Depuis l’annonce officielle de candidature du président Nicolas Sarkozy, de nombreux comptes à caractères parodique ont été désactivés sans préavis par la plateforme de micro blogging Twitter.
La réaction ne s’est pas faite attendre et actuellement le hashtag #SarkozyCensure témoigne du mécontentement de la communauté sur ces initiatives jugées à la limite de la censure politique. L’association Internet Sans Frontières a d’ailleurs accusé de fait Twitter de contribuer à la politique de censure prétendument orchestrée par l’équipe en charge de l’image numérique du président sortant :
Le point commun de ces comptes est leur caractère parodique et caricatural de la campagne présidentielle du Président sortant Nicolas Sarkozy. Internet Sans Frontières est préoccupée par la censure politique opérée par ce réseau social à moins de 62 jours de l’élection présidentielle française
Parmi les comptes dont les activités se sont vues arrêtées figure @_NicolasSarkozy, compte créé en septembre 2010. Il était connu et avait été rendu populaire par le caractère parodique et ouvertement caricatural de ses publications et sa description ne laissait aucun doute sur ses motivations, l’association souligne par ailleurs l’ambiguïté qui règne quant aux critères pouvant être retenus par Twitter concernant la fermeture d’un compte à caractère satyrique :
[La description du compte était claire et assumée] Il ne violait donc pas les conditions générales d’utilisation de Twitter, qui précisent qu’en cas de compte parodique, la mention précisant le caractère caricatural ou parodique du compte doivent figurer dans l’intitulé de celui-ci
En effet, les conditions d’utilisation de Twitter précisent qu’un internaute ne peut créer un compte afin d’induire les autres utilisateurs en erreur sur la réelle identité du titulaire de ce compte :
Il est interdit d’usurper l’identité d’autres personnes via le service Twitter de manière susceptible d’induire en erreur ou tromper ». Le service précise également que « les comptes créés pour remplacer le compte suspendu seront également suspendus
Ce texte est déterminant aux yeux de la communauté, car il est clairement spécifié « d’une manière susceptible d’induire en erreur ou tromper » or ici, et dans la majorité des cas de fermeture, la description qui accompagne chaque compte et qui sert à identifier son activité et ses objectifs étaient clairement accessibles à tous et les finalités n’étaient donc en aucune mesure de pouvoir tromper ou induire en erreur les utilisateurs susceptibles de vouloir suivre les informations diffusées à partir de l’utilisateur en question. Bien que le fait d’inclure le nom de la personne visée soit en dehors des conditions d’utilisation, ce n’était pas le cas des autres comptes qui eux respectaient scrupuleusement les règles dictées par le site.
La ligne qui sépare l’appellation de censure et le rejet massif d’internautes de ces comptes résolument polémiques est ténue, puisque contrairement à ce que laissent penser les réactions virulentes à l’encontre de la décision de Twitter, ce n’est ni une initiative unilatérale de la société ni même du parti du président qui ont conduit à ces mesures, mais bien les internautes eux-mêmes.
En effet, la fonctionnalité « signaler cet utilisateur » présente sur la quasi-intégralité des sites de diffusion de contenu semble être à l’origine de la décision prise par la société américaine : Un nombre important de signalements de contenu jugé abusif peut conduire Twitter à mener des investigations et juger si la fermeture ou non du ou des comptes incriminés est nécessaire. Les militants ou sympathisants du président sortant ont donc été certainement en mesure de mener une campagne de « signalement » afin de faire fermer des comptes jugés dégradants pour leur candidat.
Cependant, Twitter reste seul juge de la décision à prendre quant à ses comptes et rappelle ainsi sa politique à ce sujet :
si l’usurpation d’identité ne vous concerne pas directement et que vous n’êtes pas légalement autorisé à agir au nom de la personne en question, Twitter enquêtera le problème, mais n’est pas tenu de prendre des mesures contre le compte en question
Le site n’est donc tenu par aucun texte ni accord de procéder systématiquement à une fermeture suite à un grand nombre de plaintes même si cela allait à l’encontre même de la raison d’être du signalement de contenu pour abus. N’étant pas soumis aux lois en vigueur du territoire français, Twitter peut régler au cas par cas ces demandes et nous nous devons de faire un parallèle avec l’annonce de la société quant à la refonte de ses conditions d’utilisation dans certains pays reconnus pour le contrôle actif de la liberté d’expression, pour rappel la société n’a signé aucun accord de ce genre en France.
Cette initiative ayant selon toute vraisemblance pour origine les sympathisants du président sortant est cependant à double tranchant : de nombreux comptes à caractère parodiques, voire hostiles, existent déjà concernant d’autres candidats avec en première ligne François Hollande, le fait qu’ils n’aient pas été fermés veut dire deux choses, l’une évidente l’autre sensiblement moins :
D’une part, et si nous suivons la logique de la société américaine, peu d’utilisateurs ont à ce jour signalé ces comptes et ils n’ont de fait pas été inquiétés à l’heure actuelle ceci en accord avec la ligne de conduite que s’est octroyée Twitter et sur laquelle il n’existe peu ou pas de choses à redire puisque le système fonctionne de la même manière pour l’ensemble des utilisateurs.
Ensuite, à 60 jours des élections présidentielles, la société s’implique malgré elle (ou non) dans une campagne présidentielle hors de son territoire et si nous devions pousser le concept de liberté d’expression aux portes des terres de la société américaine, la simple existence de tout compte à caractère satyrique envers des personnalités politiques devraient purement et simplement être supprimés ou laissés actifs. Il ne saurait exister une politique à deux vitesses surtout lorsque cette politique touche à un sujet aussi sensible qu’une élection présidentielle.
Enfin, et comme le souligne numerama (cf source), l’utilisateur dont le compte est désactivé devrait être en mesure de défendre ses intérêts et ainsi faire valoir ses droits, conformément aux lois en vigueur dans son pays d’origine, et ainsi bénéficier d’un avis de fermeture avant suppression. D’autant plus que c’est précisément ce qui est appliqué par Twitter dans des pays où la censure est revendiquée par le gouvernement en place : les publications incriminées ne sont pas accessibles aux utilisateurs du même pays de résidence que le possesseur du compte, mais restent accessibles à l’étranger, en vertu de la liberté d’expression prônée par le service de micro blogging.
Nous sommes donc au regret de constater que nous en serions presque à regretter de ne pas bénéficier du même traitement que des pays où la liberté d’expression est pour ainsi dire réduite à une portion congrue…
Pour la petite histoire, le compte Twitter #GayObama a été créé par Jon Stewart, un journaliste satyrique dont l’émission The Daily Show With Jon Stewart est un succès phénoménal aux États unis, lancé en même temps que son émission sur la question du mariage gay, soit le 25 février, le compte rassemble à ce jour plus de 20 000 abonnés…
Maj pré-publication : C’est durant le journal de 13H sur France Inter que l’on apprend que l’UMP a bel et bien demandé à Twitter de supprimer les comptes en question.