotions , ni de ses sentiments , mais nous dit comment vit (et souffre) son corps tout au long de sa vie.
«Je veux écrire le journal de mon corps, parce que tout le monde parle d’autre chose», explique dans les premières pages le narrateur. Il a treize ans. Nous sommes en novembre 1936. Le petit Marseillais vient de vivre une expérience traumatisante. Scout, il a été attaché et abandonné par les autres dans une forêt. Le malheureux a eu peur à en déféquer dans ses culottes.
L’auteur du «Journal d’un corps» n’existe bien sûr pas. Il s’agit du dernier roman de Daniel Pennac, né en 1944. Un livre auquel Gallimard croit si fort qu’il l’a tiré à 120 000 exemplaires, alors que tant d’ouvrages, parfois signés par des gens connus, se contentent de 2000 copies. Il faut dire que l’auteur est populaire. Le sujet porteur. Si le corps n’existait pas entre le cou et les genoux il y a quatre-vingts ans, il occupe aujourd’hui la conversation .
L’homme n’arrive pas à faire le deuil de ses premières années. Il se sent nu même si, comme tout bon bourgeois de sa génération, il ne se montre qu’habillé, rasé et peigné à ses enfants. «J’ai cru vaincre le vertige dans mon enfance, mais je le sens toujours là, tapi dans mes testicules, dès que j’approche du vide.» Suis-je différent des autres? Comment le savoir, puisque la chose reste indicible. Même Mona, sa parfaite épouse, ne doit pas se douter de ses vomissements, de ses saignements, de ses malaises, de ses angoisses. Un bon mari des années 1950 n’a pas d’angoisses…
Mona et les enfants, Bruno et Lison, perçoivent du coup leur mari et père comme il n’est pas. Son costume-cravate lui sert de paravent. Impossible, dans ces conditions, de se révéler autre chose que froid et distant. Et pourtant! Des bouillonnements, il y en a tout au long des pages de ce journal intime que l’octogénaire finira par léguer à sa fille, pour qu’elle le voie enfin autrement.
L’âge, puis le grand âge, ont-ils modifié l’auteur fictif du «Journal d’un corps»? Oui et non. Il y a chez lui plus d’ironie. Davantage de recul. Avec une sonde dans la vésicule, le corps l’emporte. Forcément. Et puis, les enfants prennent de l’âge. Heureusement, il y a les petits-enfants. Ils acceptent enfin leurs pulsions. Grégoire, le préféré, est homosexuel sans problème. Son grand-père l’accepte intellectuellement, mais ses tripes peinent cependant à l’admettre.
Tout n’est d’ailleurs pas dit. Le sujet reste inépuisable. «A peine ai-je effleuré ce corps que je voulais décrire.» La phrase figure parmi les dernières, juste avant que l’auteur ne s’éteigne, à 87 ans, en octobre 2010.
Lisez ce livre. Une fois commencé , vous ne le quitterez plus.
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